La poussière qui se dégageait du chantier de l'Arena permettait aux rayons du soleil de s'y mouvoir en provoquant des jeux de lumière qui auraient pu être superbes pour quelqu'un venu les admirer spécifiquement. L'immense édifice semblait littéralement sortir de terre, enfanté par les entrailles de cette terre tantôt nourricière, tantôt meurtrière. La République et les grandes familles valyriennes payaient pour la construction de ce qui devait être, à terme, aussi bien un endroit de sport où auriges et coureurs pourraient démontrer leur capacité qu'un endroit de justice où les criminels pourraient choisir d'affronter les créatures les plus exotiques ou les esclaves les plus redoutables. Initialement conçu comme une arène, le bâtiment avait trouvé un nouvel intérêt auprès des troupes revenues de Meereen où elles avaient découvert les combattants professionnels et asservis qui se lançaient des affrontements sanglants et splendides.
Pour le moment, toutefois, le grand chantier n'était encore que cela : un chantier. Le sol était creusé de partout et les maçons continuaient de monter et consolider la multitude de galeries souterraines qui permettraient à l'Arena de fonctionner pour accueillir des milliers de spectateurs. C'était là le travail des esclaves et du peuple. Dans un endroit légèrement à part, les maîtres architectes travaillaient avec des dragons et des mages à façonner la pierre, comme pour lui donner vie, rejetant toutes les autres civilisations des millénaires derrière, car marteaux et ciseaux n'étaient rien face au génie valyrien. La pierre semblait prendre vie, elle se mouvait comme un être vivant avec sa volonté propre, contrainte par les incantations et le feu-dragon. Valyria prenait pleinement conscience de sa place dans l'univers et de la marque qu'elle laisserait dans l'Histoire : elle y mettrait un terme. Avec l'avènement de Valyria, l'Histoire se terminait. L'Ère du Dragon allait débuter pour ne plus jamais s'interrompre. Il fallait donc bâtir une capitale éclipsant toutes les autres car elle serait construite pour l'éternité. Chaque bâtiment devait respecter cette vision. Dans plusieurs millénaires, lorsque le bon peuple valyrien prendrait place sur ces gradins sans aucune usure, il pourrait penser avec reconnaissance à ces générations du onzième siècle valyrien qui avaient construit un bâtiment si grand et si glorieux.
Se tenant dans la loge des architectes qui se tenaient au sommet d'un pan de l'arène pratiquement terminé, Aerys Maerion regardait le spectacle qui se déroulait sous ses yeux. Depuis cette hauteur, les hommes n'étaient guère grands et ils étaient tous bien trop occupés à creuser la terre et préparer du mortier pour regarder dans la direction du cadet Maerion. Quant aux maîtres-architectes, ils étaient aisément repérables, à plusieurs centaines de mètres de là, alors que les flammes jaillissaient de la gueule des dragons qu'ils avaient mis à contribution. Aerys connaissait bien l'Arena car il savait que les Maerion y creusaient des galeries clandestines en pleine nuit, pour leur permettre de rejoindre la ville souterraine et des points d'accès dans différents endroits de la cité à proximité de l'Arena. Une fois qu'elles seraient achevées, les Maerion disposerait d'un endroit immense pour mener leurs opérations nocturnes sans être trop dérangés.
Il s’agissait là de plans à long-terme. Aerys avait une mission qui exigeait un planning bien plus pressant. Durant le Grand Effondrement, il avait été attaqué par des hommes de son propre réseau, exposant une compromission du grand œuvre de sa famille depuis des siècles. Sans l’intervention fortuite d’hommes loyaux au réseau, il y aurait probablement laissé la vie. Cette pensée l’obnubilait et le rendait complètement hystérique à chaque fois qu’il y songeait. Il n’avait pas subi de blessures définitives mais son passage à tabac et ses côtes brisées avaient nécessité l’intervention d’une mage embauchée par la famille pour l’aider à guérir plus vite. Il avait passé plus de deux semaines sans pouvoir se lever, ni bouger de son lit, et encore dix autres avant de pouvoir retrouver une mobilité sans entraves. La fureur qui habitait le Maerion n’avait pas d’égal dans son cœur. Jusqu’à ce jour, rien n’avait suscité une telle colère, pas même la décision de son père Arraxios de briser ses fiançailles avec sa promise Daenerys. La compromission du réseau était réelle, mais l’échelle de la contagion était inconnue des Maerion. Durant trois mois, le réseau avait stagné, son père gelant tous les postes et envoyant tous ses membres actifs en cachette. Ils ne devaient pas faire surface avant que l’on réactive l’ensemble. Dans l’intervalle, des rares rapports qui parvenaient encore au Castel Maerion, on signalait que des gangs indépendants et des réseaux parallèles s’établissaient et prospéraient dans le vide laissé par les Maerion et leurs hommes.
Il était donc temps de passer à l’étape suivante. Arraxios Maerion, en sa qualité de Lumière de Sagesse, avait été largement accaparé par la gestion des conséquences immédiates puis durables du Grand Effondrement. Prolongé d’urgence pour quelques mois dans son poste au Conseil des Cinq, Arraxios avait mis son énergie à servir la cité et à assurer que sa réélection n’en serait pas moins impossible. Rapidement, il avait dû constater que l’assainissement du réseau des Maerion ne se ferait pas en un instant et il avait confié à son fils le soin de le prendre en charge. Carte blanche lui était donné pour rendre à leur famille l’outil de leur richesse et de leur puissance avant que quiconque d’important ne s’en rende compte avec un peu trop d’acuité. Mobilisant les rares personnes dont la loyauté était certaine, Aerys avait pu, au cours des jours précédents, cartographier la position de quelques hommes de confiance. Parmi eux se trouvait être Hordar Kihzeznis. Des sources concordantes le disaient dans les souterrains valyriens au moment du Grand Effondrement. Comme Aelarys Targaryen. Aerys espérait donc pouvoir tirer cette histoire au clair et trouver des pistes sur les causes du Grand Effondrement et, surtout, mener une campagne de terreur dans les bas-fonds valyriens pour purger les éléments compromis. Décidé à se faire accompagner d’un second de confiance, Aerys avait invité Hordar à le rejoindre à l’Arena. Ils pourraient s’y rencontrer et deviser sans aucune oreille indiscrète pour les écouter.
Lorsqu’il fut rejoint par l’homme de main de confiance de son père, Aerys le salua d’un hochement de tête et ils se saisirent les avant-bras dans une salutation exclusive aux membres du réseau Maerion. Sans préambule, Aerys débuta :
« Maître Hordar, je te remercie d’être venu. Nous avons du pain sur la planche et aussi peu de temps que possible pour mener à bien les tâches qui nous incombent. Mon père m’a confié le réseau de ma famille. Il souhaite se concentrer sur sa campagne de réélection et il me revient de nettoyer la pestilence qui s’est immiscée dans nos hommes. Ceux qui m’ont attaqué obéissait à quelqu’un et j’exige de trouver cette personne. D’ici là, nous devons purger le réseau. Il est temps de faire les choses à ma façon, désormais. Nous allons reformer le réseau, le renommer et en faire une arme si redoutable que personne n’osera plus nous contredire. »
L’œil enflammé d’ambition et de fureur, Aerys tournait autour de la table de bois des architectes comme une guêpe enragée. Il n’avait aucun doute que la nouvelle de son attaque par ses propres hommes s’était répandue jusqu’à Hordar. Ses trois mois à rester alités lui avaient fait perdre du poids et sa masse musculaire était réduite à néant. Il n’avait plus qu’à s’entraîner deux fois plus avec ses maîtres d’armes pour espérer retrouver le niveau qu’il possédait jadis.
« Je t’ai appelé ici car je te sais un homme capable et de confiance. Acceptes-tu cet engagement de venir à bout des traîtres et des vendus ? Acceptes-tu de porter à mes côtés la vengeance des Maerion à tous ceux qui le méritent ? As-tu des idées ou des suggestions sur comment nous devrions procéder ? »