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Valyria, an 1066, mois 8.


Comme à son habitude, Ragaenor Vaekaron se levait une heure avant le crépuscule du matin. Le lit était grand et pourtant il dormait seul comme le voulait la tradition dans l’aristocratie Valyrienne, chacun des époux ayant ses appartements, l’époux ne rejoignant sa femme que pour accomplir ses devoirs conjugaux. Cette nuit, sa mémoire l’avait laissé relativement tranquille. Il avait dormi presque normalement. Il se redressa comme un automate. Et se mit au bord de son lit. Ragaenor n’utilisait pas d’esclaves, il ne leur faisait pas confiance. Il détestait les étrangers, leurs mœurs inférieures et leurs coutumes. Il ne faisait confiance qu’à de vrais citoyens valyriens pour son service, des gens qu’il payait, mal sans doute, mais infiniment plus que tout ce qu’ils auraient pu rêver dans les rues de la Cité où ils pullulaient en plus grande force depuis la guerre. La République était pleine de bons citoyens qui ne demandaient qu’à être loyaux à un maître qui les nourrirait. Ainsi, l’un de ces serviteurs s’approcha avec un bac d’eau en argent ainsi qu’une petite serviette. Ragaenor plongea doucement ses mains dans le liquide tiède.

Il se les lava un moment, avant de s’asperger le visage, frottant bien les yeux, et se massant un peu la nuque. D’un geste nonchalant, il prit ensuite la serviette et s’épongea le visage avant de s’essuyer les mains. Il se leva ensuite, encore vêtu de sa tunique sombre et s’étira un peu. Son père lui avait inculqué cette habitude, à lui et à ses frères, de se réveiller un peu par quelques étirements le matin afin de préparer le corps aussi bien que l’esprit aux tâches de la journée. Ceci fait, il se cala dans un confortable fauteuil. Ragaenor détestait ce moment de la journée, le rasage. Il supportait mal qu’on lui touche le visage et le pauvre barbier qui venait chaque matin faire son office ne manquait pas d’essuyer quelques vilains traits d’esprit. Il n’y a rien de pire qu’un homme cultivé qui a décidé de vous humilier. Ainsi, faisant preuve d’une mauvaise foi proverbiale, quand bien même Ragaenor se trouvait toujours rasé de près, les insultes fusaient.

Le barbier en avait pris son parti, le Seigneur Dragon, sachant très bien qu’il abusait, payait un peu mieux que d’habitude lorsqu’il dépassait les bornes. Le barbier comprenait ainsi que le Curateur de la bibliothèque de Tour-Vaekar était satisfait de lui. Ce jour là pourtant, la mauvaise humeur était authentique. Lorsqu’il bascula la tête en arrière, Ragaenor grogna comme un dragon sur le point de cracher le feu. Le barbier lui passa la douce mousse blanche sur le visage, aiguisa sa lame sur une lanière de cuir bien tanné et prodigua ses soins à ce difficile patient, tant et si bien qu’il fallait, aujourd’hui, faire preuve d’une grande dextérité pour ne pas faire couler le sang du Vaekaron.


-Je t’en prie Seigneur, ne bouge pas tant ! Je vais finir par te faire mal !

-Et bien, au pire cela purifiera un peu ton sang bouilli, regarde-moi cette tête. Voilà par quoi je me fais raser : un métèque.

-Allons seigneur, ta famille est encore l’une des seules dans toute la République qui n’a quasiment pas d’esclaves. Tu vas finir par apparaître comme une relique.

-Et quoi encore ? Mes ancêtres n’ont pas vu leur suprématie chuter pour que l’institution de la République devienne un marchandage de chair humaine pour quelque amateur de viande humaine, ou quelque usurier qui souhaite faire son profit illégitime sur le dos du peuple de Valyria.

-Tu parles presque comme un populiste seigneur, je ne te savais pas si concerné par le sort du peuple.

-Je ne le suis pas, le peuple est une bête féroce et stupide qu’il appartient aux gens éclairés de guider. Les Citoyens forment entre eux une communauté. Je ne suis pas né d’une famille de demi-dieux pour participer à l’élévation des métèques, je n’ai aucun devoir envers eux. Et je ne me rendrai certainement pas dans une métèquerie pour garnir ma maison de cette engeance à grand frais.

Alors que la lame progressait et finissait de raser la peau de l’auguste Ragaenor, celui-ci priait mentalement. Il savait que la journée ne serait pas de tout repos. Aujourd’hui, il avait décidé enfin de parler à sa nièce. La brouille était manifeste entre les deux. La tranquillité de la famille s’en trouvait anéantie. Certains loyalistes suivaient sa nièce, mais très nombreux étaient les clients et les obligés qui rendaient, dans les faits, des comptes à Ragaenor. La culture du sud, et particulièrement dans la famille Vaekaron, rendait l’oncle bien plus légitime que la nièce. Un testament ne changeait rien au fait qu’un homme d’âge mur, considéré comme un sage et un gardien du savoir, correspondait plus aux critères d’un bon chef qu’une veuve de moins de trente ans. Ragaenor n’avait pas hésité, dès le début, à la mettre en état de siège. Par tactique politique aussi bien que pour soulager la plaie que le testament avait ouverte dans son âme. Plus il manifestait qu’il contestait le Testament, plus il servait de point de ralliement à tous ceux qui ne savaient pas où se vouer.

Pourtant, même parmi ses fidèles, certains le pressaient de discuter avec sa nièce. Tous les jours, un aéropage de gens fidèles aux Vaekaron et déplorant cette lutte de pouvoir suppliaient Ragaenor d’assouplir sa position, et au moins de faire savoir à sa nièce la façon dont il voyait les choses. Pendant des semaines, Ragaenor répondit sèchement que le supérieur n’avait pas à se justifier devant l’inférieur. Naturellement, c’était irrationnel, et il le savait, c’était l’amertume qui parlait à sa place. Non contre sa nièce d’ailleurs, mais contre Daelor qui s’était comporté, avec ce testament, en adolescent imbécile. Ragaenor, dragon blessé dans son orgueil, avait mis les quelques mois de tranquillité et de reconstruction pour lécher cette blessure encore bien sanglante. Il s’était rendu à la raison. Sa nièce était la fille de son frère, elle n’avait rien demandé à Daelor, on ne pouvait donc pas la compter comme un membre actif de l’acte impie de son frère-époux. En cela, elle méritait une entrevue. Ragaenor passa sa toge rapidement, habillé par deux serviteurs.  Il allait faire une chose qu’il n’avait pas daigné faire depuis longtemps. Il allait se rendre au repas du matin et y voir sa nièce.

Il boudait cette partie rituelle de la journée afin de bien montrer qu’il ne lui reconnaissait pas le statut que ce testament, qu’il estimait nul, lui donnait. Aujourd’hui, il s’y rendrait. Il marcha lentement jusqu’à l’endroit où l’on servait. Elle était là. Lorsqu’ils virent l’oncle arrivé, les serviteurs se figèrent. Alynera était là. Il contemplait le joyau de la famille Vaekaron. Une femme sublime dont la tragédie réhaussait encore la beauté que d’aucun prenait comme un des signes de l’ascendance divine des Vaekaron. Et lui ? Lui aussi était splendide, comme tous les Vaekaron, cette lignée portait en elle la grandeur, parce qu’elle portait aussi toute la tristesse que l’univers pouvait contenir. On aurait pu les moquer en les trouvant grandiloquant. Certains osaient.

Ceux là ne pouvaient pas comprendre que descendre des élus des Dieux rendaient les enjeux de cette discussion au-delà du drame familial : c’était une affaire d’Etat, c’était une affaire céleste, c’était même, une affaire qui engageait l’ordre du cosmos. Pesant alors de tout le poids de la rancœur, de l’orgueil blessé, de la sensation d’impété et de l’humiliation personnelle, Ragaenor lâcha la première parole comme un poids pour écraser celle qu’il avait en face d’elle.


-Ma Nièce.
Alynera Vaekaron
Alynera Vaekaron
Mīsio Lentor

https://rise-of-valyria.forumactif.com/t661-epreuve-du-feu-d-aly
La tragédie des VaekaronRaeganor & Alynera

Triclinium commun, Tour Vaekar.
An 1066, mois 8.

À cette heure sans lumière, où on se voit si peu qu’on ose presque s’avouer tout, Alynera Vaekaron observait le reflet invisible de son âme dans le miroir de bronze de sa chambre. Large, l’objet circulaire lui avait été offert le jour de ses noces. Il représentait une scène de la vie de l’épouse de Vaekar, dont on disait qu’elle avait été accueillie dans la demeure céleste de Meraxès. Selon la légende, véhiculée depuis des temps immémoriaux, la belle Vaemys aurait reçu, pour son dévouement à la fondation de Valyria, la récompense de tracer sa propre constellation. Or, à la terre comme au ciel, dévouée toute entière à son époux, berger devenu dieu, elle demanda à n’être qu’une simple étoile. Troublée par cette demande inhabituelle, la déesse convia sa sœur à demeurer un soir dans l’immensité de l'univers. Elle souhaitait la mettre en garde : au milieu de toutes les autres elle disparaîtrait aisément. Ses fils puis ses petits-fils se souviendraient d’elle, ils pourraient la pointer du doigt en mémorant ses hauts faits, mais ensuite les générations futures l’oublieraient car des étoiles il y en avait des milliers. Malgré les pièges flatteurs fomentés par la déesse pour la faire changer d’avis, quand le crépuscule de l’univers fit place au petit jour, Vaemys n’avait pas ployée. Certains aèdes, ceux des premiers âges, affirmèrent qu’elle osa même rétorquer que si son époux avait été choisi comme fils d’Arrax, elle ne restait qu’une simple mortelle parmi les autres. Quoiqu’il en soit, la position ferme de Vaemys déclencha la colère de Meraxès qui la renvoya dans son large palais. Qui était-elle, cette petite bergère mariée à un demi-dieu, pour refuser ses faveurs ? En conséquence, pour se venger de l’affront mortel, pendant trois nuits les étoiles de Vaekar disparurent du ciel. Le quatrième soir, alors que les pleureuses s’étaient réunies pour implorer la clémence des Jumeaux, une étoile plus brillante que les autres apparue en face de la constellation Vaekaron, où on pouvait contempler le demi-dieu chevaucher son dragon. L’étoile guidait le chemin du héros, pour que jamais il ne se perde. Depuis ce jour, chaque Dame-Dragon de la dynastie, petite mort après petite mort, s'alignait à ses côtés. Avec les âges, une Dame d’une grande beauté s’était formée qui, dans une gestuelle sensuelle, conversait avec le héros primordial. Cette iconographie tombée du ciel était très répandue chez les jeunes femmes du Sud de Valyria, notamment chez les plébéiennes qui vénéraient cet épisode légendaire aspirant par la-même à devenir une épouse parfaite. Évidemment, peu pouvaient se vanter de posséder un objet tel que celui de la Tour Vaekar. Le dessin incisé était d’une telle minutie que sa réalisation avait duré presque une année entière. Un présent nuptial, devenu aujourd’hui artefact, d’un luxe inouï. L'épisode donnait le ton : désormais épouse, Alynera devrait demeurer la force discrète de son époux, jamais son égale et encore moins sa supérieure.  

Pourtant, depuis le vil testament de Daelor, c’est ce que les Quatorze attendaient désormais d’elle. 

À caresser le bronze, qu’elle connaissait depuis des années et dont le message était forgé en elle, Alynera se demandait qu’elle voie fallait-il qu’elle suive. Devait-elle ployer en faveur de son oncle ? Après tout, l’Érudit pourrait imposer sa connaissance auprès des Sénateurs et rallier rapidement de nombreux partisans. Observateur et calculateur, nul doute qu’il gravirait aisément les échelons de la politique valyrienne. Oui, mais ensuite ? Un jour prochain, il mourrait sans autre héritier mâle que l’orphelin de son défunt frère. Daegor, le dernier fils de la lignée Vaekaron. Second fils d’un troisième fils, il avait été précédé par tant de majestueux aînés qu’il avait été écarté bien avant sa naissance des intrigues politiques de ses pairs. Aujourd’hui, âgé de presque dix ans, ce cadet parmi les cadets des cadets, ne connaissait rien des responsabilités des héritiers dynastes. Il avait été élevé pour être un bon administrateur des revenus fonciers de sa famille. Un homme dont le seul prestige serait, tout au plus, de prendre épousailles dans une autre famille. Ainsi, il ne dérangeant pas trop le court naturel du sang tout en permettant de forger des alliances supplémentaires — doublé d’une dot conséquente, puisque l’épouse aurait l’honneur de prendre le nom d’un dynaste. Là avait été pendant dix années son seul devoir, son seul futur permis. Désormais, privé de père, privé de frère, Daegor était livré à lui seul. Une pièce sans merci sur l’échiquier qu’avait façonné son cousin et sur lequel son oncle dansait avec agilité. Quelques semaines plus tôt, dans le plus grand secret, Saerelys lui avait confié qu’il était possible d’invoquer la magie pour lui faire avaler les âges et le murir à son état d’homme. Ainsi, Alynera pourrait l’épouser et garder aisément son statut. Néanmoins, la jeune Mage ne connaissait pas les risques, ni les coûts, d’une telle magie. Une magie si peu avouable, d’ailleurs, qu’elle en avait rapidement chassé la pensée. Pourtant, depuis leur conversation, l’idée avait fait son chemin dans l'esprit d’Alynera. De nombreuses heures, elle réfléchissait à demander conseil à Talaegar. L’idée la révoltait, c'était un parjure à la mémoire de sa grande-tante, néanmoins, première parmi les premiers, elle était la seule en mesure de donner une descendance aux siens. La seule à pouvoir assurer la vigueur du sang des Vaekaron. Raeganor n’aurait jamais d’autre enfants avec Daenasa, désormais trop âgée pour enfanter. D’ailleurs, tel un avertissement des Dieux, cette dernière n’avait donnée que deux filles. Rien que leur mention était un problème supplémentaire car il faudrait bientôt penser à marier l’aînée, anciennement promise à Maelor. Oui, Alynera, seule, avait l’âge d’enfanter la magie terrible de leur sang. En conséquent, la bataille de Raeganor était aussi folle que dangereuse car, dans quelques années, après sa disparition, la situation serait potentiellement la même. Il lui revenait donc de la sécuriser, quand bien même ce n’était pas son devoir primaire que de jouer aux politiciens.


☼ ☼ ☼

« Par la barbe d’Arrax, aurais-tu encore gâché les heures de la nuit pour nourrir tes maux ? » La nuque et le dos endoloris, Alynera ouvre des yeux lourds et ensommeillés. Quand s’était-elle assoupie, perdue dans ses pensées ? Déjà, dehors, l’aube pointait ses premières lueurs et la brise trop rare de la nuit fuyait dans son manteau secret. D’un geste ferme la vieille servante s'empara d'un tissu humide pour nettoyer la joue de sa maitresse. Trop ennuyée par ce spectacle quotidien, ses gestes n'étaient pas doux. « Peau de dynaste n’est point parchemin ! » Entre ses dents clairsemées, elle marmonnait comme chaque matin lorsqu’elle découvrait Alynera le visage barbouillé d’encre séchée. Encore une fois, sa Dame-Dragon avait du s’endormir, sans s’en rendre compte, la fatigue trop exacerbée. C’était de plus en plus fréquent car la jeune veuve passait ses nuits à étudier ses possibilités et à réfléchir à des questions sans réponses. Elle étudiait les murs colossaux que formait sa prison, en réalisant que même s’échapper par le ciel lui était interdit. Alors, pour chasser cette atmosphère anxiogène, elle prenait des parchemins pour apprendre des meilleurs politiciens des temps passés. Lorsque leurs mots devenaient trop nébuleux, elle couchait ses propres recherches réalisées avec Yraenarys. Les rêves lui faisant peur, la nuit était sans fin. À lire l’intitulé du parchemin, elle avait apparemment souhaité commencer un nouveau répertoire sur les plantes médicinales présentes dans l’hortus de la Tour. Malheureusement, le travail était fichu. Le sommeil venant, son cops tout entier avait absorbé l’encre. Les dessins de ses plantes étaient ratés, les couleurs dégorgées. De toute manière c'était à peine si elle se souvenait d'avoir entrepris ce travail colossal. « Ce n’est rien maîtresse, je ferai porter de nouvelles peaux pour la veillée de ce soir… » Distraite, encore endormie, Alynera laissa sa servante la déshabiller pour lui laver le corps, profitant ainsi de derniers instants d'un sommeil pourtant déjà loin.


À l’ordinaire, le triclinium privé des Vaekaron était désert. Seuls quelques domestiques demeuraient immobiles, portant sur des plateaux d’or les mets du petit-déjeuner. Avant la guerre, ce repas avait été toujours été synonyme de moments fastueux et heureux. Tels des astres solaires, ses frères et cousins illuminaient les matinées de la Tour par quelques astuces ou querelles débonnaires. En ce temps là, ses cousines et ses tantes, parées de leurs plus beaux atours, participaient encore à cette réunion matinale. La pièce embaumait alors des encens capiteux des différents appartements que les rires de chacun chassaient bien assez rapidement pour donner le parfum d'une famille unie. Désormais, entourée des fantômes de son passé, Alynera prenait seule son jentaculum. Il était d’une frugalité constante : pain, fromage et olives fraîches de leur jardin fruitier. Personne ne venait jamais troubler ce rituel quotidien. Ses cousines, Vaessa et Vhaesa, restaient sous le giron de leur mère qui refusait de montrer quelque déloyauté envers son époux. En effet, obligée par les choix de Raeganor, la douce Daenesa ne pouvait se montrer aux côtés de sa nièce sans la reconnaître comme Mīsio Lentor. Aussi, mis à part les réunions filiales obligatoires, elle demeurait dans son appartement et dans son triclinium. Quant à Lorgora, elle se réfugiait derrière son veuvage pour prétexter un confinement. Malgré sa rancune envers son frère, elle préférait ne pas prendre part à la bataille qui se livrait sous ses yeux impuissants. De ce fait, elle ne préférait ne partager que son prandium, plus court et moins dérangeant qu’une conversation si tôt sortie du lit. Il était inutile de préciser que son oncle ne se montrait jamais. Et quoiqu’Alynera aurait pu rester en ces appartements, elle continuait à perdurer leur tradition familiale s'installant, jour après jour, à la place du chef de famille. La pièce était toujours plongée dans un silence monacal.

« Ma nièce. »


Au son de cette voix bien connue, instantanément, la pièce se pétrifia. Les domestiques d'Alynera n’étaient pas habitués à la présence du gardien de la bibliothèque. D'ailleurs, malgré les mois passés, aucun domestique ne savait réellement comment agir en présence des deux pièces maitresses de l’échiquier de la Tour. Toute aussi pétrifiée qu’eux, Alynera mit un temps infime à réagir aux deux mots de son oncle. Ma nièce. Ils avaient été prononcés avec une âpreté terrible, comme si, de deux gros cailloux, il avait voulu la noyer dans les abysses des Enfers.



« Mon oncle. »



Un temps long, Alynera avait pensé répondre « Raeganor ». Cependant, elle était trop intelligente, ou plus assez courageuse, pour laisser son orgueil prendre le dessus. En vérité, l’Érudit n’était pas venu dans cette pièce depuis des années, probablement depuis que son frère était décédé. Ainsi, il avait voulu souligner sa mésentente avec Daelor. Venir aujourd’hui avait du lui demander un effort surhumain, que seul les engeances des demi-dieux pouvaient réaliser. Que sa venue soit offensante ou cordiale, il était donc inutile de lui souligner leur mésentente. Elle fit signe aux serviteurs de placer des collations supplémentaires sur la mensa carrée. 
Puis, d'un geste chaste, elle recouvre ses cheveux de sa palla. Le jour où il oserait l'affronter devant tous était-il venu ?

« Il y a longtemps que tu n’es pas venu en ce lieu, je suis surprise de te voir. »

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L’effroi, voilà ce qu’inspirait cette pièce à l’Erudit. Alynera pouvait se raconter tous les souvenirs de sa tendre enfance qu’elle possédait, elle n’avait jamais vu l’envers du décorum sinistre, ni la pourriture qui perlait derrière les murs de tour-Vaekar. Ragaenor, lui, avait pu voir toute la décomposition du cadavre familial. Il en avait suivi, comme un observateur rigoureux, toutes les étapes, de la rigidité cadavérique du corps encore chaud, jusqu’au vers qi éclatent et nettoient les os. Dès l’enfance, pour celui qui aujourd’hui comptait briguer la première place, tout avait été joué d’avance. Les sots avaient cette bénédiction sublime de ne pas voir à quel point leur sort est pathétique. Ragaenor avait toujours pensé qu’un mécontent n’était rien de moins qu’un pauvre qui réfléchissait. Dans cette histoire, le pauvre, c’était lui. Lors de ces collations matinales rituelles, il s’obligeait à garder le silence, dès l’enfance, il avait pris sur lui le rôle terrible d’être terne, pour que son frère puisse briller. En silence, il écoutait les rires de tous les autres, tous ces repus, tous ces contents. L’amour qu’il portait pour son aîné lui étrillait aussi bien les tripes que l’âme et la cervelle car la Bête de l’ambition se domptait difficilement. Par sa volonté de fer, son opiniâtreté et sa pugnacité le dragon de la volonté de puissance était tenu en respect dans la plus profonde tanière de son âme par un sentiment altier qu’on appelait l’honneur.

L’honneur qui le pousait à refuser tout ce qu’il était. Il s’était forcé à se haïr lui-même. Ce surnom d’Érudit qui faisait sa gloire, il l’avait d’abord refusé par vertu d’humilité et de piété : le savoir enfle, la charité édifie, avait répondu l’ombrageux Vaekaron lorsqu’on lui avait fait part de son cognomen. Son intelligence politique, il ne la réservait qu’à son frère et à son service. La nuit, sa mémoire et son sommeil le faisaient ruminer. Des démons terrifiants, dissimulés dans les pans obscurs de son inconscient torturé, le saisissaient. Ils faisaient de lui un homme puissant, un homme couvert de l’or des dieux, de vastes provinces le révéraient. Il se réveillait en sueur, fatigué, vidé de sa substance. Ses rêves de grandeur n’étaient pas un refuge, mais bien une prison nocturne qu’il ne quittait que pour devoir embrasser sa geôle diurne de puîné. A tout le moins, avec Lorgor, il possédait l’influence à défaut du pouvoir. Lorgor savait que son petit frère passait son temps à dissimuler. Il n’avait jamais deviné les terreurs nocturnes, ni les cauchemars ou Ragaenor allait jusqu’à le tuer pour enfin être lui-même : le chef de famille. Avec Daelor, la potion amère était devenue vomitive. Le jeune homme ne l’écoutait pas, le rabrouait publiquement, et tentait de le tourner en ridicule. Ragaenor avait encaissé. Ragaenor avait subi. Ragaenor avait souffert. Cette fois-ci, au devoir d’obéissance venait s’ajouter la charge d’une haine personnelle. Cependant, les enfants entre Lui et Alynera ne venant pas, il avait commencé à former lui-même Taelor et Maelor. Il voyait le véritable avenir de la famille en eux. Ils allaient réussir là où Lorgor et Daelor avaient échoué. Puis la guerre avait fait son oeuvre. Maelor, mort. Taelor, que son oncle avait tenté de ramener du champ de bataille à la mort de son frère, étripé lors de la bataille finale de cette épouvantable boucherie de Mhys Faer... Il ne restait que Daelor l’imbécile et en ligne directe, il était redevenu l’héritier.

Jamais Ragaenor n’avait une seule fois arpenté cette pièce en étant heureux. Jamais l’Erudit n’avait pu se souvenir d’un rire qui fut le sien ici. Les cadavres et les fantômes qui hantaient cette pièce ne consistaient en rien de nouveau pour le prétendant au titre de chef de famille. Ils étaient devenus son élément, malgré lui. Il s’en repaissait, malgré lui. Leurs morts à tous lui avaient donné de la force. Fébrile et un peu cacochyme dans son adolescence, svelte et pâle l’âge adulte, Ragaenor s’était transfiguré dans la soif de pouvoir, comme si le fait que son devoir lui impose enfin de se battre pour se réconcilier avec sa part refoulée pendant quatre décennie l’avait ramené à la vie, pour finalement voir que les Dieux lui avaient réservé une dernière épreuve. Cette dernière épreuve se trouvait couchée face à lui, et venait d’un geste de la main d’ordonner aux serviteurs de transformer cette collation solitaire en duo.


-Ma nièce, le différend qui nous divise tristement m’interdit pour des raisons d’honneur à partager cette collation avec toi cependant que tu es allongée à une place que je revendique.

Cette phrase était prononcée sur un ton moins dur que les mots précédents. Comme sur le ton d’une évidence. Il soulignait ainsi que si sa présence était bien une volonté de conciliation, celle-ci n’irai pas jusqu’à lui reconnaitre formellement une dignité qu’elle ne possédait pas. Naturellement, dans sa position, ne pas souligner ce genre de chose était naturel, vouloir taire la mésentente, légitime, puisqu’elle étant la profiteuse et lui le lésé. Elle fit part ensuite de sa surprise. D’une certaine façon, il était surpris lui-même d’avoir pu surmonter sa propre rancœur vis à vis de Daelor et de ses actes. C’est pourquoi, comme autre coup de sabre il lâcha un...


-Cependant...

Il inspira comme un reptile, de façon sifflante. Après tout, il fallait bien préparer le terrain de cette épineuse discussion au sommet entre deux protagonistes qui allaient surement se jeter à la gorge prochainement, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus qu’un seul.

-... Je suis prêt à faire fi de cette exigence que m’impose mon honneur personnel et à l’éclipser face à mon devoir. En effet, la tranquillité publique est revenue en Valyria et nos deuils, qui ont amoindri notre famille comme ils ont blessé nos cœurs, s’ils ne passeront jamais dans nos âmes, ont vu s’écouler le temps suffisant à la face des hommes pour que nous discutions de l’avenir de la famille. Ni toi, ni moi ne pouvons plus éviter cette discussion à présent.

D’un pas lent, il vint donc s’asseoir sur le lit à côté de sa nièce. Dans la position du penseur, ses coudes vinrent se caler sur ses genoux cagneux et ses mains jointe soutenir sa tête.

-Pas plus que toi, je n’ai souhaité cette lutte. La colère et la rage face à ce crime contre le ciel n’ont pas éclipsé chez moi la raison. Je sais que tu es autant victime que moi de la farce sinistre de Daelor. Que ce testament soit un scandale et une insulte envers les dieux est une chose déjà assez grave en soi pour nullifier sa valeur à mes yeux, mais Daelor, en croyant cracher sur mon honneur -ce qu’il a fait- a brisé les principes éternels de cette famille. Ceux de mon père, de mon grand-père et de tous nos ancêtres jusqu’à Vaekaron lui-même. À travers la spoliation que j’ai subi, ce n’est pas ma personne ou mes envies, mais le devoir que j’ai pour la mémoire de tous ceux que Daelor a insulté. Y compris toi. Toute m vie, mon devoir m’a ordonné de m’effacer, et je l’ai fait, sans ne jamais rien demander à personne. Aujourd’hui, mon devoir est de faire l’exact opposé, je le ferai avec la même détermination.

Il se frotta un peu la joue et se redressa.

-Je ne t’ai jamais prise pour une profiteuse. Et tu n’as jamais désiré la place à laquelle tu te trouves, à moins que tu l’ais bien caché. Aussi je souhaite savoir tes raisons. Pourquoi as-tu accepté d’être bénéficiaire d’un testament dont tu sais pleinement qu’il est une glaire sur notre honneur familial ?
Alynera Vaekaron
Alynera Vaekaron
Mīsio Lentor

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La tragédie des VaekaronRaeganor & Alynera

Triclinium commun, Tour Vaekar.
An 1066, mois 8.

« Ma nièce, le différend qui nous divise tristement m’interdit pour des raisons d’honneur à partager cette collation avec toi cependant que tu es allongée à une place que je revendique. »



La nièce ne fut pas surprise d’entendre son oncle prononcer ces paroles. Paisiblement, elle termina d’arranger sa palla créant ainsi une purdah invisible — mur immémoriel de bienséance entre masculin et féminin, lumière et crépuscule. Le domestique, lui, pendant un instant hésita à reprendre les collations qu’il venait de déposer. Un œil rapace aurait pu percevoir la tension extrême de ses muscles, vibrants d’effroi, prêts à être dévorer en pâture. L’exécration silencieuse de ses maîtres trop célèbre, le pauvre hère craignait que la moindre maladresse lui soit fatale. En guise d’apaisement, Alynera fit signe que ce n’était rien. Puisque son oncle refusait son hospitalité, elle en ferait une libation aux Quatorze qui, de leur sommets célestes, devaient se repaître de cette réunion inopinée.



« Cependant… Je suis prêt à faire fi de cette exigence que m’impose mon honneur personnel et à l’éclipser face à mon devoir. En effet, la tranquillité publique est revenue en Valyria et nos deuils, qui ont amoindri notre famille comme ils ont blessé nos cœurs, s’ils ne passeront jamais dans nos âmes, ont vu s’écouler le temps suffisant à la face des hommes pour que nous discutions de l’avenir de la famille. Ni toi, ni moi ne pouvons plus éviter cette discussion à présent. »



Son arcade sourcilière gauche se leva imperceptiblement, elle n’appréciait guère l’exposé que son oncle faisait des faits. Elle n’avait pas souhaité éviter cette confrontation. C’est lui, en l’ignorant, qui avait imposé cette nouvelle relation. Sa mauvaise foi était embéguinée de fourberie. Après tout, n’était-ce pas elle qui, jour après jour, occupait les charges familiales auxquelles il se dérobait ? Ragaenor Vaekaron avait, seul, sonné le glas du combat. Lui qui n’avait subit aucune perte, aucune douleur dont le vieux cœur d’os portait vraiment la trace, s’était permis de comploter, discret, derrière les épais voiles du deuil. Alors qu’il aurait du venir la trouver, il avait préféré exposer, publiquement, à l’insu de tous, aux yeux des Valyriens comme des Dieux, leurs écorchures familiales. Quel était donc ce spectacle que celui d'un oncle dévorant la place laissée par son neveu, charogne encore chaude ? Cette motion était un poignard contre sa nièce qui, dans sa frêle féminité, avait osé se dresser face au monde dans son plus grand droit et, surtout, son plus grand devoir. C'était également un affront porté à leur nom dynaste car jamais ils n'avaient eu à répondre publiquement de leur mésentente. Malgré tout, de toute sa mansuétude, Alynera ne pouvait lui en vouloir. Elle passa cette offense sous silence, quand bien même son orgueil fut piqué à vif.

« Pas plus que toi, je n’ai souhaité cette lutte. La colère et la rage face à ce crime contre le ciel n’ont pas éclipsé chez moi la raison. Je sais que tu es autant victime que moi de la farce sinistre de Daelor. Que ce testament soit un scandale et une insulte envers les dieux est une chose déjà assez grave en soi pour nullifier sa valeur à mes yeux, mais Daelor, en croyant cracher sur mon honneur -ce qu’il a fait- a brisé les principes éternels de cette famille. Ceux de mon père, de mon grand-père et de tous nos ancêtres jusqu’à Vaekaron lui-même. À travers la spoliation que j’ai subi, ce n’est pas ma personne ou mes envies, mais le devoir que j’ai pour la mémoire de tous ceux que Daelor a insulté. Y compris toi. Toute ma vie, mon devoir m’a ordonné de m’effacer, et je l’ai fait, sans ne jamais rien demander à personne. Aujourd’hui, mon devoir est de faire l’exact opposé, je le ferai avec la même détermination. »



Ainsi donc était venu le jour où l’Érudit de la Tour décidait de combattre, la lame d’acier pleine de fiel, tel le plus brave des guerriers de Valyria. Cette félonie, l’insulte de Daelor envers lui, envers elle, envers eux, serait lavée ! Assis à ses côtés, il lui promettait de laver son corps, son âme et sa réputation du parjure qui lui avait été fait. Elle, Alynera Vaekaron, l’une des femmes les plus convoitée de la Cité, dont le suspens du destin faisaient languir des milliers d’êtres, avait devant elle son Sauveur... Ses mains chassèrent quelques énervements. Par quel sortilège osait-il venir après tous ces mois de silence ? Comme si tous deux, oncle et nièce, sur l’autel du Destin pouvaient se targuer, se lamenter, d’avoir reçus la même insulte !

« Je ne t’ai jamais prise pour une profiteuse. Et tu n’as jamais désiré la place à laquelle tu te trouves, à moins que tu l’ais bien caché. Aussi je souhaite savoir tes raisons. Pourquoi as-tu accepté d’être bénéficiaire d’un testament dont tu sais pleinement qu’il est une glaire sur notre honneur familial ? »

De deux yeux acérés, brûlants d’une passion ancestrale, elle dévisagea son oncle. Pourquoi cet homme, à l’intelligence si vive, ne pouvait-il comprendre qu’elle n’avait jamais eu le choix ? Comment pouvait-il sous-entendre que la femme qui portait le plus haut les valeurs traditionnelles des leurs avait été pernicieuse ? Le vin en sa gorge devint amer. À le voir assis ainsi, un semblant de torture dans la peau, Alynera avait envie de tomber sur lui. De ses deux ailes aux épaisses écailles, elle l’aurait enveloppé, à la vie à la mort, pour lui faire ressentir toute sa rage. Ah, comme cette stature du penseur allait bien à l’intellectuel de ces lieux ! Ce costume charlatan auquel tous avaient cru, aveugles et sots qu’ils étaient. En cet instant, malgré la colère de la veuve, un mage aurait pu ressentir toute la douleur sincère qu'elle nourrissait pour son oncle. Son intelligence avait toujours été brimée à cause d’un rang hiérarchique trop faible. Si il avait eu le sang d’un premier fils, qui sait si il n’aurait pu terminer Lumière de Sagesse à Sylvio Oño ? Oui, elle savait qu’il aurait pu relever la destinée des enfants de Vaekar et, loin de leur divinité d’antan, les faire entrer dans le monde contemporain par des portes triomphales. Le testament de Daelor été d’une ignominie sans nom car il privait tous les Vaekaron d’une part de leur héritage. Elle ne pouvait le tolérer. Malheureusement, par sa perfidie humaine, Ragaenor avait allumé en elle un brasier nouveau. Si tôt elle avait eu vent de son complot, elle avait compris qu’il la dépouillerait de toutes ses possessions. Et elle, qui avait toujours été élevée pour être la plus admirée, la plus adulée et, évidemment, la première en tout — y compris la hiérarchie — avait vu son monde vaciller. Devant cet état de l’art, rapidement, le pouvoir s’était réveillé en elle comme un goût trop longtemps ignoré. Dans ses veines d’or frémissait un chant ancestral, tissé de génération en génération par ses aïeules qui, entre les mailles de leurs existences, avaient transmis la puissance offerte par Arrax à l’épouse de Vaekar. L’écho de sa propre prophétie et celle livrée à Lorgor lui revenaient en mémoire. Elle était née entre ses murs et les augures avaient perçu depuis de nombreux âges qu’elle devait y demeurer.


« Tu parles d’honneur familial, des principes éternels des nôtres, et semble penser que je les ai méprisés. Mais dois-je te rappeler qu’en tant que consort de Mīsio Lentor, contrairement à Daenasa et Lorgora, j’ai été mariée à Daelor par le principe de cum manu ? Plus qu’à mon père, mon honneur réside dans la filia à mon époux. »



Pourquoi les hommes, de leur condition mâle, oubliaient-ils si facilement les devoirs sacrés de leurs épouses ? Toute répulsion ne pouvait rien y faire : les vœux des défunts devaient être honorés. Aveuglé par cette haine qu’il portait à son neveu et pour son idolâtrie au culte de chef de famille, il oubliait les histoires que les aèdes faisaient apprendre dès l’enfance : les morts gouvernent les vivants.



« Quelle épouse aurais-je été, moi qui suis tant regardée comme modèle de droiture chez mes paires, si j’avais refusé la dernière volonté de mon frère-époux ? »



Sa voix était basse, froide et sans appel. Un murmure pour lequel elle n’attendait aucune réponse car sa souffrance était trop grande, trop importante, pour qu’elle soit vaguement comblée par des mots.

Il était évident que Daelor avait voulu marquer au fer rouge le rang de cadet sur le visage de leur oncle, qu'il abhorrait. En faisant d’elle l’unique héritière, il ne lui avait pas seulement donné une place au Sénat, simple détail en vérité, mais le choix de la Fortune de tous les siens. Alynera était désormais maitresse des fils de leurs destinées, telle une Moire déguisée sous un visage de déesse. Cette nouvelle posture, inédit en Valyria, avait bousculé l’équilibre de sa caste. Dans sa mort, son frère lui avait donné une grande leçon : à elle seule elle avait bouleversé l’institution en place qui depuis les Dragons Vers préservait son harmonie des intrusions féminines, lorsque celles-ci pouvaient être évitées.

«  Il fut un temps où j’ai attendu jour et nuit que tu viennes me trouver. Je voulais que tu viennes cueillir ce fardeau tombé lourdement sur mes épaules, celui que je ne pouvais te demander de m’ôter parce que mon honneur de veuve ne me le permettait pas. »



Du haut de ses quarante années, magnifique, Ragaenor semblait pétrifié dans une dure jeunesse.  Enfant, sa nièce avait souvent admiré cet oncle dont le calme et l’intelligence savaient faire naître la plus grande vénération chez les simples mortels. Adolescente, ses grandes mains, lisses et précieuses, d’une constante douceur — comme si cet homme ne quittait jamais réellement ses parchemins, papyrus et autre documents trop rares — avaient fait naître des émois prémices à ceux d’une jeune jouvencelle. Il possédait, comme peu de gens, l’arrogance d’un rare sourire. Aussi, lorsqu’il la récompensait de deux commissures heureuses, sa nièce s’était toujours sentie d’une importance primordiale, le cœur battant la chamade ou le cœur ne battant rien, c’est toujours difficile à décrire ces moments d’émois intenses. Encore aujourd’hui, il avait cette aura particulière avec ses pâles yeux mauves. Il semblait détester les contacts physiques, pourtant tout son corps semblait, contre lui, appeler au pêché d’envie. C’était un homme discret, trop discret, dont on ne connaissait ni les maîtresses, ni les amantes. Il semblait garder une chasteté éternelle comme la félicité de sa bonne étoile, celle qui la conduirait, un jour, après toutes ces années d’efforts vermines, à la place qu’il convoitant tant. Sa place.

« Tu as mis dix mois à venir. Dix. »



Si le hasard existait, il était drôlement fait. En effet, si à l’heure du testament il était venu la voir, la tentation aurait été grande de tout lui donner... jusqu’à compromettre sa situation personnelle. Pourtant, dix mois plus tard, Alynera n’était plus que la veuve de Daelor. La nièce admirative, et, peut-être, amourachée de cet oncle mystérieux, avait disparu dans les tréfonds de son passé. La guerre avait réveillé en elle un instinct acéré, semblable à celui de son dragon. C’était de cette puissance nouvelle, née au milieu du combat, qu’elle lui demanda calmement cette question qui la hantait depuis si longtemps :



« Mon oncle, pourquoi viens-tu seulement maintenant ? »

Pourquoi m’as tu obligée au parjure, jusqu’à ne pouvoir reculer, pour mieux m’acculer ?

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Enfin venait l’explication qui devait peut-être fixer le destin de la progéniture divine. En réalité, elle ne faisait que conforter L’oncle dans sa détermination à aller jusqu’au bout si nécessaire. Daelor se révélait dans toute son horreur par les explications que donnaient sa veuve. Il savait. Il savait que sa perfidie tiendrait car sa femme se considérait prisonnière d’une vision tordue de la piété filiale. Voilà pourquoi Ragaenor avait toujours été convaincu que les femmes ne devaient pas mettre un pied dans le champ public. Leurs vues ne sortaient jamais de leur foyer non parce qu’on les y maintenait, mais parce qu’en réalité, dès qu’elles escomptaient réfléchir sur quelque chose qui dépassait la portée de leur instinct maternel de louve, elles détruisaient l’ordre cosmique qu’elles pensaient précisément observer. Le cas ici était patent. Daelor l’avait su, deviné et mis en scène, c’était évident. Il fallait lui reconnaitre l’habileté. Une habileté dans la destruction et l’humiliation toute particulière. Décidément, cet homme était une vermine, et il devait croupir dans une geôle infernale particulièrement sordide pour tout le mal qu’il avait fait à sa lignée. Une chose était sure, Ragaenor prierait chaque jour pour qu’il n’en sorte jamais. Et pourtant, il n’était pas le seul responsable, la logique profondément perverse moralement de sa nièce l’agaçait. Là s’exprimait tout le caractère nuisible du con. Là se justifiait la méfiance infinie de Ragaenor vis-à-vis des femmes, cette créature construite soit de la petitesse des ambitions ou du feu de la rancœur pour compenser sa faiblesse intellectuelle et physique. Elles partaient toujours non pas de ce que devait croire la tête, mais de ce qu’imposaient leurs tripes et, des tripes, chacun sait ce qu’il ressort.

Profondément agacé, Ragaenor n’en laissa rien paraître, si c e n’est la lueur de feu dans les yeux d’un professeur qui voit son élève raconter des sornettes avec l’assurance d’un mandarin. Il se contint, comme il se contenait à chaque fois, du moins pour l’instant. L’Erudit détestait ne rien dire face à ce qu’il considérait comme une ânerie. Il ne ressentait aucune empathie vis-à-vis de ceux qui les proféraient. Il ne croyait pas au droit à l’erreur mais bien au devoir de se soumettre devant la vérité. Il ressentait de nouveau la frustration qu’il avait ressenti avec ses neveux, imperméables à ses enseignements, fous comme de jeunes chiots et passant outre les indispensables savoir et techniques que leur oncle avait tenté de leur inculquer. Le résultat était qu’ils étaient tous morts et que Ragaenor lui, était bien vivant. Est-ce que sa nièce était différente d’eux ? L’explication, quoique totalement farfelue, n’en était pas moins sincère et découlait d’une autre raison que « je n’ai pas envie de t’écouter, vieux rabat-joie » auquel il avait été si longtemps habitué avec Daelor, ou a l’indifférence polie de Maelor et Taelor. Elle avait infiniment souffert, derrière son visage impassible, Ragaenor le voyait comme dans un livre ouvert. Il plissa un peu les yeux. Pourquoi n’était-il pas venu ? Pourquoi maintenant ? Décidément, cette jeune femme n’avait aucune idée du monde dans lequel elle débarquait. Sa candeur tôt ou tard allait lui couter cher. C’était un luxe que leur lignée ne pouvait pas se permettre. Pourtant, il fallait bien avouer qu’il n’y av ait pas que des motifs politiques à cette absence. Bien sûr, l’humiliation avait joué, mais aussi, bien rangée dans un coin de son âme, la culpabilité de n’avoir ni pu ni su empêcher le désastre. Il se sentait fautif de la mort de ses neveux y compris Daelor. Il avait failli au serment fait à son frère de veiller sur ses fils. Toute son intelligence n’y avait rien fait. Les Dieux avaient leur plan, depuis le départ, la partie qu’il av ait joué pour les sauver était perdue sans qu’il ne le sache. Il ne regrettait pourtant pas de l’avoir joué. Les Dieux font leur travail de dieux, les mortels doivent s’en tenir à leur devoir et faire ce qui est conforme avec la morale suprême. Le stoïcien Ragaenor ne laissait jamais de place à autre chose dans ses actions. C’était une force implacable qui avançait, et à laquelle il fallait se soumettre si l’on ne pouvait l’abattre, car elle ne pliait jamais.

Il ne bougea pas d’un iota tandis que sa Nièce finissait ses explications. Il restait dans cette position, son regard fixé sur elle, comme le sphinx contemplant un impétrant tentant de pénétrer dans un tombeau. En posant la question du pourquoi, elle tentait effectivement de pénétrer dans la chambre funéraire de l’esprit de l’Erudit, là où il enfermait toute ses pensées refoulées depuis bientôt trente ans. Là où personne n’entrait et là où Ragaenor n’était pas encore disposé à lui faire l’honneur d’entrer la première quand bien même la discussion ne semblait pas virer à la dispute. Il y avait trop de souffrance dans le tombeau de l’inconscient de Ragaenor pour qu’il en ouvrit la porte à quiconque. Cependant, dans sa réponse, l’Erudit et l’enseignant en lui refirent surface.


-Non, ton honneur ne découle en rien de ton époux sinon dans les devoirs d’épouse qui sont attachés à cette dignité, pour le reste, ton honneur ne vient pas davantage de ton père. Il vient de la lignée dans son ensemble. La piété filiale n’est pas un honneur rendu à ses simples parents, encore moins pour nous qui sommes une race d’hommes supérieurs au sein même des hommes les plus éclairés du monde. Elle vient de l’ensemble de ceux qui ont servi, souffert et saigné pour le nom Vaekaron, elle nous impose de nous conformer à cette loi d’airain. Il n’existe pas d’honneur familial en dehors d’elle.


Il marqua une pause. Dès lorsqu’il commençait à expliquer quelque chose à quelqu’un, Ragaenor se transformait d’une certaine façon, comme si son cerveau l’emportait dans les hauteurs divines, d’où il regardait les pauvres mortels végéter dans leur bêtise. Ses raisonnements et son savoir frappaient comme des éclairs lancés du haut d’un nuage noir. Il reprit, avec cette même voix incisive et grave qui le caractérisait.


-L’honneur découle du respect de l’autorité. L’autorité des Dieux, l’autorité de l’Etat et l’autorité du chef de la famille. Mais de toute ces autorités, seule celle des Dieux ne voit jamais le risque de faillir ou d’être mauvaise car les Dieux sont parfaits, et ils communiquent l’opportunité de leur perfection dans les autorités humaines, qui peuvent les suivre, ou bien la fouler au pied et ainsi user du pouvoir conféré par leur autorité pour dévier du plan divin. C’est ce que l’on appelle la tyrannie. C’est précisément en tyran que s’est comporté Daelor en se croyant propriétaire de son nom et de toutes les dignités qui y étaient attachés et en croyant ainsi pouvoir en disposer comme on dispose d’un objet ou d’un esclave. Mais non, ma nièce, non ! Il n’était qu’un ususfruitier, devant les Dieux, il a disposé d’une chose qui ne lui appartenait pas et a enfreint les lois éternelles. Dès lors, tu as non seulement le droit, mais le devoir de ne pas t’en tenir à ton serment d’épouse et pour cause : celui-ci a été dissous à partir du moment où il t’entraînait dans un crime contre les Dieux.

Enfin, il parut un peu plus agacé à cette idée totalement idiote qu’il fallait respecter les dernières volontés des morts. Cette idée de femme ou d’imbécile l’avait toujours énervé. Avec contenance, il le fit cependant ressentir à sa nièce, qu’il traitait inconsciemment en élève en cet instant.

-Quant à arguer de la dernière volonté d’untel ou d’unetelle, fût-il un époux, cela n’a guère plus de valeur. Non, ma nièce, les morts n’ont pas voix a chapitre. La dernière volonté d’une personne n’a rien de sacrée en elle-même. Aurais-tu considéré comme sacré que Daelor par exemple, t’ordonne d’assassiner quelqu’un sur son lit de mort ? Ou de détruire la République ? Le caractère sacré d’une dernière volonté ne s’apprécie que si et seulement si elle n’est pas incompatible avec la sacralité des Dieux, de l’Etat et de la lignée. Personne ne possède la sacralité de façon intrinsèque sinon les dieux, ce n’est donc que lorsque nous respectons leurs enseignements d’abord, les lois de l’Etat ensuite, les traditions familiales enfin comme nous sommes le miroir de leur divinité. Les individus ne comptent pour rien, la famille s’efface devant l’Etat, qui lui-même s’efface devant les lois d’airain des Dieux. Là, ma nièce, est la piété réelle, là se trouve le vrai devoir. Le reste est une complicité consciente ou inconsciente avec la tyrannie des pulsions particulières contre l’intérêt public.

Après cet exposé, Ragaenor bougea un peu, et tout en restant assis, il croisa les bras. Contemplant cet animal étrange qu’était sa nièce. Elle, qu’il avait vu grandir, apprendre à marcher, prononcer ses premiers mots, devenir nubile puis femme. Lorgor avait obéi aux prêtres en mariant Alynera à Daelor. Cela résumait parfaitement l’exposé qu’il venait de faire. Daelor était un chien galeux, il ne méritait pas cette femme sublime, pieuse et dévoué. Pourtant, la question n’était pas de savoir ce que ce pourceau méritait. On se fichait éperdument qu’il ne soit digne ni de ce corps, ni de cette réserve, ni de cette loyauté. Les lois de la famille demandaient que la pureté du sang soit préservée, parce que telle était la tradition chez les Vaekaron et chez tous les Valyriens du sud, parce que pour maintenir un lien parfait avec leurs dragons, symbole qu’ils étaient les dépositaires du don divin fait à Valyria, c’était nécessaire. Ragaenor avait d’ailleurs poussé en faveur de ce mariage même si tout son être lui disait que Daelor ne valait pas le dixième de sa future femme. Ce problème n’avait aucune pertinence. Son ton se durcit un peu pour répondre à la question du délai.


-Ne me reproche pas ce délai, ma nièce. Je te le dirai tout net, tu n’as aucun titre à le faire. Car tu n’es pas plus venue me voir alors même que tu savais en ton fort intérieur que ce testament était mauvais, qu’il insultait les dieux. Je te crois sincère dans les raisons que tu évoques et quand bien même je ne leur accorde aucun crédit, je comprends parfaitement qu’elles en aient eu à tes yeux, cela, je le respecte. Mais n’inverse pas les rôles. C’était à toi de venir. Car tu n’étais peut-être pas l’offensante, mais moi, de façon certaine, et pour tout le monde, j’étais l’offensé. Tu t’es sentie prisonnière de ce bout de papier, mais les murs de ta prison, ma nièce, n’étaient pas physiques. Aucun mur, ni aucune porte verrouillée ne t’a jamais été opposée sur le chemin de mon antichambre.


Bien qu’il soit venu ici pour régler le différend, Ragaenor n’était certainement pas prêt à renier ses actions de ces dix derniers mois ni à se laisser mettre dans la position de celui qui devait se justifier vis-à-vis du chef de la famille. Ce serait là sa limite et il entendait s’y tenir. Qui plus est, si sa nièce ignorait qu’elle et son oncle étaient dans une certaine asymétrie de moyens, c’était qu’elle était encore plus naïve qu’il ne le pensait. Là où elle pouvait remplir les charges familiales, occuper son siège au Sénat et donc avait les moyens naturels de posséder les armes pour ce combat, lui n’occupait aucune charge officielle, en dehors de sa dignité de seigneur-dragon, c’était un particulier. Il avait su combattre avec ses propres armes, c’est-à-dire son nom, sa réputation et son influence.

-Parce que maintenant est le bon moment. Parce que si je suis prêt à me battre pour que l’ordre divin qui a été détruit en cette famille par Daelor soit restauré et que ma lignée retrouve son honneur, je n’en ai nulle envie. Je devais faire savoir ma position publiquement, parce qu’il n’était pas question que je quémande mon honneur auprès de qui que ce soit. Cela étant fait, les conditions sont réunies pour que nous puissions parler face à face. Mais c’est surtout parce que l’on m’a rapporté que tu crains ou que tu penses que mon objectif est de te dépouiller et de te détruire. Je voulais donc que tu entendes clairement de ma bouche, ma nièce, que peu importe la gravité du conflit qui nous oppose ainsi que son issue, tu seras toujours ma nièce.


Il tourna un peu la tête et regarda le sol.

-Tu es tout ce qu’il me reste de mon frère.

Ragaenor se contenta de cette phrase sobre. La mort de Lorgor était encore une fissure douloureuse dans le cœur de pierre de l’Erudit. Il était de notoriété publique que ces deux là étaient semblables à des jumeaux, ou à ces petits oiseaux inséparables qui se laissent mourir dès lors que leur compagnon est parti. De fait, depuis la mort de Lorgor, l’âme de Ragaenor avait durci au point de se transformer en obsidienne. Rares étaient les moments où il consentait à évoquer son défunt aîné, c’était pour lui comme une forme de déviance que de laisser transparaître cette petite faiblesse. De fait, il se reprit et reporta de nouveau son regard sur sa nièce. Comme si l’être humain qui avait à peine émergé de tout cet océan de rancune, d’intelligence et de puissante logique pour à peine murmurer quelque chose qui ressemble à un sentiment, venait de nouveau de ce noyer dans les méandres des abysses de cette discussion douloureuse ou seul le rapport de force pudiquement mais fermement installé faisait lieu de monaie d’échange.


-Nous avons deux options en face de nous. Nous pouvons nous battre, et advienne que pourra. Ou bien nous pouvons discuter de comment restaurer l’ordre divin dans notre famille et gravir les sommets de la République afin de remettre notre lignée à sa juste place. La première. Daelor a voulu que nous soyons face à face. Nous avons jusqu’ici joué son jeu sous la contrainte. Nous pouvons choisir de continuer dans cette voie, ou bien, nous pouvons jouer notre propre jeu et fixer nos propres termes à la résolution de ce différend.
Alynera Vaekaron
Alynera Vaekaron
Mīsio Lentor

https://rise-of-valyria.forumactif.com/t661-epreuve-du-feu-d-aly
La tragédie des VaekaronRaeganor & Alynera

Triclinium commun, Tour Vaekar.
An 1066, mois 8.

« Non, ton honneur ne découle en rien de ton époux sinon dans les devoirs d’épouse qui sont attachés à cette dignité, pour le reste, ton honneur ne vient pas davantage de ton père. Il vient de la lignée dans son ensemble. La piété filiale n’est pas un honneur rendu à ses simples parents, encore moins pour nous qui sommes une race d’hommes supérieurs au sein même des hommes les plus éclairés du monde. Elle vient de l’ensemble de ceux qui ont servi, souffert et saigné pour le nom Vaekaron, elle nous impose de nous conformer à cette loi d’airain. Il n’existe pas d’honneur familial en dehors d’elle. »

La nièce observe son oncle débuter sa leçon. Il avait pris le ton, la posture, l’allure, du professeur qu’il avait été des années plus tôt. Resurgissait des abimes de l’enfance, le même son lointain, menaçant, d’un sermon à venir contre la bêtise de son élève. Corps dur et incorruptible que ses enseignements, bien avant celle de l’honneur, voilà sa propre loi d’airain ! Quoiqu’allongée sur sa klinê, animale, les muscles d’Alynera se durcirent. Son être entier se souvient des longues heures passées à ne pas être à la hauteur de l’esprit éclairé de Ragaenor. Enfant, puis jeune fille, jusqu’à ce que les arts du mariage l’éloignent du maître, elle avait tout fait pour que son intelligence brille aux yeux du Mīsio Tembyr. Des nuits entières, elle obligeait les domestiques à se succéder pour garder les flammes des lanternes de sa chambre allumées. Une émule sans sommeil rêvant de recevoir un compliment, même maigre, de son mentor. Tant et si bien que, un jour, sa nourrice s’était plainte au patriarche : la petite princesse régnait sur la nuit en reine despote. Cette soif de savoir l’empêchait de dormir et les Quatorze savaient combien cette bonne vielle femme devait se reposer — elle courrait la journée entière après les rejetons intrépides de la Tour. Lorgor avait rit longtemps, perçant le jeu de sa fille aînée. Et, pour la première fois, Alynera fut réellement meurtrie de ce père qui ne pouvait comprendre toute la noblesse de sa soumission, du meurtre quotidien de son ego, pour espérer parvenir à la voie de la connaissance. Shishya éperdue, elle s’était dévouée complètement à son oncle. Dans son imagination infantile, elle voyait en ce sage une figure divine tutélaire de toutes les connaissances secrètes du monde. Elle avait redoublé d’efforts, espérant qu’un jour, un instant seulement, les améthystes de son oncle puissent briller avec satisfaction. En vain. 



« L’honneur découle du respect de l’autorité. L’autorité des Dieux, l’autorité de l’Etat et l’autorité du chef de la famille. Mais de toute ces autorités, seule celle des Dieux ne voit jamais le risque de faillir ou d’être mauvaise car les Dieux sont parfaits, et ils communiquent l’opportunité de leur perfection dans les autorités humaines, qui peuvent les suivre, ou bien la fouler au pied et ainsi user du pouvoir conféré par leur autorité pour dévier du plan divin. C’est ce que l’on appelle la tyrannie. C’est précisément en tyran que s’est comporté Daelor en se croyant propriétaire de son nom et de toutes les dignités qui y étaient attachés et en croyant ainsi pouvoir en disposer comme on dispose d’un objet ou d’un esclave. Mais non, ma nièce, non ! Il n’était qu’un usufruitier, devant les Dieux, il a disposé d’une chose qui ne lui appartenait pas et a enfreint les lois éternelles. Dès lors, tu as non seulement le droit, mais le devoir de ne pas t’en tenir à ton serment d’épouse et pour cause : celui-ci a été dissous à partir du moment où il t’entraînait dans un crime contre les Dieux. »



L’agacement commence à se lire dans les ridules des yeux du maître. Alynera est pétrifiée. Elle se souvient de toutes les déceptions passées. Pourtant, la peur ne martèle pas son cœur comme lorsqu’elle était encore vierge de tout homme. Elle se tient ferme, sensuelle et féminine, sur l’appui de son avant bras. Rien ne l’a prédisposée à entendre l’accusation dont il l’inculpe. Un crime contre les Dieux. Bat sous la peau de sa tempe une pointe d’énervement envers cette absence, totale, de compréhension. Il ne tentait pas même de la comprendre, d’assimiler, ce qu’elle venait de lui livrer. Il réfutait. Il réfutait comme il réfutait tous les êtres, inférieurs à son raisonnement. Rarement étonné. Rarement surpris par un acte de l’esprit. Il ne feignait jamais un combat envers son adversaire. Sa pensée était la bonne et il la prêchait avec la même constance à tous ceux qui avaient le malheur de s’écraser contre la paroi rocheuse de sa réthorique. L’oncle ne peut pas le voir, mais le sang de sa nièce s’échauffe. À cet instant, une goutte eut suffit à calciner un sang impur. Comment osait-il se tenir devant elle, après ce long silence, et venir l’incriminer d’une telle félonie ?



« Quant à arguer de la dernière volonté d’untel ou d’unetelle, fût-il un époux, cela n’a guère plus de valeur. Non, ma nièce, les morts n’ont pas voix a chapitre. La dernière volonté d’une personne n’a rien de sacrée en elle-même. Aurais-tu considéré comme sacré que Daelor par exemple, t’ordonne d’assassiner quelqu’un sur son lit de mort ? Ou de détruire la République ? Le caractère sacré d’une dernière volonté ne s’apprécie que si et seulement si elle n’est pas incompatible avec la sacralité des Dieux, de l’Etat et de la lignée. Personne ne possède la sacralité de façon intrinsèque sinon les dieux, ce n’est donc que lorsque nous respectons leurs enseignements d’abord, les lois de l’Etat ensuite, les traditions familiales enfin comme nous sommes le miroir de leur divinité. Les individus ne comptent pour rien, la famille s’efface devant l’Etat, qui lui-même s’efface devant les lois d’airain des Dieux. Là, ma nièce, est la piété réelle, là se trouve le vrai devoir. Le reste est une complicité consciente ou inconsciente avec la tyrannie des pulsions particulières contre l’intérêt public. »



Il croise les bras. Il croise les bras comme un athlète se repaît de quelques échauffements matinaux. Il croise simplement les bras s’accordant une pause indéterminée dans son exposé sacerdotal sur la piété, l’honneur et le devoir. L’Érudit est très au fait de l’architecture du monde, dans ses moindres liages, dans tous ses opus. Quiconque aurait pu aisément croire qu’il avait conversé des heures durant à l’Elysée, au milieu des Dieux, des héros et des vertueux, béni du secret des lois de ce monde. Et tandis qu’il fait danser les atomes de ses mouvements gracieux, le corps de la veuve devient aussi brûlant que froid. Elle est désormais complètement redressée. Haute de tout son tronc, son voile est tombé sur ses frêles épaules dévoilant sa tête en cheveux. Elle le toise, interdite, les pensées trop bourdonnantes pour réellement réfléchir à quoique ce soit. Ses yeux, suppliciés, tournoient en même temps que les bras du sage. Elle pourrait parler, attraper ce silence au vol, pour arguer quelques contre arguments. Une vaine défense. Une défense qui viendrait se fracasser contre les codes dogmatiques de son oncle. Mais, pétrifiée d’une douleur aiguë, elle ne dit rien. Elle connait la leçon du professeur par cœur. Celle-ci est inscrite dans tous ses muscles. Le couperet aller tomber. Il suffisait d’attendre.



« Ne me reproche pas ce délai, ma nièce. Je te le dirai tout net, tu n’as aucun titre à le faire. Car tu n’es pas plus venue me voir alors même que tu savais en ton fort intérieur que ce testament était mauvais, qu’il insultait les dieux. Je te crois sincère dans les raisons que tu évoques et quand bien même je ne leur accorde aucun crédit, je comprends parfaitement qu’elles en aient eu à tes yeux, cela, je le respecte. Mais n’inverse pas les rôles. C’était à toi de venir. Car tu n’étais peut-être pas l’offensante, mais moi, de façon certaine, et pour tout le monde, j’étais l’offensé. Tu t’es sentie prisonnière de ce bout de papier, mais les murs de ta prison, ma nièce, n’étaient pas physiques. Aucun mur, ni aucune porte verrouillée ne t’a jamais été opposée sur le chemin de mon antichambre. »



Ce n’était en aucun cas à elle de venir. Comprend-t-il seulement ce qu’il exige d’elle, lui cet homme qui n’a jamais eu la pression vitale de perdurer leur lignée ? Et d’ailleurs, qu’aurait-elle du venir lui dire ? L’implorer d’exiger de Drivo que ce testament soit révisé ? Exposer leur famille, anoréxiée, disparate, plus affaiblie que jamais, aux manigances politiques ? Permettre à des hommes aux mains inférieures à leur rang de toucher leur sacro-famille ? Il n’avait pas eu besoin d’elle pour le faire. Voilà que désormais, grâce à lui, ils étaient tous dans la gueule d’une population qui, quoique profondément bouleversée, se gorgeait de boire le scandale. La Tour Vaekar était devenue une source, gourmande, qui abreuvait toute la péninsule de sa tragédie. 


« Parce que maintenant est le bon moment. Parce que si je suis prêt à me battre pour que l’ordre divin qui a été détruit en cette famille par Daelor soit restauré et que ma lignée retrouve son honneur, je n’en ai nulle envie. Je devais faire savoir ma position publiquement, parce qu’il n’était pas question que je quémande mon honneur auprès de qui que ce soit. Cela étant fait, les conditions sont réunies pour que nous puissions parler face à face. Mais c’est surtout parce que l’on m’a rapporté que tu crains ou que tu penses que mon objectif est de te dépouiller et de te détruire. Je voulais donc que tu entendes clairement de ma bouche, ma nièce, que peu importe la gravité du conflit qui nous oppose ainsi que son issue, tu seras toujours ma nièce. »



Quiconque avait osé rapporter ses pensées secrètes à son oncle, de cet acte traitre, venait de lui affliger un affront dont elle se relèverait difficilement. En cet instant, dans un coup théâtral magistral, l’oncle déchiquète la fierté de sa nièce. Brisée, une dague d’acier dans son cœur, Alynera cherche le regard de Ragaenor. Était-ce folie d’avoir peur de disparaître ? Elle pouvait demeurer sa nièce et être condamnée. Après tout, si la mort devait venir l’embrasser, ses filles ne seraient-elles pas celles qui donneraient leur sang aux futurs Vaekaron ?



« Tu es tout ce qu’il me reste de mon frère. »



Dans son cœur, la lame d’acier est froide. Son thorax s’enfonce dans une douleur immense en sa poitrine. Pire que le testament de Daelor, par sa peur infondée, elle a tacheté la mémoire paternelle. Elle peut voir toute la déception de son oncle. Ils n’évoquaient jamais le souvenir du défunt patriarche. Pudeur, chasteté, un gouffre trop béant, peu importait : ce temps, joyeux, facile, idyllique, de leur vie était muré quelque part. C’est la première fois qu’il évoque devant elle son frère, leur lien intrinsèque, cette sève divine qu’ils partageaient faisant d’eux des rois célestes. Ses doigts font un geste vers l’oncle, comme pour toucher l’image frémissante de son père, puis ils se rangent contre son corps. Elle doit garder sa colère, sa révulsion et son mépris.



« Nous avons deux options en face de nous. Nous pouvons nous battre, et advienne que pourra. Ou bien nous pouvons discuter de comment restaurer l’ordre divin dans notre famille et gravir les sommets de la République afin de remettre notre lignée à sa juste place. La première. Daelor a voulu que nous soyons face à face. Nous avons jusqu’ici joué son jeu sous la contrainte. Nous pouvons choisir de continuer dans cette voie, ou bien, nous pouvons jouer notre propre jeu et fixer nos propres termes à la résolution de ce différend. »



« L’ordre divin de notre famille a été bafoué il y a bien longtemps. »



Ses lèvres s’abreuvent d’une dernière gorgée. La descendante de Vaekar avait pour habitude de ne parler que très peu. Quoique instruite, elle avait peu confiance en les mots. Elle préférait se taire pour n'être qu'une observatrice. Dans la pièce, les domestiques ont baissé leur regard sur le marbre ancestral. À chaque mot du maître, ils découvrent une nouvelle particularité, ou défaut, du minerai. Les plateaux, sur leurs mains immobiles, sont lourds. Leurs oreilles au repos tentent de glaner quelques informations sans pour autant trahir leur fidélité aux Vaekaron. Plus tard, leurs confrères leur demanderont ce qu’il s’est passé ce matin là. Il leur faudra donner quelques éléments. Certains s’observent, sous leurs paupières, un air de connivence. Pour cette race d’homme dénuée de toute magie, il n’était jamais bon d’être trop proche des explosions dragoniques.



« Tes propos me blessent profondément. Comment oses-tu comparer le testament de ton défunt neveu, mon époux, à un crime envers les Quatorze ? Comment peux-tu te tenir devant moi, refusant mon hospitalité, pour me dire que les derniers vœux de Daelor étaient incompatibles avec la sacralité des Dieux, de l’État et de la lignée ? Aucune loi de notre République n’interdit un époux de faire de sa femme sa légataire. Que Arrax me foudroie à l’instant si je l'offense ! »



Le cœur en avant, Alynera sait que ses mots n’auront d’autre impact que d’agacer plus sérieusement son oncle. Elle sait que tout cette histoire n’a, au fond, rien à voir avec les Dieux. Dernièrement, Eleana Targeryon était devenue légataire de son père et personne ne trouvait rien à y redire. Simplement, elle était issue d'une branche cadette d'une famille moins importante. Cette histoire de testament touchait à autre chose. Il venait bouleverser leur tradition vernaculaire. Et, malheureusement, d'une beauté immémoriale, « La Princesse » devait plus que quiconque respecter l’ordre antique établi pour elle par ses aïeuls. Pour cette raison, aucun défaut ne lui avait jamais été permis. Désormais, passée de consort à Mīsio Lentor, elle projetait sa famille dans une modernité à laquelle personne ne pouvait se résoudre. Malgré ses paroles Ragaenor lui-même ne pouvait se résoudre à s’effacer devant l’État et les lois de la République. Elle ne pouvait lui en vouloir car les Vaekaron, avec les autres Dynastes, étaient l'origine, les racines, de cette société. Le socle de l’État c’était eux. 


« Je n’ai commis aucun crime envers les Dieux. »

Elle inspire gravement, les yeux colériques dans ceux de cet oncle qui la blâme.



« Que toutes les personnes présentes dans cette pièce me soient témoins, car tous les Valyriens sont égaux devant Eux et la Loi, si je dois un jour être coupable du mal qu'on m’accuse que je sois emmurée vivante, avec pour seule compagne une dernière lucerna ! »



Ses doigts pincent fortement sa paume du Premier Homme. Elle jure sur sa vie. Toute son âme crépite d’un brasier sombre et violet. D'aucun ne pourrait venir attaquer sa vertu, sa piété ou sa dévotion. Alynera Vaekaron, tout comme son oncle, était une descendante d’Arrax. La magie et les mystères du monde coulaient à flot en leurs veines. De toutes les femmes de la péninsule, elle était réputée pour être une dévote accomplie — et nombreux étaient à ne pas comprendre pourquoi les prêtes ne l'avaient pas accueillie en leurs rangs.



« Quant à Daelor, il fut notre Mīsio Lentor, et l’un des héros de la Guerre contre Ghis, j’aimerais, à l’avenir, que sa mémoire soit respectée. Par tous. Suis-je assez clair ? »



Les domestiques ne savent pas s’ils doivent réagir, les plateaux d’or tremblent entre leurs mains. D’un geste sec, elle les congédie. Il ne servait à rien de les mettre plus dans l’embarras. De plus, la suite de la conversation serait entre elle et son oncle, entre Vaekaron — soit l'un contre l’autre, l’un avec l’autre, l'un dans l’autre. Malgré la confiance qu'elle leur porte, elle ne peut prendre le risque que les mots à venir s’échappent par bribes sur les étals du marché de Valyria.



« Des maux différents nous éloignent. Je le déplore d’autant plus que je t'ai offensée. Cependant, mon oncle, tu te trompes. Tu penses que Daelor a fait rédiger ce testament pour te dépouiller, t'offenser et te tourner en ridicule, mais tu te trompes. De son vivant, je ne dis pas qu’il ne se prêtait pas à ce jeu sournois. Il ne t’appréciait guère, en cela vous vous rendiez bien les choses. C’était un homme jaloux, capricieux et bravache. Il aurait tout fait pour que le feu des Enfers te consume de rage. Et pourtant… ce testament n’était pas fait pour te dépouiller. Tu ne l’as peut-être pas remarqué, mais malgré ses nombreux défauts, il savait faire passer notre famille avant ses sentiments. »



La veuve marque une pause. La mention de Daelor, sa mort prématurée, son testament improbable et la disparition totale de sa fratrie, étaient autant de souvenirs encore difficiles à gérer. Le plus dur était que dans une famille comme la leur où tous ces maux ne lui appartenaient pas, tout autant qu'il lui appartenaient.



« La cause, et la raison, de ce testament n'est autre que mon ventre nourricier. Nous nous sommes mariés jeunes et, malheureusement, je n’étais pas encore assez mûre pour que mes sangs puissent nicher un héritier. Quand l’heure de son trépas est venue, il savait qu’après lui ne viendrait plus que deux mâles encore capable : toi et Daegor. En me nommant à la tête de notre famille, il a fait la seule chose qu’il croyait pouvoir nous sauver… Si je suis Mīsio Lentor, je peux prendre un époux en matrilinéaire — qui non seulement nous apportera sa semence, mais viendra renforcer nos coffres. Si je devenais ta pupille, ta protégée, tu aurais du me marier dans une autre famille et la nôtre serait restée sans héritier supplémentaire pendant encore une décennie. Si il avait été sûr que tu aurais répudié Daenesa pour m’épouser probablement t’aurait-il désigné comme légataire… ou peut-être que, possessif jusque dans le royaume des morts, il répugnait à cette idée. Quoiqu'il en soit, je suis la seule, et pour de nombreuses années encore, à pouvoir donner une descendance à notre famille. Vaessa, recevra son rêve de Meleys dans un an, mais son corps ne sera prêt que dans une dizaine d’années. S'il devait être prêt avant, tu sais comme moi ce que cela signifierait. Son corps ne serait pas assez robuste pour engendrer la source de magie nécessaire à tenir notre dynastie debout. L’Empire de Valyria repose tout entier sur cette magie enracinée. »



Le souffle court, d’un geste chaste, elle replace son voile sur la racine de ses cheveux. Il n’y a plus aucune colère en ses mots. Tous deux étaient dans une impasse cruelle. Ragaenor avait probablement raison de lui reprocher de s'être repliée dans une prison créée de murs invisibles. Désormais, tous ces murs sont là. Exposés. Hauts. Infranchissables. Ses yeux se baissent, d'une pudeur ineffable. La nièce ne s’est jamais autant livrée à son oncle. Et, soudain, elle comprend que la Alynera à qui il enseignait s'est évanouie, il y a bien longtemps.

« Mon oncle, là est le seul jeu légué par Daelor. »



Et j’en suis profondément navrée.

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Ragaenor sentait sans s’en soucier l’agacement, voie la hain qu’il suscitait chez sa nièce. Il restait impassible. Elle pouvait s’offusquer, taper du pied et refuser de voir la réalité en face, il avait raison, non parce que c’était lui qui parlai, mais bien parce que telle étaient les choses. Et pourtant, elle se débattait face à ce terrible serpent et face à l’implacable logique avec laquelle Ragaenor allait bien sur tenter de l’étouffer. Lorsqu’elle commenç à se récrier, l’esprit du Curateu recommença à se mettre en marche, il analysait, il disséquait ses propos avec minutie, son esprit retors et rapide préparant ses réponses avec une précision chirurgicale. Il voyait bien cependant que sa nièce avait changé, il voyait bien dans ses yeux la fureur d’une femme qui avait surement cherché son approbation. En cet instant, il fallait admettre qu’il regrettait qu’elle ne fut pas née homme. Tant de choses auraient été simplifiées pour la maison Vaekaron si quelqu’un de ce tempérament avait été l’héritier légitime puis le chef de la dynastie, bien des traverses eurent été évité et Ragaenor aurait pu continuer à souffrir son statut en silence sans que son devoir ne se ligua avec son ambition endormie pour récupérer ce qui était sien.
Les effusions féminines de sa nièce ainsi que sa grandiloquence à jurer et prendre les dieux à témoin le laissèrent indifférent. Elle pouvait invoquer la foudre, le feu, la glace, et tous les éléments qu’elle voulait auprès d’Arrax ou de quiquoncque. Car, et c’était bien une différence fonamentale entre un bon et un mauvais politique, Ragaeno croyait assez en ce qu’il disait pour le mettre en pratique lui-même. Il connaissait très bien les lois de Valyria et los que sa nièce se lança dans cette pathétique tirade, il étira un peu sa bouche dans ce qui aurait presque ressemblé à un sourire. Fin, imperceptible au commun des mortels, imperceptible à tous, sauf à elle, qui le connaissait finalement bien plus qu’il ne le pensait. Elle savait, en voyant ce petit mouvement de Ragaenor, qu’il s’agissait là d’un avertissement non verbal. Il lui disait de se méfier avec son corps de pareilles certitudes quant à la conformité du Testament de son neveu vis à vis des Loi de la République. L’invisible sourire mourut aussi vite qu’il était apparu. Ragaenor ne discuterai pas de cela avec elle alors même qu’isl étaient en train de résoudre un conflit dont il ignorait si la négociation houleuse mènerait à un traité honnête pour lui aussi bien que pour sa nièce.

En revanche, lorsqu’elle commença à évoquer Daelor, les yeux du frère de Lorgor s’enflammèrent, bien que le reste de son corps ne bougea pas d’un iota. Il tenait le regard de sa nièce. Il plissa légèrement les yeux, signe chez lui d’une fureur contenue dans cette âme damnée si prompte à s’automutiler. Héros de guerre ? Mais c’est qu’elle y croyait en plus. Sa nièce croyait vraiment que son incapable neveu était un héros de guerre et qu’il fallait lui rendre les honneurs. Lui, lui qui avait, contrairement à ce qu’elle affirmait, failli renvoyer les Vaekaron par ses impérities dans les latrines de l’histoire ? Et alors quand elle lui affirma que Ragaenor le lui avait bien rendu, c’était comme briser son âme une seconde fois. Sans le savoir, elle venait de toucher le point sensible de celui qui revendiquait ce titre qu’elle avait obtenu frauduleusement. C’était l’accuser, sans qu’elle ne puisse le savoir, d’avoir manqué au serment qu’il avait fait à son frère. Pourtant, il ne bougea pas plus. Il restait figé comme une statue du commandeur face à une Dona Giovanna qui étalait son ignorance et son orgueil face au jugement divin qui l’attendait. Elle ne pouvait avoir conscience de sa scélératesse. S’il ne la détruirait jamais, parce qu’elle était la fille de son frère, l’envie, pour la première fois, venait de lui éclabousser l’âme. L’envie même de la tuer froidement, ici et maintenant, et de sortir tranquillement suivre le court du jour naquit même dans sa tête. Il n’y céda pas, comme il ne cédait à aucune envie. Néanmoins, si elle croyait que l’autodidacte avait dépassé le Maître, elle se trompait lourdement. Chez Ragaenor, la haine, comme le mépris, était de glace, implacable et rationnelle, et prenait un tranchant revigoré par la rhétorique sanglante du Curateur de la Bibliothèque don les piques laissaient rarement ses adversaires debout. Avec un calme parfaitement contraire, mais trahissant une colère froide qu’il cherchait à contenir, et qu’il contint.

-La grandiloquence et les effets de manche te seront peut-être d’un grand secours si nous allons jusqu’à l’affrontement, mais de grâce ma nièce, fît de tout cela avec moi. Foudres, dieux, enfers, tu peux parfaitement invoquer les esprits même, si cela te sied, mais tu es au moins la complice involontaire de la destruction des traditions de cette famille par feu notre « Misio Lentor » qui s’est cru autorisé à mettre fin à mille ans d’une loi familiale séculaire qui a cimenté noptre culture du sud et notre civilisation valyrienne. Tu peux chercher à t’abriter derrière tout ce que tu veux, la loi de notre famille est directement l’héritière des lois divines, Daelor n’avait aucun droit de changer cela. Au-cun. Le fait que tu défendes séant même sa position constitue déjà en soi un crime qui prolonge le sien.

La leçon qui allait suivre n’était pas une leçon de choses, mais bien une leçon de politique, car Ragaenor commençait à en avoir assez de l’évocation du pseudo héros Daelor, qui n’avait été qu’un incompétent et il était grand temps que sa nièce voit la réalité en face si ce n’était pas déjà le cas, tout en lui apprenant qu’il valait mieux ne pas jouer avec les histoires qu’on ne connaissait pas.

-Moi ? je le lui rendais bien ? Ma nièce, qu’ai-je fait à Daelor sinon lui prodiguer les meilleurs conseils que j’ai pu ? Que lui ai-je rendu sinon mon crédit et mes services alors même qu’il révulsait tout mon être ? De quelle sournoiserie me suis-je rendu coupable envers lui ? Tu n’as aucune idée de ce dont tu parles, ni aucune idée des serments qui liaient ma loyauté à Daelor en dépit de tout. Crois-tu peut-être que ton père, Lorgor, qui vous aimait, tous, ne savait pas de quel bois étaient tes frères ? Et particulièrement son ainé ? Par deux fois, oui, entends-moi bien, par deux fois mon frère m’a fait jurer de prendre soin de lui et de veiller sur lui. Et je l’ai fait, de la première seconde où il est devenu notre chef, jusqu’à ses derniers instants, j’ai tenu MA parole, ignoré de tous et humilié sans cesse.

Il se tut un instant, la rancœur lui remontait dans l’âme, lui qui n’avait jamais parlé de cela à personne, de ce serment qu’il avait eu tant de mal à prêter même à son frère tant il savait Daelor inapte. Il portait en lui la responsabilité d’avoir prêté un serment qui lui avait lié les mains face aux agissements de ce neveu idiot et pusillanime.

-J’ai toujours été là pour vous, dans l’ombre, sans que vous ne le sachiez, vous pensiez peut-être que j’étais perdu dans mes livres, ou que je m’écoutais parler lorsque je faisais mes sermons qui venaient s’écraser face à vos sourdes oreilles. N’oubliez pas que pendant que vous viviez vos vies, j’écrasais la mienne, n’oubliez pas que vos rires et vos joies ont été le salaire de ma relégation dans les limbes. Jaloux ? Bravache ? Capricieux ? Tu es tellement loin du compte, ma nièce. Tu crois avoir vu la guerre parce que tu étais à cette dernière bataille épouvantable qui a vu notre sang englouti par la Mort. Il est bien temps que les écailles de tombent des yeux.

Ragaenor se frotta le menton tandis qu’il allait continuer son récit et tandis que certains secrets qu’il avait gardés pour lui allaient finalement rejaillir, et surtout, qu’il allait enfin faire voir à sa veuve quel homme elle avait eu pour époux.

-La seule raison pour laquelle ton défunt mari est considéré comme un « héros » de guerre, c’est parce que nous avons gagné, et parce qu’il est mort. Si nous avions perdu la guerre ton mari aurait figuré dans les manuels d’histoire comme la plus grande farce de l’histoire militaire valyrienne dont il aurait d’ailleurs fort bien contribué à mettre un point final. Héros de guerre… Tu n’étais pas là lorsque je l’aidais à préparer les réunions de l’Etat-Major, et qu’il refusait d’entendre raison uniquement parce que c’était moi qui le conseillais. Tu ne l’as pas vu se ridiculiser face aux autres grands généraux de cette guerre. J’ai été forcé par ses humiliations de quitter son service pour rentrer à Valyria, comme un vulgaire domestique voleur qu’on congédie en lui donnant la bastonnade. Alors ma nièce, ne vient pas essayer de me vendre, à moi, que ton frère époux savait mettre la famille avant les autres. Je ne suis pas du genre à acheter ce genre de camelote. Tu ne v eux peut-être pas que tes domestiques l’entendent, mais ton frère est le plus bas et le plus vil des perszonnages. Ce fut un mauvais chef, un mauvais homme et un sale esprit. Libre à toi de vouloir préserver sa mémoire de tyran en public, mais ne crois pas que tu le connaissais aussi bien que tu le croyais, ni que tu avais vu les aspects réellement détestables de sa personnalité. Tu l’as vu m’humilier ? Moi, je l’ai vu nous détruire. Si je lui avais rendu, comme tu dis, sa sournoiserie, sa veulerie et sa bassesse, j’aurais fait avec lui comme on fait sans problème dans d’autres famille, je l’aurais fait assassiner pour nous débarrasser de ce cloporte.

Il tourna de nouveau la tête vers le sol. Il en arrivait aux événements douloureux, plus il aurait dû faire preuve d’émotions, plus sa voix devenait métallique, robotique, comme si un processus terrible se mettait en place dans sa tête pour refouler la peine, la rage et la colère.

-Quand j’ai eu compris que je ne pourrais pas raisonner Daelor sur quoi que ce soit et que ce sinistre imbécile se prenait pour un grand général et un combattant de génie, j’ai cherché à prendre mes précautions dans l’intérêt de la famille, toujours. J’ai essayé de faire en sorte que tes deux autres frères rentrent en Valyria. En particulier Taelor, qui n’avait rien à faire sur un champ de bataille. Un échec retentissant. Daelor est mort de sa bêtise, mais Maelor et Taelor sont mort à cause de moi, à cause de mon inaptitude à leur faire entendre raison. Tu n’es pas la seule à être hanté par ces fantômes de ceux que nous avons perdu. Toutes les nuits, je revis sans cesse cette scène où je rentre en Valyria, seul, laissant derrière moi ces deux jeunes sots épris d’aventure à leur charnier futur.

Il replanta ensuite son regard dur comme l’acier valyrien dans celui de sa nièce.

-Je me suis juré que jamais plus je ne vous laisserai jouer avec vos vies et avec l’existence de cette lignée. Et je me tiendrais à ce serment, comme aux autres.

Puis vint l’explication dynastique. Ragaenor, cette fois-ci haussa un sourcil. Il mesurait toute l’horreur de ce que sa nièce était en train de lui raconter. Tout ce qu’elle disait confirmait entièrement sa pensée sur la stupidité de Daelor, et l’incapacité de sa nièce à diriger cette famille. Comment pouvait-elle admettre un seul instant ce qu’elle était en train de dire ? Comment pouvait-elle croire, sans passer aux yeux de Ragaenor pour une idiote, ce qu’elle narrait avec une tranquillité odieuse. Le Curateur serra les points. Cmment pouvait-elle admettre de mêler son sang à une autre famille en ayant recours à l’hypocrisie d’un mariage « matrilinéaire » ? Daelor croyait-il lui aussi à cette niaiserie scincèrement ? Ou bien Alynera ne faisait-elle que spéculer pour s’auto-convaincre qu’il restait un semblant de qualité à Daelor ? Il eu un mouvement, il allait, comme toujours, démonter point par point l’insupportable exposé de sa nièce. Il se ravisa, mais leva les yeux au ciel pour lui faire comprendre qu’il n’en croyait rien, et qu’il n’approuvait pas ces raisons, ni dans leur motif ni dans leurs conséquences. Ragaenor, pour la première fois de sa vie, fit passer le fait d’avoir raison après la considération du fait qu’il devait être difficile pour sa nièce de parler de ces sujets. Il ne fallait pas perdre de vue l’objectif.

-Où cela nous laisse-t-il donc ? Ma position est claire, je n’accepterai pas ce testament. Souhaites-tu donc que nous discutions d’un accord à l’amiable qui tiennent compte de nos deux positions ? Ou bien souhaites-tu briser là l’entretient et aller jusqu’à la motion déposée au Sénat ?
Alynera Vaekaron
Alynera Vaekaron
Mīsio Lentor

https://rise-of-valyria.forumactif.com/t661-epreuve-du-feu-d-aly
La tragédie des VaekaronRaeganor & Alynera

Triclinium commun, Tour Vaekar.
An 1066, mois 8.

« Moi ? je le lui rendais bien ? Ma nièce, qu’ai-je fait à Daelor sinon lui prodiguer les meilleurs conseils que j’ai pu ? Que lui ai-je rendu sinon mon crédit et mes services alors même qu’il révulsait tout mon être ? De quelle sournoiserie me suis-je rendu coupable envers lui ? Tu n’as aucune idée de ce dont tu parles, ni aucune idée des serments qui liaient ma loyauté à Daelor en dépit de tout. Crois-tu peut-être que ton père, Lorgor, qui vous aimait, tous, ne savait pas de quel bois étaient tes frères ? Et particulièrement son ainé ? Par deux fois, oui, entends-moi bien, par deux fois mon frère m’a fait jurer de prendre soin de lui et de veiller sur lui. Et je l’ai fait, de la première seconde où il est devenu notre chef, jusqu’à ses derniers instants, j’ai tenu MA parole, ignoré de tous et humilié sans cesse. »



Profondément piquée, Alynera ferme les yeux. Ses poumons s’emplissent d’air comme lorsqu’ils sont en vol. Ses organes, fermes et confiants, se serrent. L’amertume de son oncle lui est désagréable ; sa mauvaise foi lui est insupportable. Une rengaine trop ancienne, dissonante. Lorgor lui avait peut-être demandé de tenir une promesse, fraternelle et secrète, mais, pour autant, elle ne faisait pas de lui un martyr. Les cadets avaient des serments envers leurs aînés. La famille était une architecture minutieusement hiérarchique. L’ordre de préséance et les prérogatives de chaque étaient différents selon le rang. Alynera n’avait cure de ses problèmes d’humilité, de sa souffrance intérieure ou de son incompréhension à accepter qu’il avait du marcher deux pas derrière ses neveux — et que dire, heureusement qu’ils n’avaient pas eu le temps d’engendrer quelque progénitures ! Elle aussi, quoique l’aînée des ainés de Vaekar, avait du se plier à cette règle.



« J’ai toujours été là pour vous, dans l’ombre, sans que vous ne le sachiez, vous pensiez peut-être que j’étais perdu dans mes livres, ou que je m’écoutais parler lorsque je faisais mes sermons qui venaient s’écraser face à vos sourdes oreilles. N’oubliez pas que pendant que vous viviez vos vies, j’écrasais la mienne, n’oubliez pas que vos rires et vos joies ont été le salaire de ma relégation dans les limbes. Jaloux ? Bravache ? Capricieux ? Tu es tellement loin du compte, ma nièce. Tu crois avoir vu la guerre parce que tu étais à cette dernière bataille épouvantable qui a vu notre sang englouti par la Mort. Il est bien temps que les écailles te tombent des yeux. »


« Quelle force immense d’accepter le dédain d’autrui sachant qu’on ne le mérite pas ! »



Sa gorge émet un râle caverneux. Les atermoiements de son oncle n’étaient pas les siens, pas aujourd’hui. Pendant que vous viviez vos vies, j’écrasais la mienne, n’oubliez pas que vos rires et vos joies ont été le salaire de ma relégation dans les limbes. Elle refuse de devoir se défendre de ces paroles abjectes et pernicieuses. Là était bien plus qu’elle ne pouvait entendre ou accepter. Était-ce la faute de sa fratrie si leur oncle était un être profondément meurtri d’être né fils puîné ? Tous les membres de cette famille, morts ou vifs, portaient en eux des blessures insondables ! Et que dire de la douleur des femmes de l’Érudit ? De ses humeurs constantes, elles aussi avaient été reléguées dans ces limbes ! Pourtant, ils n’appartenaient à aucun de panser ou de diminuer leurs peaux contuses. Chacun devait porter son propre fardeau. Les Vaekaron, plus que tous les autres, nobles, aristocrates, plébéiens et petites gens, portaient dans leur cœur une pierre lourde. Le souvenir de leurs antiques aïeuls évoluait dans un monde les poussant dangereusement vers le précipice du monde connu. Un götterdämnerung.



« La seule raison pour laquelle ton défunt mari est considéré comme un « héros » de guerre, c’est parce que nous avons gagné, et parce qu’il est mort. Si nous avions perdu la guerre ton mari aurait figuré dans les manuels d’histoire comme la plus grande farce de l’histoire militaire valyrienne dont il aurait d’ailleurs fort bien contribué à mettre un point final. Héros de guerre… Tu n’étais pas là lorsque je l’aidais à préparer les réunions de l’Etat-Major, et qu’il refusait d’entendre raison uniquement parce que c’était moi qui le conseillais. Tu ne l’as pas vu se ridiculiser face aux autres grands généraux de cette guerre. J’ai été forcé par ses humiliations de quitter son service pour rentrer à Valyria, comme un vulgaire domestique voleur qu’on congédie en lui donnant la bastonnade. Alors ma nièce, ne vient pas essayer de me vendre, à moi, que ton frère époux savait mettre la famille avant les autres. Je ne suis pas du genre à acheter ce genre de camelote. Tu ne veux peut-être pas que tes domestiques l’entendent, mais ton frère est le plus bas et le plus vil des personnages. Ce fut un mauvais chef, un mauvais homme et un sale esprit. Libre à toi de vouloir préserver sa mémoire de tyran en public, mais ne crois pas que tu le connaissais aussi bien que tu le croyais, ni que tu avais vu les aspects réellement détestables de sa personnalité. Tu l’as vu m’humilier ? Moi, je l’ai vu nous détruire. Si je lui avais rendu, comme tu dis, sa sournoiserie, sa veulerie et sa bassesse, j’aurais fait avec lui comme on fait sans problème dans d’autres famille, je l’aurais fait assassiner pour nous débarrasser de ce cloporte. »



Sa voix est mécanique. Une flèche décochée à chaque mot — comme si, aiguisées, elles pouvaient pénétrer leur victime de la vérité. Alynera avait connu Daelor mieux que quiconque. Ses bras l’avait porté quand il était nourrisson. Ses yeux avaient observé l’amour incommensurable dont le nourrissait Glaïa. Puis, avec les âges, la manière dont de nourrisson informe il était devenu homme. Tous les pores de Daelor étaient sur sa peau. Elle connaissait les frontières de son esprit et de ses excès, que seules de rares personnes osaient qualifier de tares. Après-tout, les débordements de son frère étaient partagés par bien des jeunes gens de ce monde — et tous, toujours, des familles les plus pures. Quoiqu’il en soit, en tant que sœur, épouse et veuve, elle ne pouvait révéler aux autres les déficiences fraternelles. Aussi, Alynera s’était inventée un monde dans lequel son époux, ses frasques et ses humeurs, étaient tolérables. Ragaenor ne pouvait pas le comprendre. Il ne pourrait jamais comprendre les liens qui l'unissait au... cloporte. À cette insulte, elle le toise. Elle aimerait ouvrir sa gueule pour déverser le feu d’Yraenarys. Se jeter sur lui, bestiale, et le déchiqueter à coup de griffes. 



« IL SUFFIT ! »



Sa fureur lui parcours les écailles, tombées depuis de bien nombreuses années de ses yeux. Malheureusement, elles tombaient toujours plus tôt chez les femmes. De rage brillent des larmes incandescentes. Toute sa colère, sa hargne, son désespoir, miroitent sur cet homme doté de l’intelligence supérieure.

« Quand j’ai eu compris que je ne pourrais pas raisonner Daelor sur quoi que ce soit et que ce sinistre imbécile se prenait pour un grand général et un combattant de génie, j’ai cherché à prendre mes précautions dans l’intérêt de la famille, toujours. J’ai essayé de faire en sorte que tes deux autres frères rentrent en Valyria. En particulier Taelor, qui n’avait rien à faire sur un champ de bataille. Un échec retentissant. Daelor est mort de sa bêtise, mais Maelor et Taelor sont mort à cause de moi, à cause de mon inaptitude à leur faire entendre raison. Tu n’es pas la seule à être hanté par ces fantômes de ceux que nous avons perdu. Toutes les nuits, je revis sans cesse cette scène où je rentre en Valyria, seul, laissant derrière moi ces deux jeunes sots épris d’aventure à leur charnier futur. Je me suis juré que jamais plus je ne vous laisserai jouer avec vos vies et avec l’existence de cette lignée. Et je me tiendrais à ce serment, comme aux autres. »


Furieuse, elle se lève. La soie de sa robe rougeoie d’une flamme intense. Ses pieds foulent le sol. Rapides. Secs. Hantés. Elle refuse d’écouter les confessions de son oncle, de cet ego malmené. À l’écouter conter, on le baptiserait bientôt du nom de Sauveur. Mordant sa lèvre inférieure, elle ravale une rage mouillée. Comment pouvait-il s’approprier la mort de ses frères ? N'y-avait-il donc pas une chose, UNE SEULE, dans cette famille qui n’émanait pas de son fait ?



« Où cela nous laisse-t-il donc ? Ma position est claire, je n’accepterai pas ce testament. Souhaites-tu donc que nous discutions d’un accord à l’amiable qui tiennent compte de nos deux positions ? Ou bien souhaites-tu briser là l’entretient et aller jusqu’à la motion déposée au Sénat ? »



« Tu viens, devant tous. Tu te montres, conciliant. Tu parades, offre une discussion. Tu oses poser une question et m’accorder, avec grâce, un choix. Mais tu attends seulement, uniquement, que je me ploie à ta volonté. Ton accord à l’amiable n’est qu’une illusion. Quelle parade fastidieuse, quel épuisement de l’être, mon oncle ! »



Prisonnière de tous, prisonnière d’elle-même, Alynera secrète quelques énervements. Le geste amer, elle verse du vin dans sa coupe.



« Tu m’as liée à lui. Vous m’avez liée à lui, par les mêmes lois d’airains de cette famille que tu clames encore. Alors, n’exige pas de moi, aujourd’hui, de répudier sa mémoire. Je n’ai pas ton sang-froid. Je ne peux regretter d’avoir trop d’honneur pour être assassin. »



Elle regrette déjà ses paroles, mais la colère parle pour elle. Que croyait-il donc ? Il n’y avait pas que lui qui était forgé d’acier ! La même force coulait en eux. Les Valyriens étaient à l’image de leurs dragons, violents et destructeurs. Les étrangers, princes, ambassadeurs et consuls, pouvaient bien admirer leurs civilités, leurs lois et leurs manières d’orfèvre. Tous admiraient le calme idyllique de leur Cité. En vérité, les Valyriens, et plus encore leurs Dynastes, étaient des êtres de chaos. C'est du brasier de leurs dragons que l'Empire de Valyria avait surgi. Ils avaient dévasté la terre, fertile et d'or, pour ériger un monde de marbre. La force vitale de tout Valyria émanait de ce chaos contenu en leurs cœurs.

« Ces manuels d’histoire dont tu parles, que ferions-nous si notre famille ne devait plus en faire partie ? Laisse leurs morts prématurées servir à quelque chose. Ils seront des héros, tous. Dans les siècles à venir notre famille aura donné cinq héros à cette victoire. Sans eux rien n’aurait été possible, un point c’est tout. Je me fiche de vos querelles, de ton orgueil blessé et de leurs compétences absentes. Moi vivante, notre famille sera inscrite parmi les personnages héroïques de ce temps. Et, je suis navrée si tu dois, une fois de plus, rester dans l’ombre de l’histoire. J’apprécierais que tes rages personnelles, non contenues, ne viennent plus entacher ces vérités auprès de nos domestiques. »



Dos à lui, elle ne l’observe plus. Elle ne voit que l’immensité de la ville qui s’étend sous leurs yeux, au loin, derrière les épaisses murailles de leur demeure. Ses mains tremblent des mots qu’il a utilisé, de son cœur dur et implacable dans sa haine. Il était à se demander si le genre humain tout entier ne lui était pas odieux.



« Tu n’es responsable de la mort d’aucun des hommes de cette famille. Je ne dis pas ça pour soulager ta conscience, je t’en ôte le pouvoir. Les hommes de notre famille ne savent pas entendre raison. Quant à la mort de Taelor, elle m’appartient. »



Son corps prononce cette dernière phrase lourdement. Il se tient droit, immobile, la douleur inscrite dans la chair. Alynera était la meurtrière de son frère. Il n’allait pas, une fois de plus, s’abroger quelque chose qui lui appartenait. Oui, il n’allait pas lui arracher sa douleur pour tenter de s'édifier en martyr à la limite du croyable. Il ne savait pas. Personne ne savait, à part Saeralys, peut-être, ce que cette mort représentait pour elle. C’était elle, et elle seule, qui avait chevauché à ses côtés et qui n’avait pas su le défendre des attaques ghiscaries. Il était tombé dans les flots, sans qu’elle ne puisse rien y faire. Cette mort lui appartenait. Elle, et elle seule, avait juré de le protéger.



« Je répondrais de sa mort devant les Dieux le jour de mon Jugement. »



Un susurre bien vite envolé. Inspirant profondément, elle observe un peu plus longuement la vision qui s’offre à elle. Son regard perçant pouvait presque voir Drīvo Perzo et son hémicycle. Ils s’impatientaient de les accueillir. Ils lorgnaient le temps qui les séparant des Vaekaron. Jamais les instances n'avaient été si heureuses de pouvoir briller de leur pourpre superbe. La Flamme allait s'abattre sur eux pour leur donner une leçon suprême : ils n'étaient plus les maîtres de cette terre.



« Le Sénat nous dépouillera. Notre famille ne relèvera jamais de l’affront. »



Les agissements de Ragaenor ne leur laissait pas d’autre choix que d'enterrer leur querelle. Après-tout, il en allait de leur honneur commun, de cette famille, de leurs aïeux, de l'Histoire et des Dieux. Alors, lentement, elle verse une deuxième coupe et la porte devant son oncle. Elle ne lui offrait plus l’hospitalité, mais une promesse de paix à venir. Faisant fi des convenances, bravant le brasier de sa fureur, elle s’assied aux côtés de son oncle. Elle laisse passer un long silence, entravé par le bruit sonore de son cœur battant.

« Que feras-tu si tu deviens Mīsio Lentor ? Je ne parle pas ni de tes agissements au Sénat, ni de ta prestance publique. Que feras-tu pour la survie des nôtres ? »

Sa voix est neutre, presque détachée tant elle est résolue à ce sort qui répond aux volontés divines.

«  Tu me marieras, certainement loin, où je pourrais ne plus t’être funeste. Après une telle bataille, tes fidèles ne pourraient comprendre que tu conçoives encore à me donner un mariage qui puisse te porter préjudice en l’hémicycle. En récompense, je serai donnée à un ami, moins puissant — qui ne pourra pas même pourvoir à mon maigre poids en or. Ta fille aînée sera mariée, ailleurs. Il est vrai que mélanger le sang, dans cette situation, est moins préjudiciable. Puis, ta dernière fille, dans dix ans, devrait épouser Daegor… si les maladies de l’enfance ne les ont pas emportés avant. Il faudra dix ans de plus pour qu’ils conçoivent un héritier, et qui sait si cet enfant aura une sœur pour perpétuer la lignée ? Vingt années. Tu seras peut-être mort avant de voir leur mariage, et, très certainement, avant de voir leurs enfants. Et puis, second fils de troisième fils, élevé après quatre héritiers, Daegor a reçu une éducation ancrée pour ne pas briller par son esprit. Que feras-tu s’il se révèle, dans quelques années, comme ton cloporte de neveu ? Tu ne pourras pas l’assassiner celui-là, ni le remplacer au Sénat, ce sera la disparition de notre lignée. Alors dis-moi, que promets-tu pour la survie de notre famille ? »



Tout autant qu’il voulait lui arracher sa place, les trainer dans la boue pour rétablir l’ordre cosmique des choses de ce monde, Alynera ne voulait pas s’adonner à un destin funèbre. Une fois déjà, sa famille avait voulu la marier au loin, par delà les frontières tempérées. Toutes les familles, même les plus pures, s’étaient précipitées pour être la plus offrante à sa couche nuptiale. Pour une Dynaste, on pouvait bien damner le sang, il en serait fortifié de magie ! La première fois, son oncle lui avait permis de rester dans cette famille. Il avait œuvré pour qu’elle épouse Daelor, son cloporte de neveu dégénéré. Désormais, pour quel autre monstre particulier œuvrerait-il ? Ses paumes, moites, se posent sur ses cuisses frêles. Elle était la seule à pouvoir donner une seconde chance de survit à cette famille. Et il en allait de ’son devoir primaire que d’y répondre. Il n’y avait qu’une seule solution. La bile dans la gorge, ses yeux droits, elle prononce la sentence de leur triste saynète. 



« Prends-moi comme épouse. »

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Ragaenor se contenta de hausser un sourcil lorsqu’elle fulmina contre lui. Bien, là était l’effet recherché. Il avait touché le point sensible dans une froide vengeance contre l’odieux panégyrique de son neveu tenté scandaleusement par sa jeune veuve. A force de remplir la mesure, l’Erudit avait sifflé la fin de la récréation. Les tentatives lamentables de justifier l’action du tyran familial l’avait conduit dans ce retranchement qu’il assumait. Voir ainsi sa nièce bouillir et contenir sa rage ne lui procurait aucun plaisir, mais c’était une nécessité. Là, voyant la lueur de rage qu’elle avait dans les yeux, il se retint de lui répondre que ce sentiment précis, avait parcouru l’échine du dynaste pendant toute les années du lamentable règne de son neveu. Il avait même atténué son insulte. Cloporte ? Non, Daelor était une blatte, en mourant, il avait prouvé qu’il n’avait même pas la résistance du cafard. Ce jouisseur égoïste et pervers représentait toutes les raisons expliquant la fin de la domination des familles fondatrices sur l’Empire de Valyria. En cet instant, contre tout son sang, contre son histoire et sa lignée, son esprit comprenait fort bien les actions d’Arlan le Vert. Ragaenor avait cette conviction profonde que dès lors qu’une création humaine avait cessé de respecter ce pour quoi les Dieux l’avaient établis, elle devait mourir. C’était pour cela qu’il ne regrettait pas autrement que dans son cœur de pierre le régime des triarques. Celui qui avait défendu l’ordre divin, ce n’était pas cet ordre ancien erratique infatuité de lui-même. C’était bien Arlan qui avait jeté à bas un mauvais gouvernement n’ayant eu de cesse, comme Daelor, de jouir du pouvoir au lieu de l’exercer.

Lorsqu’il évoqua la mort de ses frères, elle se leva, étrangement, la confession de l’Erudit ne sembla pas l’approcher de lui, elle semblait se refermer, comme ces petites tortues qui se recroquevillent dans leur carapace et ne laissent aux prédateurs que la solide cuirasse des écailles épaisses formant leur dôme protecteur. Lui qui ne s’ouvrait pas souvent, il retint que cela n’était pas utile avec sa nièce, et que le sujet de ses frères ne l’amènerait probablement nulle part. Il pouvait le comprendre, lui-même restait évasif lorsqu’il s’agissait de Lorgor. Pourtant, il émanait une forme de confiance de cette jeune femme qui l’intriguait. Assurément, la veuve avait souffert, et la souffrance forgeait le caractère. Il ne donnait pas le bon sens cependant. Sa nièce n’en manquait pas, mais il était encore teinté de cette féminine naïveté toute teinté de ces hormones maternelles si préjudiciables à la réflexion de ce sexe.
Cette naïveté consciente d’elle-même et qui, pour se masquer et donner gage de subtilité se plaisait à voir le pire chez les gens dès lors qu’ils s’opposaient à eux. Ecce femina mon ami, ainsi est la femme. Elle ne te combattra jamais pour tes idées, ni ta conception du monde, peu conçue pour l’abstraction, ce qui lui importe, c’est sa personne. Des idées, oui, elle peut en avoir, mais non pas éclairée par la raison, mais par les sordides gynécées ou comme des oies furieuses elles se réunissaient pour se monter la tête et s’adonner à un curieux genre épidictique. La femme ne pouvait s’échapper à ses propres limites, dégradant tout propos par son égocentrisme de boudoir, elle abaissait la philosophie en la concevant à la lumière de ses potins, de ses bigotteries qu’elles confondaient volontiers avec la dévotion. Il avait toujours paru étrange à Ragaenor qu’il y eu des Déesses. Il l’acceptait comme un fait mystérieux, mais sa raison ne parvenait pas à voir comment le féminin et le divin pouvait se mêler. Meleys en était le plus parfait exemple. Il détestait les pratiques de ce culte sordide et n’avait satisfait ses obligations (à défaut de s’y satisfaire lui-même) que par piété civile, vide de volonté et d’intentions. Chaque fois qu’il entendait un de ses congénères utiliser l’expression « rendre hommage à Meleys » au lieu du simple terme copuler, il s’exaspérait. Enrober de divin ses propres perversions pour les justifier n’avait aucun sens, personne ne pouvait croire que les Dieux pouvaient l’accepter. Seule un culte féminin pouvait dégrader le sacré à ce point.

Plus d’accusations vinrent encore. Ragaenor resta de marbre. Naturellement, cela défiait le sens commun. Il était venu négocier loyalement, armés certes, mais loyalement. Qu’imaginait sa nièce ? Que le monde politique Valyrien ne ferait pas de même ? C’était bien là un terrible paradoxe que de vouloir assumer le pouvoir tout en voulant être traitée comme une créature fragile. Chacun à la place de Ragaenor, soucieux du droit élémentaire, en aurait fait autant que lui. Beaucoup même, en réalité, n’auraient pas cherchés à négocier et auraient tout risqués quitte à tout détruire. Ragaenor était un homme patient, pas à pas, il construisait son réseau, pas à pas, il établissait un rapport de force. Il n’y avait pas manqué. Et quoi qu’elle se crût prête à entrer dans le monde, il restait en réalité beaucoup à apprendre à sa nièce pour y tenir le rang qu’elle prétendait lui prendre.

-Je ne suis pas un paon, je ne parade jamais. Au reste, mon but n’est pas de te plier à ma volonté. Mon but est de ne pas subir celle de Daelor. Si je voulais t’écraser, je ne serai pas ici. Ce serait une perte de temps. Pourquoi te proposerais-je une négociation, alors même que tu es -et je le comprends- méfiante à mon égard si je voulais tout ? Non, je te le répète, je suis prêt à un accord qui tienne compte de nos DEUX positions. J’ai perdu la face lors de l’héritage, tu l’as perdue lors de la motion. Un partout, nous sommes quittes. Je n’entendais pas quémander, mais je n’entendais pas plus te soumettre.

La suite le laissa de marbre. Oui, il avait été l’avocat du mariage traditionnel, et il se tenait à ce choix, malgré ce qu’il avait donné. Il eut d’ailleurs un rictus lorsqu’elle enchaina de façon totalement contradictoire sur le fait que s’il obtenait satisfaction, il s’empresserait de l’éloigner. Il ne s’en agaça pas, là était le succédané de subtilité que la naïveté féminine mettait en place pour couvrir ses lacunes. Enjoliver le moyen, noircir le mauvais, s’extasier sur le bon. Ainsi, le monde vu par une femme criait face à cet attentat de l’esprit contre lui : Malheur à moi, je suis nuance !

-Les personnages héroïques de ce temps… Ma nièce, veux-tu que l’on sonde nos domestiques pour savoir combien d’entre eux savent lire les livres qui glorifieront les « personnages héroïques » de ce temps ? Quant à ceux qui sauront, crois bien qu’ils n’ignorent pas la vérité. Les domestiques ne sont pas des sots, ils en savent souvent plus sur nous que nous même. Crois bien que ce que je pense de Daelor, tous les domestiques doivent le penser, en pire. Crois bien que toutes les tares que tu peux avoir, ils les sauront. Tu n’es pas, je te l’ai dit, au Sénat, garde les effets de manche pour les réunions publiques et les intrigues. Je ne suis pas un étranger. La seule raison pour laquelle ces cinq morts seront des héros, c’est parce que cela arrange bien la République, et que c’est le seul lot de consolation que leur mort nous procure. L’héroïsme n’est pas une question de tombe, autrement tout le monde serait de l’héroïsme que tu prêtes à nos morts. Tu peux trouver cela cynique, cruel même, mais c’est la réalité.

Il marqua une pause.

-Ais-je l’air d’un vulgaire tenancier de haras de Ghis ? Crois-tu que, le pouvoir en main, je t’aurais considéré comme une jument dont le pédigrée m’aurait permis de te vendre au plus offrant pour quelque saillie ? Tiens-le-toi pour dit ma nièce, je préfère encore répandre ton sang sur le sol de cette pièce même plutôt que d’aller le souiller dans la couche d’un homme qui ne serait pas de cette lignée. Ce fut ma ligne de conduite lors de ton premier hymen, je n’en aurais pas varié. Je t’aurais maintenu dans le veuvage en l’absence d’un parti qui convienne à la dignité que t’ont conféré les Dieux. Car, tout Misio Lentor que j’aurais été, s’eut été manquer à mon devoir que de salir notre sang dans une manœuvre aussi mesquine. Avilir le sang, c’est là un acte de tyrannie et je ne suis pas D…Et je ne suis pas de ces gens-là.

Il écouta ensuite tranquillement la démonstration alambiquée de sa nièce sur la crise de succession. Elle semblait obsédée par cette question. Il y avait pourtant un héritier, jeune certes, elle le disait, mais il était là, et lui-même ne comptait pas mourir de si tôt. Pour Ragaenor, cela ne justifiait en rien ce qui s’était déroulé. Sa nièce, cependant, avait changé d’attitude. Elle venait, deux coupes de vin dans les mains. Elle lui en tendit une. L’orage était de toute évidence passé, Ragaenor n’hésita pas, doucement, il accepta la coupe. Elle vint ensuite s’asseoir à coté de lui. Il ne bougea pas d’un atome. Cette fois-ci, c’était lui qui devenait méfiant. Était-ce un piège destiné à l’endormir ? Sa nièce le connaissait trop pour savoir qu’un tel artifice ne marcherait pas. Ragaenor jouait sa vie, il était en éveil comme un soldat acculé au choix entre la mort ou la victoire. Il prendrait tout sur l’ennemi et ne cèderait pas un pousse de terrain sur ses objectifs. Cela cachait donc autre chose. Et cet autre chose vint. Ragaenor devait bien admettre qu’en venant négocier, il ne s’était pas attendu à cela. Il ne bougea pas, malgré la surprise totale de la demande de sa nièce. Un mariage entre les deux combattants ? Était-ce un piège qu’elle lui tendait ? Il n’y avait plus de témoins, elle pouvait mentir. Il pourrait mentir. Si elle avait voulu semer le trouble dans sa réflexion habituellement si méthodique, c’était une réussite sur toute la ligne. Il fallait peser le pour et le contre. Cette demande signifiait cependant que la question successorale prenait l’importance sur tout dans l’esprit de sa nièce. Inutile donc de chercher à renégocier sur une autre base. Si négociation il devait y avoir, ce serait sur la base de cette union. A prendre ou à laisser. Cependant, le dynaste se voyait mal répudier sa femme et il n’y était pas préparé en rentrant dans cette salle. Sa sœur, quoi qu’elle eût failli à lui donner un fils, avait tenu ses devoirs. Fallait-il voit dans cette demande une faiblesse ? Sa nièce était-elle si isolée que cela ? Si tel était le cas, c’était l’occasion de bondir, forcer la lutte au Sénat, et emporter le morceau. Au risque de tout perdre ? Il considéra sa nièce. Le mariage avait ses avantages, il mettrait fin au conflit, les Vaearon pourraient enfin se concentrer sur l’essentiel. Qui plus est, il aurait été d’un goût affreux de nier que sa nièce ne pouvait pas laisser un homme indifférent, physiquement du moins, ce qui était un prérequis relativement utile pour entreprendre de calmer ses inquiétudes successorales. Mais que faudrait-il concéder dans cette union ? Car transiger sur cette base, c’était aussi prendre le risque, au final, de gagner bien moins que ce qu’il était en droit d’exiger, et même, s’il décidait d’aller devant le Sénat, c’était renoncer à la perspective d’emporter toute la mise.

Demander un délai signifierait élever la méfiance de sa nièce. Il fallait répondre là, tout de suite, maintenant. Alors, dans le secret de cette pièce, il donna, d’une voix grave et rauque, sa réponse, tranchante et implacable comme il savait lui seul les aiguiser. Seule sa nièce, eut connaissance du coté où le couperet était tombé. Sans un mot de plus, Ragaenor se leva et quitta la pièce.

Le temps des palabres cèderait bientôt le pas à celui du tumulte furieux, du sang et du combat féroce.

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