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Ubi maior minor cessat@Alynera Vaekaron & Arraxios Maerion

Castel Maerion. An 1066, mois 8
La chaleur qui s’installe n’est pas encore pesante, mais je remercie pourtant mes ancêtres d’avoir placé dans ce coin du castel le bureau où je dois bien passer le plus clair de mon temps quand je suis chez moi : il y règne une fraicheur qui tient l’âme en éveil, qui empêche de s’engourdir les longs après midi consacrés à l’étude. On somnole volontiers sur la terrasse, on s’assoupirait presque dans la tiédeur des pièces où l’on reçoit du monde : ici on reste concentré. Cela n’empêche certainement mon esprit de s’évader parfois, mes pensées de s’étendre loin de tout ce qui m’entoure – mais au moins je me sens maître de mes divagations. Je ne sais pas pourquoi, alors je relève une fois de plus le nez de mon travail en cours, alors que mon attente se transforme lentement en impatience, je me prends à songer à quelque chose que me disait mon père. Sans doute parce que c’est une leçon qu’il donnait souvent ici, dans cette pièce – j’étais alors de l’autre côté de ce bureau massif, je me sentais presque écrasé par le poids de ce meuble sous lequel j’aurais voulu me cacher pour éviter une nouvelle remontrance, une colère ou un regard déçu. Et la voix, froide et sèche, qui annonçait presque lassitude : Arraxios, le fort écrase le faible. Sa phrase préférée, de très loin – en tout cas celle qui aura le plus marqué mon plus jeune âge, les mots que je l’entends le plus me souffler aujourd’hui encore à l’oreille. Le fort écrase le faible. Un principe d’éducation, une maxime à connaître par cœur. Que j’ai fait mienne, que j’ai répétée à mon tour à mes enfants – taisant pour eux les nombreux doutes et les nombreuses questions qu’elle avait soulevées en moi. Une phrase transmise comme un héritage, comme on transmet son sang, son nom, son histoire. Combien de Maerion l’ont dites à leur fils avant qu’elle n’arrive jusqu’à moi et que je la souffle aux miens ? Etrangement, la demeure semble soudain raisonner de mes doutes, qui ont peut-être été les leurs, qui seront peut-être celles d’autres après nous. Le fort écrase le faible, c’est presque comme un ordre en négatif, une énigme – quelque chose qui demande pour être véritablement compris une abstraction. Que signifie chaque mot ? Qu’est-ce que c’est, être fort ? Comment le devient-on, est-on né comme cela ? Mon père le répétait pour m’éviter de sombrer dans un certain sentimentalisme qui aurait pu gagner le gamin que j’étais, pour m’interdire les faiblesses du caractère qui abaissent un homme plutôt que l’élever. Et pourtant, Vhaenyra, dont le cœur a toujours été bien plus tendre que le mien, les passions bien plus affichées, est-elle faible ? Elle est capable d’une force plus que redoutable… Qu’est-ce que la faiblesse dans ce cas, peut-être faut-il le prendre ainsi ? Je n’ai pas plus trouvé de réponse satisfaisante à cela – ce qui était se montrer faible pour moi ne l’était pas pour ma sœur-épouse, pour mes enfants. La faiblesse devenait relative. Il m’a semblé alors, sans que je n’ose demander à mon père, à mes oncles, ou à un autre Maerion confirmation, que la clef de lecture de cette quasi-devise familiale se trouvait dans son verbe. Ecraser. La force ou la faiblesse, ce serait donc la capacité ou non de maîtriser son monde, de dominer – de détruire même, si cela devenait nécessaire. C’était prendre sa place, au dépend des autres même. Le fort écrase le faible, c’est un rapport au monde.
Et j’ai une admiration certaine pour ceux qui n’ont pas peur de le faire, qui s’essaie à cette domination – avec ce qu’elle implique de violence, de terreur, de mensonges.

Peut-être que ces questions me reviennent maintenant parce que j’aimerais pouvoir trancher déjà au sujet de la visite que j’attends ? Que mon esprit revient à cette phrase comme mon regard à l’entrée de cette pièce parce que j’aurais aimé avoir une certitude, me dire qu’Alynera Vaekaron était forte, ou faible.

La balance penche peut-être un peu plus vers la force.
L’odeur est ce qui me revient toujours à l’esprit en premier, quand je pense aux batailles menées. Celle-ci la première – il régnait à la fin une odeur de bois et de chairs carbonisés. Ensuite, ce sont les cris – ceux que le feu de nos dragons n’avait pas consumé entièrement qui geignaient, suppliaient. De la charge elle-même, les images sont plus vagues, je revois plus clairement la discussion avant, la stratégie. Et puis, fendre l’air sur le dos de Caraxos, dépassé rapidement par les dragons les plus rapides, crier, faire des signes. Jusqu’à se retrouver près de ce bateau, dire enfin dracarys. Plusieurs étaient tombés déjà, et tout autour de moi – tout autour de nous j’aurais plutôt dit tant le lien qui m’unit avec mon dragon me semble particulièrement fort au cœur de l’action – de nombreux autres s’élevaient pour revenir et lécher les flots bleus de toutes les couleurs de ces flammes qui s’abattaient du ciel. Et il y avait là-bas, dans un coin de mon champ de vision, au moins temporairement, cette blonde montée sur un dragon cuivré strié de lignes améthyste – des autres détails je ne me souviens pas. Avais-je trouvé cela étrange, qu’une femme soit avec nous ? M’étais-je dit, c’est une femme, elle est trop faible pour ce genre de choses ? Ou au contraire, avais-je admiré la force de celle qui n’était pas destiné à la bataille mais y venait quand même ? Je ne crois pas que j’ai eu alors le loisir de philosopher sur la question.

Et bien je l’ai aujourd’hui, et avec cela le temps également de me demander quel genre de personne elle peut bien être en général. Il me faut trancher vite, vite me décider – c’est un beau coup d’éclat que celui de son oncle qui nous force à nous positionner dans un débat qui ne me plaît pas vraiment de voir porter jusqu’au Sénat. Avions-nous vraiment besoin de cela maintenant ? N’est-ce pas problématique, cependant, qu’un jeune homme préfère à son héritier mâle une jeune femme ? Surtout quand l’homme a un tel esprit ? Je n’ose imaginer comment j’aurais pu réagir si cela était arrivé dans ma famille.

« Maître, la Sénatrice est là. »

Je souris à Yezzan qui vient d’apparaître, avant de lui faire signe de l’emmener à moi. L’esclave aquiesce et disparaît d’un pas surprenamment leste compte tenu de la façon courbée dont il se tient ou de son habituelle flegme. Quand elle arrive, j’ai fait le tour du bureau et je me tiens droit et souriant – ce genre de sourire dont il est difficile de savoir s’il est une politesse ou une vraie chaleur. Est-ce une bataille que je m’apprête à mener ? Certainement – simplement, je n’ai pas encore décidé contre qui je me bats.

« Bonjour Sénatrice. Je suis heureux que tu sois venue et que tu m’accordes un peu de ton précieux temps. Je suis navré de t’avoir fait venir jusqu’ici, hélas, je ne peux m’offrir le luxe des promenades et abandonner mon travail bien longtemps. »

J’aurais pu, bien sûr, aller la trouver au Sénat – mais il m’a semblé pour le coup qu’il s’agissait d’un aveu immédiat : c’était la reconnaître comme légitime dans son titre avant même de l’avoir décidé – et j’aime à me penser un homme mesuré et réfléchi. Je la détaille alors que je lui désigne un siège que je lui tire bien volontiers avant de retourner à ma place, sans la lâcher des yeux.

Mille questions brûlent mes lèvres, mais ne les dépasseront pas.
Veux-tu vraiment de ce rôle que ton frère t’a donné ? As-tu ce qu’il faut pour cela ? Quel genre d’ambitions sont les tiennes ? Que veux-tu pour toi-même, pour ta famille ? Jusqu’où seras-tu prête à aller ? Qui te suivra, et jusqu’où te suivront-ils ?
Ces questions me viendraient-elles, identiques, si elle n’était pas femme ?

« Puis-je t’offrir à boire ? »

Cela me semble plus raisonnable à dire que toutes les pensées qui se bousculent dans mon esprit. Entre nous, le bureau de bois couvert de parchemins rappelle quel homme occupé je peux être – mais je me tiens penché face à elle, comme pour éviter que le décor ne dresse un trop large mur entre nous. J’essaie de décider si c’était une bonne idée de l’inviter aujourd’hui.

Beaucoup de visages sont tournés vers moi, et beaucoup vers elle. Qui, parmi mes alliés ou mes ennemis, la soutiennent ou soutiennent son oncle dans cette guerre qu’ils semblent se mener sur ce testament ? Car c’était bien une déclaration de guerre de la part de Ragaenor que de déposer ainsi cette motion au Sénat ? Me ferais-je trop d’ennemis, à la soutenir elle qui n’est qu’une femme ? En ai-je vraiment envie ? Serait-ce intéressant ? Aurais-je du proposer à l’Erudit de venir discuter ? Je pourrais toujours dire que je suis encore neutre, que je me laisse le temps de peser le pour et le contre et ce ne serait pas faux. Cependant c’est un signal fort que j’envoie : j’invite la nièce avant l’oncle. C’est à elle que je parlerai en premier, elle que j’écouterai – elle qui m’entendra. Faut-il que je sois franc et direct, ou vaut-il mieux que je me fasse mielleux ? J’ai l’impression de marcher sur plus d’œufs que je ne le devrais, simplement en raison du sexe et des attributs que cachent ses vêtements – cela ne me plaît pas. Qu’est-ce que je ferais, si elle n’était pas femme ? Mon sourire s’efface un petit peu : nous avons pris les armes ensemble, sans doute pas tant de manières.

« Si je t’ai invitée c’est parce que je pense que nous avons quelque chose de remarquable en commun : nous pourrions tous les deux aider l’autre. Alors bien sûr, il reste à déterminer à si nous le voulons et dans quelle mesure ; mais c’est une similitude suffisamment appréciable pour que nous en discutions au moins, qu’en penses-tu ? »

Je pose mes coudes sur le bureau et croisent mes mains alors que mon sourire me revient et s’étire encore plus. Elle a écrasé avec nous l’ennemi ghiscari à Mhysa Faer – mais est-elle une forte ici, entre les murs de notre antique cité, ou faible ? De sa réaction à mes mots j’attends beaucoup de réponses, et je la scrute pour que rien ne puisse m’échapper.

Alynera Vaekaron
Alynera Vaekaron
Mīsio Lentor

https://rise-of-valyria.forumactif.com/t661-epreuve-du-feu-d-aly
Ubi maior minor cessatArraxios & Alynera

« Crois-tu qu’il court un réel danger ? »



À travers le miroir en cristal de roche, Vaessa observait sa cousine avec de grands yeux mauves. Sa voix était atone. Malgré sa question, elle ne voulait pas avouer l’angoisse qui lui nouait la gorge. Il n’y avait aucune nouvelle de son père. En vérité, elle ne comprenait pas pourquoi il avait accepté, volontairement, de courir un aussi grand danger alors qu’il menait une bataille si singulière en leur Cité. Lui qui les avait obligées, elles, les trois femmes de son existence, à ses humeurs viriles, voilà qu’il les abandonnait. Ses sentiments étaient partagés entre admiration et colère incommensurable. 



« Probablement. »



Alynera, qui se préparait pour son rendez-vous, aidée par ses trois domestiques, termina de piquer son épingle à feuilles d’or au milieu de son épaisse chevelure. Ses lèvres se pincèrent lorsque le métal pénétra dans sa peau crânienne. Il fallait toujours s’infliger cette petite douleur, qui, avec les heures, se transformait en simple sensation désagréable, pour être certaine que ces coiffures sophistiquées soient immobiles pour plusieurs heures. En réalité, elle n’aimait pas vraiment cette dernière mode, inventait par Naerys, qui consistait à enrouler un chignon compliqué autour d’un lourd bandeau d’orfèvrerie. D’ordinaire, la veuve suivait peu les tendances volatiles des femmes de ses cercles, préférant l’honneur sans égal de lancer une mode. Malheureusement, ces derniers temps, elle n’avait plus la tête à ces coquetteries — ni le temps, par ailleurs, car un temps important était nécessaire à l’art d’inventer ce qui devait paraître naturel.



« Ton père est un être sage et avisé. Nul doute qu’il est le mieux préparé et paré à cette expédition. Tout ira pour le mieux. »



Du bout de son apex lingual, elle avait appuyé ces derniers mots pour y croire elle-même. Les augures décrivaient cette expédition folle tant elle était incertaine… mais elle voulait croire, sincèrement, que Ragaenor leur reviendrait sain et sauf. Haïssant la possibilité d’un nouveau deuil, elle chassait l’affreuse sensation que s’il revenait victorieux sa gloire serait sans fin et ô combien dangereuse pour sa position ! La Misio Lentor, dans toute la fragilité de sa position, avait bien conscience que la finalité de cette quête aurait des répercussions, favorables ou néfastes, sur son futur. Tôt ou tard, ses exploits guerriers seraient oubliés pour mieux célébrer le triomphe de l’aventurier. Pour tout avouer, quand ses biles étaient aussi noires que la pierre volcanique, Alynera se demandait si son oncle n’était pas parti uniquement dans l’espoir de mieux arriver à ses fins. Abjectes, elle tentait de chasser ces pensées aussi loin qu’elle le pouvait. Néanmoins, elles revenaient constamment en sa mémoire. 



« Ce soir, nous irons prier Vermax pour ses bénédictions. »



« Merci, ñuha jorrãelagon mandia. »



Dans un bref silence, les domestiques terminèrent de sécuriser la chevelure de leur maîtresse. Avec volupté, elle vaporisèrent un encens capiteux constitué à partir de résine luxueuses de benjoin et de myrrhe venant accentuer les notes des pétales de roses. Au milieu des fumigations parfumées, les deux Vaekaron prirent un moment afin de savourer leurs pensées secrètes. Les deux cousines ne s’étaient pas retrouvées ainsi, cote à cote, depuis de nombreux mois. Bien que très imposante, la Tour Vaekar n’était pas la plus grand demeure de Valyria… néanmoins, depuis la mort de Daelor, elle vivaient dans deux mondes distincts. Le silence, entrecoupait par les sons étouffés de leur capitale, permettait de croire que rien n’avait changé.

« Alors, je peux réellement choisir ce que je veux ? »



La Dame de la Tour observait sa cousine bienaimée au milieu des fastes de leurs aïeuls. Vaessa était assise au milieu d’une mer de coffres regorgeants de bijoux, coiffes d’or et pierreries. Le butin était accumulé par les descendantes de Vaekar depuis des siècles. C’était un héritage hétéroclite car certaines pièces, malgré la beauté de leur ouvrage, étaient bien désuètes. Malheureusement, aujourd’hui, la fortune familiale avait disparu et les descendants du Dynaste n’avait plus qu’un legs : la distinction sociale. Il fallait user de stratagèmes pour entretenir la cadence charnelle avec laquelle les femmes aristocratiques consommaient les bijoux. Profitant du départ de Ragaenor, Alynera avait continué ce pour quoi elle était née — c’est-à-dire une politique résolument féminine. Le calcul de l’arbre généalogique de la famille était d’une simplicité déroutante : elles étaient trois filles pour un mâle. Un garçonnet qui de ses dix ans ne pouvait prétendre offrir sa semence avant de nombreuses années… Aussi, Alynera, propulsée sur l’autel du destin, était prête à faire ce qui était nécessaire pour la protection de sa famille. Dans une année, peut-être un peu moins, aurait lieu le rêve de Meleys de Vaessa. L’erreur commise avec sa propre entrée dans le monde ne serait pas faite deux fois. Évidemment les discussions avec Ragaenor n’avaient pas été officiellement menées, mais Alynera connaissait sa cousine pour l’avoir élevée comme une sœur — si ce n’est, parfois, une fille. La meilleure façon était de lui mettre des joyaux entre les mains. Alynera était prête à montrer à toute sa famille qu’elle était la femme la plus importante dans la hiérarchie de leur gynécée dynastique. Et elle entendait que toutes obéissent à ses choix.



« Une parure complète. Nous irons chez l’orfèvre transformer ce qui doit l’être. Ta mère t’offrira probablement ses plus beaux joyaux alors je te conseille de réfléchir à des pierres plus discrètes, dont la couleur est en accord avec tes astres et tes constella… »



« Ma Dame, le palanquin est prêt. »



« Reste aussi longtemps que tu le souhaites, on s’occupera de tout ranger. Nous nous voyons au temple pour la dixième heure. Vaessa ? »


« Oui ? »

« Je suis sincèrement navrée que nous soyons… dans cette situation délicate. »




***



« Bonjour Sénatrice. Je suis heureux que tu sois venue et que tu m’accordes un peu de ton précieux temps. Je suis navré de t’avoir fait venir jusqu’ici, hélas, je ne peux m’offrir le luxe des promenades et abandonner mon travail bien longtemps. »



Brièvement, les iris de la Vaekaron flambèrent de la même fureur que son dragon lorsque son fier orgueil était malmené. La maître des lieux tentait-il d’insinuer qu’elle, par sa qualité de femme, était plus à même de s’offrir le luxe d’une promenade jusqu’au Castel ? Ces simples mots, délicats comme de la soie, suffisaient à lui faire comprendre que le Maerion ne voyait pas encore en elle un pair. Son oncle, ce lâche, avait peut-être raison : les traditions du Sud n’étaient pas faites pour être basculées. Cependant, ce fatum lui avait été imposé par les Quatorze et elle n’avait d’autre choix que d’y répondre.



« Lumière de Sagesse, elle inclina légèrement l’échine, laissant percevoir le sommet de son crâne olympien, c’est toujours un plaisir que de venir au Castel. »

Après tout, quand bien même il aurait pu s’offrir le luxe d’une promenade, comme celle qu’elle avait du faire pour rejoindre sa demeure par exemple, n’aurait rien changé. Le Sénat n’était pas un endroit approprié pour la rencontre qui serait leur. Et quoique son oncle soit parti pour Sothoryos, la Cité légendaire perdue depuis des siècles, la Tour Vaekar n’était également pas un lieu propice. Juste, Alynera préférait ne pas profiter de cette absence pour fomenter trop publiquement derrière son dos. Évidemment, cela ne changeait rien au fait qu’elle soit venue aujourd’hui mais, à ses yeux, il y avait quelque chose de plus loyal.



« Puis-je t’offrir à boire ? »



« Volontiers. »



Gracieusement, d’un geste rompu à la délectation des hommes, elle ramassa sa longue robe consulaire pour prendre place. C’était la première fois qu’elle pénétrait dans cette pièce d’ordinaire jalousement gardé des femmes. Le bureau du patriarche était constitué de collines de parchemins, dont certains étaient encore scellés. Tous les courriers du grand empire de Valyria semblaient avoir convergé jusque vers ce sobre objet d’ébène. Tout comme le pouvoir en place, ils menaçaient de s’écrouler au moindre faux mouvement, à la moindre brise printanière imprévue. Étonnamment, le lieu, cœur des intrigues, ne faisait aucune référence aux terribles rumeurs qui parcouraient le nom des Maerion.



« Si je t’ai invitée c’est parce que je pense que nous avons quelque chose de remarquable en commun : nous pourrions tous les deux aider l’autre. Alors bien sûr, il reste à déterminer à si nous le voulons et dans quelle mesure ; mais c’est une similitude suffisamment appréciable pour que nous en discutions au moins, qu’en penses-tu ? »



À l’instar des autres dynastes, la fille de Lorgor n’avait pas été élevée dans l’appréciation des Maerion — ni de leurs ancêtres ou de leurs descendants à venir. En effet, plus que le dard de leur marque personnelle, cet organe qu’ils aimaient à arracher pour le marteler d’un clou de fer, le souvenir de l’assassinat de Daenya Riahenor posait un souci de conscience. Quoique datant de la Valyria antique, quelques neufs siècles plus tôt, cet épisode impur n’avait de cesse d’être au cœur de l’éducation des Seigneurs Dragons. Il rappelait que de simples mortels avaient osé faire couler le sang d’une fille d’Arrax. Depuis ce jour funeste, où la terre des humains s’était gorgée d’une magie secrète, les membres des trois dynasties avaient appris à se méfier de la bile noire de ces régicides. Car, quels hommes pouvaient oser attenter à la vie de ceux qui portaient la moitié de l’univers en leur sein ? Aujourd’hui, les rixes étaient rares. Il faut dire que les dynastes prenaient grand soin d’éviter toute confrontation : lors des événements mondains ils se vouaient une indifférence cordiale.



Les femmes de la Tour Vaekar vouaient tout particulièrement une rivalité à l’épouse d’Arraxios. Pour leur plus grand effoi, Vhaenyra Maerion s’efforçait depuis sa naissance à laver le nom des siens. Elle y excellait. En vérité, c’était une matrone aux manières impeccables et, pire encore, animée d’une dévotion totale aux Dieux. Cependant, les langues les plus envenimées, ou les plus justes, selon son camp, aimaient à nuancer la chose : Vhaenyra excellait à racheter, à grandes brassées de pièces, dans une ostentation qui n’avait rien de noble. Les femmes Vaekaron qui ne pouvaient se permettre de dépenser avec autant de fastes, comme si l’or coulait sans ne jamais s’épuiser, avaient naturellement toujours ressenti une amertume discrète pour cette femme à qui tout semblait sourire. Partageant les égards de ses mères, Alynera avait pourtant été forcée à se rapprocher de la matrone. En effet, célébrée comme la princesse que cette terre n'avait jamais eue, elle ne pouvait se laisser distancer sur ses terrains de jeux. Avec les années, les deux femmes avaient développé une relation qui, si elle n’était pas amicale, présentait quelques solides affinités.  Ainsi, Alynera était toujours aux premières loges des fêtes les plus somptueuses du Quadrant Ouest, au cœur des derniers goûts artistiques, et, en échange, Vhaenyra profitait de l’aura divine de sa jeune compagne — espérant voir ses enfants gravir dans les mêmes cercles prestigieux que les dynastes. Par égards pour cette grande dame, Alynera avait accepté de servir de chaperon à sa benjamine. Il s’agissait bien évidemment d’une faveur, d’un prestige, immense pour les Maerion car elle permettait à cette petite sotte de Daenerys de paraître bien plus honorable et intéressante qu’elle ne l’était réellement…



De toute évidence, il en allait tout autrement concernant ses liens avec le patriarche. Hormis la bataille de Mhysa Faer, à laquelle elle avait été sous ses ordres, leurs conversations étaient toujours  spartiates. L'un des Cinq, portant le nom du dieu suprême, Arraxios ne s’était jamais réellement intéressé à la Princesse de Valyria. D’ailleurs, à la suite de la mort de Daelor, il avait pris grand soin de ne pas se positionner sur la motion de Ragaenor, ni sur… ni sur rien du tout à vrai dire. À bien y réfléchir c’était la première fois qu’elle se trouvait seule à ses côtés et, quand bien mamelle n’avait pas besoin de porter le nom d’un dieu pour clamer son ascendance, cette réalité l’intimidait. 



« Ñuha āeksio, tu as tout mon sincère dévouement. »



En réalité, Arraxios Maerion n’était pas dans une position plus enviable que la sienne. Au contraire, le pouvoir qu’il avait si fièrement amassé était en train de se disperser entres ses doigts. Il était en train de descendre tous les échelons de sa popularité. Sa propre faction, dans la poigne de Daeron Gazarelys, lui avait planté un glaive entre les omoplates. Ce dragon blessé, affaibli, trahi, ne pouvait que difficilement battre l’échiquier humain qu’avait  mis en place Baelor Cellarion, prêt à tout pour écraser ses adversaires. Pour d'aucuns, Arraxios Maerion appartenait au passé. Il était certain qu’Alynera, malgré une position politique mise en danger, avait beaucoup à lui offrir. Et, le vieux patriarche devait en être parfaitement conscient car, selon ses sources, il ne s’était pas encore rapproché de son oncle.



« Admettons que nous devions nous entendre, comment pourrais-je t’aider Sénateur ? »


La question était abrupte, mais elle n’était pas venue pour déguster le doux vin de la péninsule et gaspiller son temps. Après tout, c’était une rencontre entre politiciens. Et, poussée dans l’hémicycle  par la force du destin, la Mīsio Lentor de la Tour avait assimilé la manière de penser typiquement masculine de ses pairs : tout était une question de balance. Que son oncle gagne ou perde cette motion, son prestige n’en serait pas terni. Malgré son intelligence hors norme, Ragaenor ne possédait pas les atouts de sa nièce. Elle était bien plus populaire auprès du peuple qui, depuis son enfance, la vénérait comme une quinzième déesse. Plus encore, physiquement, il ne pouvait offrir les mêmes perspectives glorieuses — aux Maerion comme à quiconque dont le sang était irréprochable. Les jours étaient comptés jusqu’à son prochain mariage. Alors qu’elle demeure Mīsio Lentor ou simple Vaekaron, elle pesait le même poids dans le jeu des alliances et des coalitions. En bref, elle n’avait rien à perdre contrairement à son oncle ou à son potentiel allié. Aussi, Arraxios pouvait bien la scruter, ses yeux ne cligneraient pas. Elle avait la patience immortelle d’un dragon.