Pâle et blonde, la lune ouvre dans
l'onde son éventail d'argent
La terreur imprégnée à-même sa peau, Daenyra se réveilla dans un sursaut enfiévré, le corps irradié de flamme et de glace. La torpeur l’agrippait dans ses tripes, nimbant le fin voile entre réalité et songe. Les hurlements s’accrochaient à son être comme s’ils vibraient toujours dans ses tympans fragiles, tel un parasite odieux. Les écorchures de l’effroi malmenaient encore ses narines, lui faisant aspirer sang, sueur et agonie. Il y avait là tous les souvenirs de ce jour effroyable où le bras de la mort s’était écrasé sur la noble cité de Valyria. La souffrance transie de toutes ces carcasses électrisait son corps de toutes ces horreurs qui ne la quittaient pas. Elle étouffait d’une peur qui lui collait à la peau, à la chair, aux os. Les murs de sa chambre prenaient les allures gigantesques de la grande place des esclaves où se jouait le théâtre de toutes les épouvantes. Les hurlements demeuraient réprimés dans sa gorge. Prisonnière de ses songes et de ceux qui ne lui appartenaient pas non plus. Tel était ce fléau que son don lui faisait endurer depuis de longues semaines. L’agonie suprême de subir sans cesse les turpitudes d’un passé encore vivace et douloureux. Les plaies putrescentes d’une journée de destruction continuaient à hanter la doux Oiseau jusque dans ses nuits, les rendant maudites et agitées.
L’œil hagard, Daenyra porta un regard craintif sur le décor qui était le sien. Son esprit reconnut, après une longue perdition, les contours de son lit, de ses meubles et de la pièce jusqu’à comprendre enfin qu’elle se trouvait dans l’écrin sécurisé de sa chambre. Un souffle, rompu trop longtemps, investit ses poumons et lui accorda un soupir de soulagement. Les membres tremblant, elle se laissa choir dans ses draps précieux et elle rassembla tant qu’elle pouvait les bribes de cette réalité à la silhouette encore ténébreuse et menaçante. Sa main ingénue partit en quête d’un contact rassurant à côté d’elle mais se heurta à un vide effroyable. Son cœur fut frappé d’une douleur plus atroce encore. Celle du manque. Il ne visitait plus ses rêveries non plus, forme vaporeuse et éthérée à laquelle elle dédiait toute son âme. Il était son conseil dans le creux de la nuit, la guérison de toutes ses solitudes et cet être immuable qui ne pouvait pas mourir une deuxième fois. Il demeurait, splendide, dans son armure de nacre et de lumière, le contact chaud et la langue rassurante ; une force dans laquelle la Tergaryon puisait toutes ses ressources, jusqu’à être rejetée au matin, seule et pantelante, sur les rivages d’une aube assassine. Les affres d’une absence immortelle affligeaient son âme de mille maux que les bras de la nuit venaient panser dans ses songes sublimes. Sauf que l’Oiseau ne rêvait plus. Il ne pouvait plus déployer ses ailes vers ces terres intangibles et prospères. Il était ramené cruellement dans la terre, emprisonné entre ciel et poussière, contraint de s’abreuver de toutes les imperfections de cette nature mortelle et de toutes ses meurtrissures putrides.
Daenyra s’extirpa des draps, ne supportant plus leur funeste étreinte, et s’enroula dans une robe de chambre pour réchauffer ce corps affligé de sueurs glacées. Ses doigts s’engouffrèrent dans l’imposante coupe d’eau où fleurs et essences flottaient à la surface et s’aspergea le visage, déterminée à chasser ces pensées mortifères. Ses membres étaient transis de toute cette souffrance qu’elle endurait mais qui n’était pas vraiment la sienne ; comme si son être entier était l’écueil maudit de toutes les souffrances des victimes. Incapable d’en supporter davantage, la Dame-Dragon quitta ses appartements à la recherche d’un air que ses poumons ne détenaient plus. Les pas étaient mal assurés et il semblait que ses cauchemars l’agrippaient encore dans leurs tourmenteuses griffes. L’écran noir de ses paupières closes lui offrait le spectacle insoutenable des plaies de Valyria la Grande.
Ses sens l’abandonnaient éhontément sur les bords du chemin escarpé de cette nuit peuplé de monstres et de monstruosités. Toutefois, dans la brume de ses visions, un éclat s’infiltrait. Timide et infime au départ, jusqu’à se nourrir en puissance, comme la flamme devient feu, puis brasier ardent. Et alors, elle sentit se poser sur elle toutes les fragrances d’une présence familière. Les aspérités se matérialisèrent peu à peu pour que, dans la pénombre de la demeure, Daenyra puisse discerner la lumière si réconfortante qu’elle approchait, guidée dans les ténèbres par un phare merveilleux. « Maekar… » bredouilla-t-elle d’une voix abîmée par la sècheresse de sa gorge. Les réflexes de ces dernières semaines prirent le dessus sur la tourmente qu’elle traversait. « Ce n’est guère prudent de rester ainsi debout au beau milieu de la nuit. Tu dois te reposer. » La catastrophe qui avait ébranlé la digne cité n’avait pas manqué d’affecter à la fois son frère et sa sœur dans leur chair. Daenyra revivait encore ces angoisses terribles de ne savoir si les siens ont échappé aux serres avides de la mort. « Quelque chose te trouble ? » L’interrogation se voulait cependant purement rhétorique. La Tergaryon ne se questionnait sur les tempêtes qui soulevaient l’esprit de son sang, car elle décelait avant même qu’ils en soient les victimes. Elle savait.