Les yeux mauve pâle du sénateur et candidat à l’élection de Lumière de Sagesse Baelor Cellaeron suivaient le fin dragon aux écailles anthracite et améthyste qui descendait du ciel dans un virage élégant au-dessus du grand port de Gelios. Autour du Seigneur Soie et de sa suite, la plupart des natifs Valyriens ne levaient plus la tête mais tous les étrangers sans aucune exception visible s’interrompaient dans leur tâche pour admirer le dragon à l’air rétif qui effectuait son approche vers la grande esplanade qui reliait les quais aux murs de la cité marchande.
Gelios était l’un des plus grands ports de Valyria, une vaste ville ouverte sur la Mer d’Été d’où affluaient des navires, des peuples et des biens d’endroits aussi lointains que Westeros et Ibben. Les quais étaient en permanence encombrés de manutentionnaires et de marins qui vaquaient à leurs occupations tandis que, légèrement en retrait, les bourgeois, marchands et armateurs devisaient le plus souvent à l’ombre des vastes tentures dressées contre les remparts. Plus loin encore, un mur plus fin et plus bas que celui qui ceignait Gelios protégeait l’accès aux quais de la marine de la République. Derrière sa porte lourdement blindée et soigneusement gardée, on trouvait plusieurs escadres de galères légères prêtes à sécuriser n’importe quel endroit au large. Bien plus que le centre-ville, le véritable cœur battant de Gelios était cette vaste esplanade parsemée de statue de marbre, de sphynx d’ébonite et gardée par les dragons de pierre décorant les remparts.
S’avançant pour accueillir Rhaenys qui descendait de son dragon, Baelor arborait le large sourire d’un homme à qui tout réussissait. Pourtant, rien n’était encore acquis pour le seigneur-dragon. Les élections étaient loin d’être gagnées mais il avait en sa main plusieurs cartes qui lui assuraient en tout cas de figure d’être l’un des favoris de l’élection. Il ne se contentait pas de cela, il ne s’était jamais reposé sur des certitudes invérifiables. Malgré sa masse imposante, il était toujours en mouvement, toujours à l’affût d’une nouvelle opportunité : commerciale, politique, sexuelle, cela importait peu. Ces derniers temps, une idée avait germé dans l’esprit du maître du Pinacle. Il avait toujours souhaité que se confondent sa prospérité avec celle de Valyria. Et par une expansion rapide et agressive sur le modèle de ce que Ghis faisait déjà sur Sothoryos, Baelor entendait bien assurer à Valyria une place au soleil des civilisations d’Essos. Il avait pour cela besoin d’associés, plus que d’alliés. Des hommes et des femmes prêts à risquer des investissements à ses côtés pour prouver que son plan était viable. S’il parvenait à mettre sur place une première colonie autosuffisante et capable d’apporter quelque chose à la métropole sans que cela ne soit financé par autre chose qu’une compagnie commerciale, alors son pari serait gagné.
« Ma chère Rhaenys, quel plaisir de te revoir aussi rapidement ! » s’exclama Baelor en la saluant alors que son dragon reprenait possession des cieux aussi rapidement qu’il avait touché terre.
Sans plus attendre, Baelor invita Rhaenys à le suivre alors qu’il commençait à déambuler sur la grande esplanade. Derrière eux, son fils bâtard Daelarys et quelques épées-louées qui assuraient la sécurité de Baelor les suivaient à distance raisonnable. Navigant au cœur de la foule qui s’était aussi vite reformée qu’elle ne s’était effacée pour laisser le dragon Matavon se poser, Baelor entraînait Rhaenys vers les quais le long desquels des dizaines de navires étaient amarrés alors que des dizaines d’autres patientaient au mouillage qu’une place ne se libère. Tandis qu’ils se promenaient ainsi, Baelor continuaient à converser.
« Je gage que la reconstruction de Tolos a dû bien avancer depuis notre dernière discussion. Tous mes vœux de prospérité vous accompagnent, ta ville et toi. Cependant, tu te doutes que ce n’est pas pour parler mortier et charpente que je t’ai invitée à me rejoindre à Gelios. »
D’un geste de la tête, il désigna la vaste baie qui grouillait d’activité : des navires quittaient le port, d’autres étaient entourés de plusieurs embarcations légères qui leur proposaient des fruits, des femmes, et des souvenirs de Valyria. Gelios, comme tant d’autres villes valyriennes, vivait du commerce. Avec le retour de la paix et l’assurance de tout un peuple, Valyria prospérait comme jamais auparavant. Ils étaient à l’aube d’un âge d’or sans précédent. Et Baelor comptait bien saisir la part qui lui était due, et plus encore si nécessaire.
« Dis-moi, sénatrice, que vois-tu donc ici ? Qu’est-ce que ton âme peut voir que tes yeux ne voient pas autour de nous ? »