Si Valyria, sa ville, ses fêtes, son agitation et ses intrigues ne revêtaient que peu d’intérêt pour la jeune Tergaryon, il n’en était rien du bouillonnement culturel qui vibrait en son sein. Les murs majestueux du palais de l’Archonte à Oros avaient été l’écueil merveilleux d’une bibliothèque richement fournie. Sûrement était-ce le lieu où la jeune fille avait passé le plus clair de son temps, appréciant avec délectation la quiétude de cet endroit et la compagnie des livres qu’elle avait inlassablement dévoré. Il n’y avait pas un ouvrage qu’elle n’avait pas touché, qui n’avait pas subi sa lecture assidue et connu le frôlement de ses doigts sur le papier. Quand ses aînés trouvaient du réconfort dans les jeux, la compagnie mondaine ou l’exercice martial, Daenyra trouvait refuge au milieu des ouvrages. Ces derniers étaient des compagnons idéaux, sources de savoirs étendus et tangibles. Les livres ne l’emportaient pas dans un tourbillon de sentiments qui la mettait à mal, ils ne la piétinaient pas dans la cavalcade impétueuse des âmes.
Toutefois, elle avait trouvé un ravissement encore plus grand en rejoignant les murs de la cité lumière. Le palais Hoskagon, refuge de la famille Tergaryon, jouissait également d’une collection impressionnante dans sa bibliothèque. Pour l’oiseau discret, il s’agissait de nouveaux savoirs à acquérir, d’une nouvelle nourriture dont rassasier son esprit avide de connaissances. Depuis leur arrivée à Valyria, la cadette de la lignée avait déjà passé un temps considérable entre les rayonnages de cet antre flamboyant. La vie grouillante au-dehors n’était pas sans épuiser considérablement la jeune fille qui parvenait à se ressourcer au contact précieux de ces ouvrages séculaires, des parchemins anciens et des écrits de jadis.
Aujourd’hui, son être ne se satisfaisait pas des richesses contenues dans la bibliothèque du palais Hoskagon. Daenyra, inquiète pour le sort de sa famille, dédiait ses heures de liberté à son enrichissement personnel et à la sauvegarde des Tergaryon. Les cruelles facéties divines de ces derniers mois forçaient la noble à chercher des réponses. Cela avait commencé lorsque, Vaegon, roc invincible de cette famille, avait été empoisonné, réchappant à la mort uniquement grâce à la clément des Dieux. La tragédie du Grand Effondrement avait suivi, ravageant le cœur de la belle cité valyrienne. La cadette des Tergaryon n’ignorait pas que ses ressources étaient quelque peu limitées. Elle n’aurait jamais la force de son frère Maekar, ni son charisme, elle ne posséderait jamais le pouvoir charmant qu’Elaena exerçait sur la foule, pas plus qu’elle ne possédait les dons magiques de son petit frère, Maerion. Cependant, elle savait que son esprit était aiguisé et que ses intuitions ne la trompaient que rarement. Aussi se gorgeait-elle de tous les savoirs possibles afin de s’imprégner de tous les rouages de l’histoire, d’appréhender les mailles de la politique, ou de trouver des indices dans des essais théologiques. Le savoir était pouvoir ; une pensée dont le discret oiseau était convaincue. L’érudition des femmes n’était guère privilégiée dans de telles sociétés, ni même au regard de ses propres parents, toutefois, il en aurait fallu plus à la jeune fille pour la détourner de cette force à exploiter. Aussi avait-elle trouvé son chemin aux archives de la bibliothèque valyrienne dans les quartiers nord, combattant là toutes les faiblesses que la présence d’autrui lui affligeait.
Sa détermination combattait les assauts chaotiques des âmes qui l’entouraient, leurs valses impétueuses au cœur d’une ville grouillante de vie. Daenyra tentait de se convaincre que sa volonté pourrait parvenir à bout de ces langueurs qui l’affligeaient au milieu de la foule. Hélas, ses forces déclinantes eurent raison de la puissance qu’elle tentait d’insuffler à ses convictions. Et si son objectif premier était de demeurer en ces lieux pour le restant de l’après-midi, elle fut se résoudre à emporter quelques écrits qu’elle pourrait parcourir dans la quiétude de ses appartements.
Chargée de son précieux butin, elle s’affranchit de la compagnie des lieux pour regagner les abords de la bibliothèque où les porteurs l’attendraient probablement. N’en percevant par la présence, la Tergaryon fronça les sourcils et lutta contre la fatigue en se décidant à faire le tour pour tenter de retrouver leurs traces. Une brève épopée qui la rapprocha d’une boutique qui accrocha tout son intérêt et sa curiosité. Sensible à la finesse de l’art, il lui sembla que chaque objet était une œuvre à part entière. Abandonnant sa quête des porteurs, elle s’accorda de franchir les portes de cette boutique aux merveilles. Il ne lui sembla déceler la présence de quiconque, bien qu’elle discernait une grande activité dans l’atelier. La pièce, pourtant guère éloignée du marché, agit avec bienfaisance sur son âme, comme coupée du reste du monde et apaisa un instant ses tourments. Discrète et précautionneuse en dépit des parchemins qui envahissaient ses bras, elle contempla avec plaisir ces véritables œuvres qui jonchaient tables, étagères et comptoirs… « C'est somptueux... » laissa-t-elle échapper dans un souffle en frôlant du bout des doigts une création de verre.