Pas un jour sans une ligne.Vaemor Baeriar.![](https://64.media.tumblr.com/2805caa62c8dcbb0e4dc065cfe9e4f3a/tumblr_mp5k94V29H1qcepzco9_250.gifv)
Refuge Baeriar - An 1016 :
« Il ne marchera jamais. »
Saenya ressentait encore le dédain dans ces quelques mots. Alors même qu’elle n’avait pas prononcé ces quelques mots, elle en avait le goût sur la langue. « Il ne marchera jamais. » Jamais Rhaenor n’aurait du repousser sa consœur, alors qu’elle cherchait à l’aider. Leur petit n’en serait pas là, s’il l’avait écouté. Un Baeriar qui n’écoute pas la sagesse des Mages, voilà une grande première. Cet accoucheur n’avait fait qu’aggraver les choses. Serrant délicatement son nouveau-né contre elle, la jeune femme soupira doucement, lui frôlant la joue à défaut de la caresser, craignant de l’éveiller. Son premier-né. Un fils. Comme leur famille aurait pu être fière, si les circonstances avaient été différentes. Un fils pour assurer leur continuité. Un fils qu’elle avait déjà plusieurs fois imaginé, courant derrière elle une épée de bois à la main ou juché sur le dos d’un dragon.
« Il ne marchera jamais. Alors voler ? Ne gaspillons pas un dragon pour cela ! Nous aurons un autre fils, j’en suis assuré. Ne t’attaches donc pas à lui. Les Dieux lui trouveront une place parmi leurs enfants, c’est tout ce qu’il y a souhaiter ! »
La Mage avait éclaté en sanglots, en entendant ces mots. Bien sûr, elle avait essayé de tempérer les propos de son époux, d’apaiser sa colère. Vaemor était leur fils, après tout. Son premier enfant. Leur premier enfant. Qu’importe sa jambe tordue par un geste malheureux de l’accoucheur. Qu’importe tout cela. Il restait un Baeriar. Il restait son fils, son bébé. Pourquoi Rhaenor ne voulait-il pas voir la vérité en face ? Peut-être… Peut-être que dans quelques années, elle pourrait le soigner ? Son fils serait fort, elle le préparerait pour cela.
« Tu marcheras, Vaemor. Tu marcheras, tu courras même. Qu’importe que tu n’aies pas de dragon. Une larme glissa sur la joue de la jeune femme. Qu’importe tout cela. Qu’importe que tu ne sois pas Mage comme moi ou Prêtre comme ton père le désirerais. Les flammes sauront te guider, j’en suis sûre. Tu seras un homme bien, mon fils. Tu le seras. »
Les derniers mots de Saenya s’étaient perdus dans un murmure, étouffés par des larmes plus nombreuses. Elle ne voulait pas d’autre fils. Pas si celui-ci lui était retiré. La voix chevrotante, la jeune mère entama une douce comptine. Demain, elle présenterait son fils aux flammes. Comme elle aurait aimé que ce moment soit joyeux. Hélas, elle était seule, dans cette chambre enténébrée, depuis que la nuit été tombée. Qu’importe. Au moins s’assurait-elle que son enfant ne lui serait pas pris. Rhaenor oserait-il lever la main sur lui ? Hélas, Saenya n’arrivait pas à en douter. Sa veille ne faisait que commencer.
Refuge Baeriar - An 1028 :
Les mêmes rires, encore et toujours. Les mêmes rires auxquels il ne pouvait participer. Un fait auquel Vaemor était habitué. Relégué à la boue et à la poussière alors que son frère volait en compagnie de leur père e. Relégué à la froideur du sol alors qu’eux s’approchaient du soleil. Beaucoup auraient pu s’en plaindre, il est vrai. Ce n’était pourtant pas le cas de l’adolescent. Assis au pied d’un arbre au feuillage rafraîchissant, sa jambe droite repliée alors que la gauche restait désespérément allongée, Vaemor griffonnait sur un feuillet. Par-dessus son épaule, une jeune fille se tenait à moité accoudée, l’observant, intriguée.
« Tu penses que ça fonctionnera ? s’enquit Daessa, en scrutant toujours le feuillet.
- Il faudra sans doute encore quelques ajustements… Vaemor porta son morceau de fusain à sa bouche avant de grimacer, se rendant compte de son geste. Mais si tout va bien, je pourrai venir te rendre visite à Valyria à cheval !
- Et tu me ramèneras à la maison comme ça aussi, quand je serais Mage ?
- Pourquoi pas ? Je serais devenu un meilleur cavalier d’ici-là ! »
Daessa laissa échapper un rire qui tira un sourire à son frère. D’ici une année ou deux, sa sœur quitterait Tyria afin de rejoindre Valyria. Tel était le destin de ceux et celles qui étaient destinées à la Magie par les flammes. Il s’agissait-là d’une chose commune pour les Baeriar. Il ne se passait pas une génération sans que l’un d’entre eux suive un tel chemin. Les Dieux avaient fait que Daessa serait celle qui honorerait cette tradition pour leur époque. Un fait qui semblait la réjouir, ce qui ne pouvait que mettre du baume au cœur du reste de sa fratrie. Comme le Refuge semblerait plus morne sans l’une d’entre eux. Maella serait sans doute celle qui aurait le plus de mal à se faire à son absence.
« Dis, tu feras attention à Maella, quand je serais partie ? »
Daessa venait de s’asseoir dans l’herbe juste à côté de lui. Lisait-elle dans ses pensées ? Si tel était le cas, sa cadette était décidément plus avancée qu’il ne l’avait pensé jusqu’à présent ! Détournant son regard zinzolin quelques instants, Vaemor ajouta la touche finale à son plan. Si cela ne valait pas les créations de leur mère, loin de là, cela serait suffisant pour lui exprimer son idée. Plier sa jambe lésée durant une longue période relevait le plus souvent du calvaire. Ainsi, même assis sur une selle, il pourrait effectuer de plus longues chevauchées et imaginer suivre de temps à autre Père et Vaerion dans certains cas ou découvrir les environs de Tyria comme bon lui semblait !
« Vaemor, je sais que tu m’as entendue ! s’exclama la jeune fille.
- Maella ne risque rien, ici. tempéra Vaemor. Il n’y pas d’endroit plus sûr que le Refuge.
- Je veux pas qu’elle soit toute seule… gémit Daessa. Tu pourras lui dire de m’écrire, dis ? J’ai peur qu’elle oublie… »
Vaemor coula un regard en direction de sa cadette, dont le regard s’était fait suppliant. Il était vrai que Maella était assez particulière. Le plus souvent dans la lune, loin des préoccupations du commun des Mortels. L’adolescent était trop jeune pour se souvenir des termes employés par le Mage qui avait officié, ce jour-là. Toujours est-il que malgré son étrange caractère, elle avait été fait Dame Dragon. Il n’y avait guère qu’avec Daessa que les choses étaient différentes, où sa jumelle se montrait plus ouverte et moins alerte.
« Je lui dirai. se contenta de répondre Vaemor, en enroulant son parchemin avant de le poser à côté de lui. Profitez du temps qu’il vous reste ensemble. Doucement, l’adolescent poussa sa sœur, pour la forcer à se relever. Va la rejoindre, je pense que Père est rentré. Vaerion et Maella ne devraient pas tarder non plus. »
Hésitant quelques instants, Daessa finit par acquiescer avant de s’en aller en courant. Quant à Vaemor, il resta là un moment, à observer les nuages entre les feuilles. Voler. Il avait essayé, une fois. Vaerion avait réussi à échapper à la surveillance de Père et était venu le trouver. Ils n’étaient partis qu’une poignée d’une minute, lorsque la créature montée par le patriarche était venu les rejoindre dans les cieux. Et pour la première fois de leurs existences communes, Vaerion et Vaemor avaient vu leur père plongé dans une colère noire, dirigée envers son fils cadet. Dès lors, plus jamais l’aîné des Baeriar n’avait été autorisé à s’approcher de leurs dragons. Et les cieux ? Mieux valait ne pas y penser.
« Les ailes ne sont pas toujours de cuir. Pour s’élever, cet enfant, du feu d’un dragon cet enfant n’aura point besoin. » avait dit le Mage qui l'avait porté aux flammes, malgré la désapprobation de Père.
Alors, une année durant, Vaemor avait travaillé sous l’égide protectrice de sa mère. Trait après trait, schéma après schéma, il était finalement arrivé à son but. Une promesse était une promesse, après tout. C’est donc à cheval que l’adolescent accompagna Daessa, avec une partie de leur parentèle. Ainsi, il goûtait à un certain sentiment de banalité, guettant de temps à autre le dragon de sa tante, qui veillait ainsi sur leur petit cortège depuis les cieux. Sa canne avait été un premier pas. Cette attelle en était un second. Un jour, il volerait à sa manière.
Hôtel particulier des Baeriar, Valyria - An 1034 :
Valyria.
Ses fastes, ses charmes, sa grandeur, sa richesse. Vaemor ne cessait de trouver de nouveaux superlatifs, concernant la capitale de leur péninsule. Ici, tout était digne de la grandeur des dragons et des hommes et des femmes désignés pour les chevaucher. Cependant, pour une fois, Vaemor n’était pas ici pour la simple beauté des bâtiments ou pour les autres agréments inhérents à la bonne société valyrienne. Mère avait réussi à convaincre Père de l’emmener avec lui et Vaerion afin de rencontrer des amis de longue date. Maella avait également fait partie du voyage, avec la promesse de pouvoir entrevoir sa sœur jumelle, si cela était possible. C’était ainsi que père et enfants avaient pris la route des cieux, Vaemor se retrouvant sur le dragon de sa sœur, là où Vaerion et leur père menaient leur petit cortège.
« On ne dirait pas qu’il est partit pendant un an. » remarqua, d’un coup, Maella.
Surpris de la manière avec laquelle sa sœur était sortie de son mutisme ordinaire, Vaemor sortit de ses pensées. Le regard clair de Maella s’était posé sur Vaerion et leur père, qui le présentait à leur hôte. Alors, Vaemor haussa les épaules. Une partie de la joie qu’il avait ressenti en apprenant qu’il faisait partie de ce voyage s’était comme envolée. Vaerion venait d’achever son service militaire, une chose qu’il n’avait pas pu faire lui-même pour des raisons évidentes. A présent, Père le présentait à tous et à toutes avec une fierté que ses enfants ne lui connaissaient que peu. Quant à son fils aîné ? Seuls quelques Prêtres se pressaient autour de lui. Il en fallait beaucoup pour attirer l’attention du Sénateur et Seigneur Dragon Rhaenor. Plus encore lorsqu’il avait déjà décidé de votre sort, la prêtrise imposée dans son cas.
« Qui est avec lui ? demanda Maella, en tirant doucement sur la manche de son aîné.
- Un des amis de Père, Aegon il me semble. Il fait partie de la faction des Civilistes. Vaemor tendit une coupe remplie de quelques fruits à sa sœur, qui se saisit d’une grenade avant qu’il ne la repose. C’est un Sénateur Valyrien qui a quelques terres autour de Tyria. Père veille sur ces quelques lopins en gage d’amitié.
- Pourquoi t’intéresses-tu à ça, grand frère ? »
Naturellement, Maella avait ouvert le fruit avec une petite lame, avant de la reposer sur la table basse, devant elle. Alors qu’elle dégustait quelques grains, Vaemor poussa un soupir. Que répondre à sa sœur, dans de telles conditions ? Père ne voyait en lui qu’un être encombrant, une tâche sur un lignage jusqu’alors immaculé. Une tâche dont même les temples n’avaient pas voulu, les flammes lui ayant réservé un destin différent. Comment ne pas se sentir encombrant, par rapport à Vaerion ? Il avait tout de l’héritier parfait, aux yeux de bien des Valyriens. Un boiteux comme lui ne pouvait pas lutter. Portant une coupe à ses lèvres, Vaemor dégusta une gorgée de son contenu. Il ne pouvait pas lutter… Un sourire étira alors ses lèvres. Si Tessarion ne l’avait pas doté d’un corps apte au combat, elle lui avait fait d’autres présents.
« Vaemor, où vas-tu ? s’enquit Maella, alors que son frère se levait, s’aidant de sa canne.
- Rendre mes hommages à quelques amis. répondit simplement l’intéressé, un sourire en coin. Messieurs, mes Dames, puis-je me joindre à vous ? Il me semble avoir entendu des propos particulièrement intéressants ! Pensez-vous qu’il serait possible d’appliquer une telle méthode à d’autres domaines agricoles ? La culture de fruits, admettons ? »
Alors, claudiquant, Vaemor se dirigea vers les quelques Prêtres et Prêtresses présents dans l’assistance qu’il venait de héler, se mêlant à eux. Ces derniers l’accueillirent bien volontiers, lui permettant de s’asseoir à leurs côtés. Alors, Maella se laissa aller à un rire, le seul de la soirée, en voyant son frère aîné en grand débat en compagnie de ces hommes et de ces femmes qu’il ne connaissait pourtant pas jusqu’alors. Quant à Vaemor, il se trouvait là à son aise, marquant ses propos à grand renfort de gestes, animant ainsi une conversation qui lui semblait bien morne jusqu’à présent. Et lorsque le jeune homme leva son regard en direction de leur invité, qui lui offrait un sourire, échangeant finalement quelques mots avec son père. Père dont les prunelles sombres lui lançaient comme des éclairs. Alors, le Baeriar se replongea dans son récit précédent. Il avait gagné cette manche. Un pas de plus pour voler vers des cieux plus cléments.
Refuge Baeriar - An 1037 :
« Je suis désolée. »
Maella avait prononcé ces mots dans un soupir, la tête baissée. Daessa était revenue. Daessa, son aînée de quelques minutes, étaient revenue. Elle était revenue, au bras de Vaerion. N’était-ce pas dans l’ordre des choses, que le fils aîné soit promis à la fille aînée ? Père avait prit cette décision seul, usant de ce privilège de patriarche qui était le sien, laissant à nouveau son premier-né de côté. Faisant d’elle sa future femme. Elle, la fille née alors que personne ne l’attendait. Celle qui n’avait d’émotions qu’en de rares circonstances, qui ne les montraient que peu pour une raison que même les Mages ignoraient. A croire que sa propre Magie, sa propre étincelle, avait été volée par sa jumelle.
« Non, c’est à moi de l’être, Maella. »
S’asseyant à ses côtés, sous cet arbre où il avait passé tant de temps durant ses jeunes années, Vaemor avait déposé sa canne à coté de lui. Maella se tenait là, les genoux repliés contre sa poitrine, une partie de son visage enfouie dans ses bras croisés. Désolé, Vaemor l’était. Au plus profond de son âme, au plus profond de son cœur. A cet instant, l’acte commis par Rhaenor n’avait plus d’importance. Rhaenor, qui ne méritait même pas le qualificatif de Père, qui avait perdu ce droit sur lui depuis bien des années. Maella méritait mieux. Elle méritait un homme apte à veiller sur elle, à la défendre en toutes circonstances. Elle méritait plus qu’un boiteux. Plus que lui.
« Tu n’es pas obligée de rester, tu sais. Je comprends si…
- Tu es le seul à être venu. remarqua alors Maella, une larme silencieuse coulant sur sa joue. Daessa est trop occupée à parader avec Vaerion, à se faire admirer, à se faire remarquer. Je… Je pensais qu’elle serait heureuse de me revoir. Mais il n’en est rien.
- Elle viendra demain, lorsque la folie de la fête se serait apaisée. tempéra doucement Vaemor.
- Elle sera déjà repartie, demain. Vaerion la raccompagnera dès le lever du soleil, après avoir profité à nouveau des charmes de Meleys sans doute. La phrase avait été prononcée sur un ton dédaigneux. Un destin de Mage, ça n’attend pas. »
Ne sachant que répondre, Vaemor plongea une main dans le sac qu’il avait emmené avec lui, en sortant une grenade. Avec un pauvre sourire, il la tendit à Maella, qui observa le fruit quelques instants, en silence. Puis, d’un hochement de tête pour remercier son aîné, la jeune femme se saisit de la grenade et du couteau qui lui était tendu. Coupant le fruit en deux, elle en tendit une partie à Vaemor, qui l’accepta bien volontiers. Les deux jeunes gens restèrent un moment ainsi, en silence, à profiter de la fraîcheur du crépuscule. Il leur fallait pourtant parler. Vaemor le savait plus que quiconque. Il avait tant de choses à lui dire.
« … Je ne te forcerai à rien, ni à ce mariage, ni à quoique ce soit d’autre. Mère comprendra. Elle pourra raisonner Rhaenor. Tu n’as qu’un mot à dire et tu seras libre. Tu l’as toujours été.
- … Qu’aimerais-tu faire, toi ? Là, maintenant, tout de suite, si tu en avais les moyens. Où aimerais-tu être ?
- Moi ? Vaemor fronça les sourcils. Pourquoi… Le regard larmoyant de sa sœur l’empêcha de finir sa phrase. Eh bien… le jeune homme jeta un regard en direction du ciel. As-tu déjà vu Draconys ou Mhysa Faer ? Je pense que j’aimerai être là-bas. Il y a tant de choses à voir, en ce bas monde. Je pense qu’une vie ne suffirait pas pour…
- Alors, allons y. »
Maella s’était levée, d’un coup, lui tendant une main. Une main que Vaemor accepta, non sans se saisir de sa canne dans sa main libre. Sa sœur avait-elle perdu l’esprit ? Une lueur décidée brillait cependant dans le regard de la jeune femme. Une lueur que Vaemor ne connaissait que trop bien. De la détermination. Contrairement à ce que Rhaenor pensait, jamais Maella n’en avait manqué. Quelle folie allait-il faire ? Naturellement, sa cadette l’avait emmené jusqu’à leur demeure, se glissant dans ces couloirs connus des seuls occupants, évitant ainsi la foule venue rencontrer le nouveau couple héritier. Qu’allaient-ils faire ? Pourquoi suivait-il Maella ? Ne devait-il pas l’empêcher de faire une telle folie ? Et pourtant, il la suivait, encore et toujours, réunissant quelques affaires comme elle pouvait le faire. Mhysa Faer n’était pas très loin, comme la jeune femme le disait si bien. Ils seraient rentrés dans un jour, peut-être deux.
Un premier voyage. Le premier d’une longue lignée.
Hôtel Particulier des Baeriar, Valyria - An 1038 :
« Que fais-tu ? »
Naturellement, Maella avait posé son menton sur le haut de son crâne. Vaemor esquissa un simple sourire, portant son bras vers l’arrière, lui tendant un feuillet. Un feuillet dont la jeune femme se saisit, l’observant quelques instants. Cette écriture n’était pas celle de Vaemor, c’était là un fait avéré. Elle était bien moins soignée. Il était question de plantations, de grains, d’irrigation. Bien des choses qui n’échappaient guère aux propriétaires terriens qu’ils étaient. Ou tout du moins, cela n’échappait pas à Vaemor, qui semblait particulièrement afféré dans sa tâche.
« Je ne savais pas que Père t’avait confié une tâche. remarqua alors Maella, tout en rendant le feuillet à son aîné.
- Rhaenor n’y est pour rien dans cette histoire. Un sourire victorieux était né sur les lèvres du Baeriar. Aegon a demandé à me rencontrer, hier. Il veut que je veille sur certaines de ses terres durant une année ou deux. Il me faudra voyager pour les voir de mes propres yeux et m’assurer de l’avancement des travaux agricoles. Cela sera toujours mieux que de rester enfermé à Tyria.
- Tu n’en parles à ton épouse qu’à présent ? Le ton froid de Maella fit craindre le pire à Vaemor, avant que ce dernier ne se rende compte de son expression pour le moins neutre, habituelle pour elle.
- Ma chère et tendre épouse est bien entendue cordialement invitée à se joindre à moi. Je ne voulais pas t’ennuyer avec de pareilles choses.
- Cesses donc tes bavardages, mon cher époux. Où allons-nous ? »
Une phrase que Maella avait prononcé un nombre incalculable de fois ces dernières années. Alors, Vaemor s’était levé, claudiquant jusqu’à un meuble où il avait étendu une carte de leur péninsule. Alors que son épouse se trouvait proche de lui, le jeune homme pointa plusieurs villes du doigt, expliquant sommairement les tâches qui lui étaient attribuées. Aux yeux du plus grand nombre, il ne s’agissait-là que de peu de choses. Pour lui, il s’agissait d’un pas de plus. Si son père lui refusait la gestion d’une partie de leur domaine, il ferait en sorte de rendre l’herbe plus verte ailleurs. Alors, il serait bien obligé de se rendre compte de son erreur.
Alentours de Tyria - An 1040 :
« C’est pour cela que Mhysa Faer est sans doute l’une des cités qu’il convient de ne pas perdre de vue. Les hommes et les femmes y ont généralement le pied marin et ne semblent guère craindre les eaux comme nous pouvons le faire. Déjà ville florissante, elle pourrait le devenir davantage encore avec les années et devenir plus pleinement encore une fille dont Valyria serait fière. »
Installé sous une tente dressée à son intention, Vaemor avait délaissé quelques instants ses écrits comptables pour se pencher sur d’autres, plus personnels. Les terres confiées par Aegon se portaient pour le mieux. Aussi, leur actuel gestionnaire se permettait de les quitter de vue quelques instants. Il y a de cela quelques jours, le Baeriar se trouvait encore à Mhysa Faer, à la demande de celui qui l’employait, pour ainsi dire. Aussi n’avait-il pas pu s’empêcher de sauter sur l’occasion, aussi bien que sa jambe folle le lui permettait tout du moins, pour découvrir davantage les environs et s’essayer à l’art de la discussion avec des personnes qui lui étaient encore inconnues. Son prochain chapitre porterait sans doute sur la pêche ou sur la manière dont les marins arrangeaient leurs voilures, peut-être.
C’était Maella qui lui avait proposé cette idée, alors qu’il peinait à se souvenir avec exactitude de certains de leurs voyages. Il fallait dire que leurs âmes avaient été pour le moins voyageuse. Rhaenor n’avait d’yeux que pour Vaerion, le gardant à ses côtés. Dès lors, lui-même et Maella étaient comme libérés de leurs chaînes, errant comme bon leur semblait dès que leurs tâches se retrouvaient achevées. Le couple devait cependant se modérer, désormais. Du moins, d’ici un mois ou deux, selon les préceptes des Mages qui les entouraient et que Maella écoutait parfois de bien mauvaise grâce. A l’instar des dragonnes, les Valyriennes étaient des femmes qu’il était parfois bien malaisé d’arrêter, même lorsqu’elles portaient la vie.
Dès lors, il avait été convenu qu’ils effectueraient ensemble un dernier voyage en direction de Draconys. A moins qu’il ne s’agisse d’Aquos Dahen ? Dans les faits, le couple ne s’était pas encore décidé. Il leur faudrait cependant faire un choix. Dans les deux cas, il y aurait fort à raconter. Si Vaemor n’avait pas la moindre prétention à se faire lire, l’écriture restait une nécessité. Un homme se devait de bien connaître sa patrie, avant d’imaginer prendre des décisions la concernant. Ces, futurs, treize ouvrages seraient dirigés vers ce but. Celui de d’illustrer pour lui-même et les siens la réalité de Valyria. Mieux la comprendre pour mieux lui apporter ce dont elle pourrait avoir besoin.
Tout à son écriture, Vaemor ne releva la tête qu’au moment où un homme se présenta à lui, se raclant la gorge. Intrigué, le Baeriar releva la tête, acceptant de fait le pli qui lui était tendu. Ne prêtant tout d’abord guère d’attention à la mine morne affiché par le messager, Vaemor manqua de chuter de sa chaise, alors qu’il prenait connaissance du contenu du feuillet. Se saisissant de sa canne, hélant son second, Vaemor se leva de son siège, demandant à un serviteur de lui faire préparer un cheval. Il devait rentrer au Refuge, et vite ! Jamais n’avait-on vu le Baeriar dans un tel état d’empressement. L’affaire devait être grave, se dire certains ouvriers agricoles.
Ils ne pouvaient pas avoir plus raison. Car au Refuge, Saenya Baeriar grièvement blessée dans l’une de ses expériences vivait ses derniers instants. Des circonstances que son fils n’apprendrait que plus tardivement. Car sur le seuil de son foyer, c’était son père qui l’attendait, la mine morne. Vaerion se trouvait à ses côtés, des larmes ruisselant sur ses joues. Quant à Maella, elle affichait sa mine morne habituelle, bien qu’un profond trouble se lisait dans ses prunelles, alors qu'elle serait Baela contre elle. Il n’était cependant pas temps de discuter, tel en avait décidé le patriarche. Les Mages, amis de la blessée, l’entouraient et faisaient en sorte de la tirer des griffes de Balerion. Il n’y avait alors plus qu’à attendre.
Ce ne fut que plus tard dans la soirée que le décès de la matriarche fut annoncé à sa famille, alors réunie et faisait bloc pour la première fois depuis des années. Ils avaient perdu une épouse, une sœur, une mère. Une alliée également dans le cas de Vaemor. Une alliée qui laissa derrière elle un laboratoire en piteux état, des notes rendues illisibles, dernières traces du travail de toute une vie. Dans sa chambre, un semblant de testament fut également retrouvé et remis à son époux, qui en fit la lecture en compagnie de ses enfants. Un dernier présent, à bien des égards. Lorsque les mots écrits de la main de la défunte furent lus, Vaemor arracha la lettre des mains de son père, les relisant à son tour.
« Rhaenor, mon cher frère, mon bon époux. Il a temps de choses que j’aurai aimé te dire. Si tu lis cette lettre, c’est qu’il est sans doute trop tard pour que nous discutions. J’espère avoir le temps d’écrire pour chacun de nos enfants. La vie d’une Mage est dangereuse pour bien des raisons, je le crains. Je t’en prie, ne sois pas trop dur avec nos enfants. Vaemor a bien des mérites. Le sais-tu, qu’il était toujours avec moi lorsque tu étais absent et que tu me laissais la charge de notre domaine ? Qu’Aegon ne tarit pas d’éloges à son sujet ? Beaucoup des idées que tu pensais être les miennes étaient les siennes, dans les faits. Je t’en prie, reviens sur ta décision, mon amour. Vaerion est un bon fils également. Mais je sais aussi qu’il appelle de tous ses feux le fait de rejoindre notre armée de manière plus prolongée. Mon amour, je t’aime et tu le sais. Tu ne l’as cependant jamais entendu, jamais écouté. Laisse Vaerion vivre le rêve qui est le sien. Laisse Vaemor vivre son propre rêve également. Ne laisse pas Maella de côté, je t’en prie. Ne la laisse plus seule. Elle est notre fille au même titre que Daessa et Baela. Veille sur nos petits-enfants avec la diligence que je te connais. Mais n’oublie pas d’écouter, mon amour. Nous nous retrouverons, tu le sais. J’ai hâte que tu puisses me raconter tout cela, quand nous nous reverrons. »
Alors, les trois enfants en présence échangèrent un regard, alors que Vaemor achevait de lire les mots de leur mère désormais disparu. Leurs regards se posèrent alors sur le père, qui, pour la première fois depuis le début de leurs existences, sanglotait devant eux. Alors, Vaemor se saisit de la main de son frère cadet, de son épouse et de leur plus jeune soeur. Ensemble. Le temps de la séparation était désormais achevé. Il était temps que chacun d’entre eux trouve la place qui lui était réservée.
Hôtel particulier des Baeriar, Valyria – An 1046 :
Cela faisait maintenant quelques mois que Vaemor siégeait au Sénat. En y repensant, il lui semblait que son entrée dans ce monde datait encore de la veille. L’étonnement qu’avait suscité son ralliement aux Populistes, quant à lui, restait gravé dans sa mémoire. Comme bien des familles nobles, les Baeriar étaient d’obédience Civiliste et si certains d’entre eux s’étaient finalement révélés être des Religieux, Vaemor était le premier a se sentir l’âme d’un Populiste. Une faction en faible nombre, il est vrai. Très hétéroclite également. Le Baeriar se montrait cependant confiant. Il avait connu de bien pires cartes que cela, avant de se lancer dans ce jeu que représentait son existence. Il lui en faudrait davantage pour choir.
A Valyria, les journées se ressemblaient bien souvent. Recevoir d’autres Sénateurs, s’assurer de la bonne gestion de son domaine depuis Valyria, que les siens se portaient pour le mieux. Un nouveau Rhaenor venait de voir le jour au Refuge, qui plus est. Son troisième enfant. Son deuxième fils également, après une fille aînée et un fils puîné. Le choix du prénom ne lui avait guère était laissé. Le précédent Rhaenor n’était plus depuis cinq ans déjà. Vaemor ferait en sorte d’élever le nouveau porteur de ce nom différemment. Devenir Mage, tel était son destin. La tradition était ainsi respectée et les Baeriar se porteraient bien une génération de plus, Vaemor en était assuré. Il y veillerait personnellement.
Mais ce n’était pas les seules personnes qu’il avait à sa charge. Car après avoir pris des nouvelles des siens, dont certains résidaient à Valyria à ses côtés, il lui fallait s’adonner à une autre activité tout aussi importante : celle de rencontrer ceux et celles qui représentaient la force de Valyria. Son Peuple dans toutes ses différences, dans toutes ses nuances. Il pouvait passer plusieurs heures ainsi, à échanger quelques mots avec eux, à s’intéresser à leurs actes, à la cuisson du pain comme aux derniers prix de la viande ou du poisson. A bien des égards, cela lui rappelait ces quelques années passées auprès d’Aegon, dans la terre et la boue. Après bien des mois passés à étudier leur péninsule et ses habitants sous bien des angles également. Après tout, pouvait-on se dire Populiste sans rencontrer les personnes que l’on disait représenter ? Vaemor ne ferait pas une telle erreur. Plus les jours passaient, plus les semaines s’écoulaient, plus les mois s’égrainaient et plus sa présence était reconnue.
S’imposer parmi le Peuple pour s’imposer parmi les Populistes. Une faction choisie par idéologie, à laquelle il comptait bien donner un nouveau souffle, le moment venu. Pour le moment, mieux valait attendre son heure, se montrer prudent. Une main n’était mauvaise qu’une fois entièrement dévoilée au moment le moins opportun. Le moment n’était cependant pas à de telles pensées. Trempant à nouveau sa plume dans l’encrier placé non loin de lui, Vaemor esquissa une dernière rivière de mots avant de se redresser, observant son écrit. Les premières pages d’un nouvel ouvrage, d’un nouveau mémoire après d’autres livrets, laissés à Tyria et qui relataient sommairement ses anciens voyages. Après tout, il se passait tant de choses à Valyria et dans ses alentours qu’il ne pouvait imaginer oublier de telles choses.
Cela lui servirait un jour prochain pour offrir aux Valyriens non pas ce qu’ils désiraient mais ce dont ils avaient besoin.
Sénat Valyrien - An 1066, mois 12 :
« Du pain et des routes, voilà ce qu’il nous faut, honorables Sénateurs et Sénatrices, estimées Lumières dont la Sagesse illumine notre chemin. Du pain, des routes et des villes florissantes. Du pain, des routes, des villes et des terres fertiles, alimentées en eau afin de ne plus craindre la sécheresse ! De la prospérité également ! Voilà ce dont nous avons besoin, en plus de nouvelles idées lumineuses pour notre Conseil. Pour toutes ces raisons, je ne peux que vous enjoindre à voter et à soutenir Maegon Riahenor. Je n’en ferais pas différemment. Honorables Sénateurs et Sénatrices, estimées Lumières dont la Sagesse illumine notre chemin, je vous remercie pour votre attention. »
Inclinant poliment la tête, Vaemor quitta finalement l’estrade, s’aidant de son bâton de marche. A nouveau, il accepta volontiers l’aide que lui proposait son voisin, qui le raccompagna jusqu’à sa place. De nouveau assis, le Sénateur délaissa sa canne, retenant un soupir. Les jeux étaient encore loin d’être faits, l’homme en avait conscience. Les Dieux seuls pouvaient savoir qui sortirait vainqueur à la fin de cette journée. Il ne fallait pas donner à Valyria ce qu’elle voulait mais ce qu’elle avait besoin. Un adage qui ne trouvât pas encore d’écho en cette journée. Une occasion manquée de plus, voilà tout. Il saisirait la prochaine. Une fois n’est pas coutume, les Populistes semblaient avoir fait corps, ou presque.
La prochaine fois, il en irait différemment. La partie ne faisait que commencer.