Tout était d'un calme olympien. Le silence en était presque assourdissant. Pas un bruit, pas un murmure, seulement le son sourd d'une étoffe qui se froisse et d'un souffle irrégulier. La nuit était tombée depuis longtemps déjà et Valyria dormait d'un sommeil profond sous l'égide de Gaelithox. Dans le quartier marchand, au fond d'une ruelle, se dressait une domus, un peu plus grande que les autres autour, un peu plus jolie aussi. Elle n'était pas luxueuse mais elle témoignait simplement des moyens de ses occupants, un peu plus hauts que ceux de leurs voisins. Les Valgaris s'y étaient établis depuis fort longtemps déjà, et cette nuit là, seule Herya était présente. Les jumeaux étaient partis livrer de la marchandise dans une citée voisine, et l’aîné de la famille, Vahaerion, était parti se terrer dans une maison close.
Elle fixa ses propres yeux face à son miroir, guettant la moindre réaction, aussi infime soit-elle. Ses doigts virent tâter la peau de son visage, cherchant une faille, vérifiant si elle était bien réelle, bien éveillée. Son regard détailla la moindre parcelle de ses traits. Depuis leur retour d'expédition et plus particulièrement depuis l'incident avec la Pierre de Vie, quelque chose avait définitivement changé. Herya était encore relativement jeune, mais quelques mois plus tôt, elle avait remarqué l'apparition des premières rides et des premiers cheveux blancs, à seulement 32 ans... Sans doute son incident suite à sa prédiction auprès de Baelor avait-il précipité un peu son vieillissement. Mais voilà. Elle avait beau regarder attentivement, elle ne voyait plus l'ombre d'une ridule, ni l'ombre d'un cheveu blanc. Sa peau était plus belle, plus fine, plus blanche aussi. C'est comme si 10 ans de sa vie s'était évaporés pour revenir en arrière. N'importe quelle femme aurait tout donné pour vivre ce miracle, mais Herya ne le voyait pas de la même manière. Il s'était produit quelque chose qui dépassait l'entendement. Et le plus inquiétant n'était pas son rajeunissement soudain.
Le silence. Toujours ce silence. Et surtout, une clarté d'esprit qu'elle n'avait pas connu depuis longtemps. Où était passée la Voix ? Où s'était-elle terrée ? Herya ne l'entendait presque plus, et chaque jour passant, elle se faisait de plus en plus faible. Elle voulait comprendre les mécanismes magiques ayant permis d'éradiquer sa présence et malgré des nuits sans sommeil à chercher dans des parchemins tous plus anciens les uns que les autres, la mage s'était rendue à l'évidence : elle n'aurait pas la réponse à ses questions. Peut-être les dieux l'avaient-ils délivrée de ce mal qui la rongeait ? Dans cette éventualité, la Valgaris avait redoublé de dévotion et se rendait au temple deux fois plus qu'à l'accoutumée, déposant de riches offrandes en guise de remerciements. La Voix arrivait parfois à se glisser dans une brèche ouverte par le stress pour la colère, mais il lui était désormais impossible de faire des phrases entières, se limitant parfois à de simples mots ou des onomatopées. Tandis qu'elle se plongea encore plus dans ses réflexions, on frappa à la porte. Elle se redressa d'un bon, abandonnant son reflet.
Elle savait qui venait lui rendre visite en pleine nuit, et elle sentit une pointe de colère grossir graduellement en elle. Dans la matinée, on lui avait fait parvenir une missive de la plus haute importance, avait dit le messager. En voyant le symbole sur le parchemin, Herya avait d'abord ricané et avait ensuite donné son accord. Laedor souhaitait absolument la voir, de nuit de préférence, chez elle, afin d'éviter de se retrouver dans un lieu fréquenté. Un simple regard derrière elle la fit sourire. Sur son lit, elle se rappela leurs corps lascivement enlacés quelques mois plus tôt. Si le fils Arlaeron souhaitait la voir pour renouveler l'expérience, la mage quant à elle, n'était pas d'humeur à de quelconques acrobaties.
Elle descendit rapidement et face à la porte, elle prit une grande inspiration. Elle ouvrit la porte et dès l'instant où elle entraperçu le visage blond de son amant, elle l'attrapa violemment par le col, et le plaqua contre le mur intérieur. Un regard empli de colère, Herya le fustigea.
- " Tiens tiens, le retour du fils prodige. Le héros de Yéen si j'ose dire. Qu'est-ce que ça te fait tous les jours d'avoir failli nous tuer tous par ton incompétence ?" - fit-elle entre ses dents.
Les doigts cramponnés à son col, elle ne décoléra pas. Elle aimait Laedor comme un ami, mais l'expédition lui avait laissé un arrière-goût amer.
- "Si tu es venu pour satisfaire tes désirs, cher Sénateur, les maisons closes ne sont pas loin. Je ne serai pas ta catin ce soir."