le blasphème
Ses améthystes carnassières dévisagent la jeune fiancée. Brune. Le voile qu’elle porte haut sur sa chevelure ne peut dissimuler l’immoralité de sa condition. Ce n’était pas une simple affaire scandaleuse, mais un opprobre à tous les fondements de la société. Un crachat venimeux à la face de la Cosmogonie. Outrée jusqu’à la dernière goutte, la pureté intacte de son sang tinte comme le cristal. Elle aurait préféré ne jamais être vue en compagnie de la bâtarde du Seigneur-Dragon Taellarys. Je refuse ! Dans le silence du réfectoire, les mots scandés quelques jours plus tôt au Grand Pontife résonnent. Quelle grotesque idée ! Les pauvres hères de cette hospice, dans toute la modestie de leur caste, étaient bien plus nobles que cette jeune paria, cette souillure. Elle ne peut croire qu’Arrax souhaite voir l’une de ses filles côtoyer l’abomination. Pourquoi, sous prétexte qu’elle était désormais fiancée à Tyvanos, devait-elle la prendre comme pupille ? Après-tout Daemon Tyvanos n’était qu’un sang inapte, une autre espèce de souillure. Bien sûr, la révulsion que provoquait chez Alynera le nom du mercenaire n’était pas étrangère à son refus catégorique d’aider Jaehaegon dans ses manigances politiques. L’homme n’était que félonie. Un meurtrier pétri dans le déshonneur, l’ambition et la brutalité. Un Fils du Feu ? ! Ha ! qu’on le jète donc dans un brasier pour se repaître de ses hurlements ! Malgré toute la déférence qu’elle avait pour le clergé, la Vaekaron avait tenu tête. Elle n’aiderait pas le mécréant à saccager la hiérarchie sacro-sainte de la société valyrienne. Cet homme pensait que l’or pouvait tout acheter. Il observait l’ordre établi avec dédain, oubliant que le cor du dragon jamais ne s’activerait à son contact. La race de ces hommes là n’était bonne qu’à nourrir la roche Tarpéienne. Il était inconcevable de participer à l’élévation de Tyvanos en s’affichant aux côtés de sa future épouse.
« Nous n’avons jamais eu l’occasion d’être introduite. »
Pourtant Alynera avait cédé ou avait du céder, la différence n’avait aucune importance puisque le résultat était le même. Au lendemain de l’assassinat de Lucerys Arlaeron, la ville s’était déchirée en plusieurs camps. Les factions sénatoriales n’existaient plus — sauf la militaire qui s’était abrogée le droit de s’emparer par la force de la ville. Une loi martiale s’était abattue sur les fastes valyriens : la population vivait désormais cloitrée dans les encablures de ses quartiers, confinée dans la peur et la paranoïa. Si les Vaekaron n’avaient pas encore officiellement offert leur allégeance, ils se tenaient fermement auprès du clergé du Dieu des Dieux. Ce dernier soutenait une troisième voie, en train de se dégager. Cette nouvelle couleur n’enchantait pas Alynera, mais elle savait qu’elle n’aurait probablement pas grand mot à dire dans les évènements à venir. Les Dynasties étaient brisées, en désaccord, et ses amies d’hier seraient ses ennemies de demain. Dans ce nouveau camp, constitué majoritairement d’une bourgeoisie aisée étrangère à son monde, elle n’avait aucun soutien. Jaehaegon lui avait donc suggéré de se rapprocher de cette jeune femme dont la famille, comme la sienne, avait souffert d’un revers de fortune pathétique. À la voir devant elle, Alynera savait pourtant que cette simple comparaison était ténue. Les deux femmes n’avaient rien en commun. Elle était un être honorable de feu et d’air, quels éléments composaient le corps de cette étrange créature chétive ? Si c’était donc pour ce changement d’ordre que la vitalité de sa famille s’amenuisait de jour en jour, elle préférait être passée à la lame ! Même la décadence de Valyria avait ses limites !
« As-tu connaissance des tâches que tu devras m’aider à accomplir ? »
Ses yeux, désormais teintés de jaune, la dévisagent toujours tandis qu’une servante l’aide à relever ses manches à l’aide d’une fibule d’or. Sa voix atone ne trahissait aucune émotion, quoiqu’il fut certain qu’elle manquait cruellement de bienveillance. Alynera, depuis près de quinze ans, prenait son rôle à l’hospice avec un sérieux tout religieux. Elle avait hérité la charge, qui n’en était pas vraiment une officielle, de sa défunte mère. La veuve régnait sur ces charités avec une dignité toute sacerdotale. Et ce n’était pas d’un œil bon, ni généreux, qu’elle y voyait pénétrer une anomalie généalogique. Ces lieux étaient un temple pour les dévotions aux pauvres, aux malades et aux femmes perdues. C’était un saint lieu qui nécessitait d’ordinaire une irréprochabilité morale et physique. Pour l’irréprochabilité physique elle ne pourrait rien faire : la jeune Taellarys n’avait que des yeux très pâles pour rappeler son ancienne ascendance. Heureusement, demeurait la moralité. Celle-ci pouvait toujours être corrigée, voire éduquée. Son sang devait bien garder quelques remembrances, tout ne pouvait être perdu. Finalement, après maintes réflexions, Elineor était comme les femmes qui venaient trouver refuge ici : elle avait grandement besoin d’aide, de protection et d'encadrement. Magnanime et charitable, Alynera s’était promise de lui procurer ces soins. Dès lors, céder aux volontés du Grand Prêtre avait été plus aisé. Et une idée secrète, certes sournoise et cauteleuse, s’était immiscée dans son esprit. La jeune femme ne pouvait pas être totalement responsable de la bassesse d’extraction de sa mère… C’était un fait connu de tous : certaines femmes étaient comme des serpents. Elles pouvaient charmer les meilleurs hommes afin de les envoûter de sortilèges. Comment expliquer autrement que le noble Gaeron avait-il pu profaner la mémoire de sa sœur-épouse ? Cette quadruple condition qui était la sienne — sang inapte, brune, bègue et fiancée à un mercenaire de la pire espèce — dont les Dieux l’avaient châtiés était une punition suffisante puisqu’Ils l’avaient voulu. Il n’était pas à Alynera d’établir un autre jugement, du moins pas dans ce monde là.
« Peu de Dames viennent ici depuis l’attaque terrible qu’a subit notre Cité, mais les femmes et les enfants continuent pourtant d’y mourir tous les jours. Ta présence doit leur être un réconfort, la vertu de ta…, elle marque un temps, presque involontaire, … naissance leur apportera un soutient dans leurs dernièrs instants. Le plus important est de recueillir leurs prières pour que nous puissions les porter aux temples. »
Malheureusement, les femmes de cette hospice n’y restaient pas longtemps. Dans ce sens, Alynera veillait surtout à ce que les pièces mortuaires soient toujours en suffisance afin que toutes aient leur passage dans l’autre monde. Mais à part leur parler, leur procurer quelques réconforts et recueillir leurs peines, il n’y avait rien à faire.
« As-tu des questions ? »
- DISCLAIMER:
Oui, je cite Balavoine et Pocahontas dans le même topic et c'est cata cata Surtout, je tenais à signaler que les abominations mentales de mon personnage, valyrien, ne sont pas les miennes