- An 1067, mois 4
Baelor Cellaeron occupait avec sa famille de vastes appartements sur trois étages dans l’immense tour qui dominait toute Valyria et au sommet de laquelle siégeait le Conseil des Cinq. Depuis son élection comme Lumière de Sagesse et son nouveau statut de serviteur de tous les Valyriens, Baelor et les siens avaient emménagé dans ces lieux prestigieux pour pouvoir être en sécurité face aux multiples dangers que posaient cette charge. Il s’agissait également d’honorer la fonction, qui était également largement de représentation.
Le nouveau bureau de Baelor était bien plus grand que celui qu’il occupait au Sénat. Cette pièce était si vaste qu’il y avait des colonnes pour soutenir le formidable poids de la tour. Une ouverture assez large pour faire entrer un dragon permettait d’apprécier une vue sans aucun équivalent dans le monde connu : Drivo passait pour être l’édifice le plus haut du monde. On y voyait une partie de Valyria s’étendant aux pieds de la tour, ses différents Quadrants et au loin, la campagne et les volcans. Le meuble sur lequel Baelor travaillait avait la même propension au gigantisme. Bien des logis valyriens avaient une superficie moins étendue que cette immense table où trente personnes auraient pu siéger sans jamais se gêner les unes les autres. Malgré cela, la table était emplie de documents, parchemins et autres outils nécessaires à la conduite des affaires de la République. Baelor regardait rarement cette cité qui s’étendait à perte de vue, car il travaillait dos à cette vue, laissant à ses interlocuteurs qui s’asseyaient alors face à l’ouverture le soin d’apprécier le moment. Ils étaient toutefois rares à être reçus en ces lieux, car Baelor préférait mener ses affaires auprès du Sénat. S’élever aussi haut en faisait, selon lui, un personnage à part. Tous n’avaient pas la possibilité d’aller dans ces lieux uniques : leur accès était réservé à une sélection drastique de personnes dignes de confiance et d’une loyauté à toute épreuve.
Baelor souhaitait que son fils aîné, du moins le plus âgé dont il avait connaissance, soit l’une de ces personnes. Depuis toujours, il avait toujours travaillé à donner à ce fils illégitime l’attention d’un vrai père et de lui préparer une véritable place dans ce monde. S’il avait été un temps question de le voir hériter pour de bon de sa place, les enfants qu’il avait eu avec Myssaria avaient repoussé à chaque naissance un peu plus loin cette éventualité. Jusqu’à ce que la princesse de la Rhoyne donnât le coup de grâce à ce projet, faisant jurer Baelor de ne jamais laisser Daelarys avoir une part d’un héritage qu’ils avaient bâti à deux. La seule chose que Baelor pouvait légitimement laisser à son fils, c’était une place dans ce monde. Il n’était pas dénué de talents et l’influence de son père ouvrait des portes. Au fil du temps, c’était une relation de confiance qui s’était bâtie selon Baelor. Il avait longuement associé Daelarys à ses décisions, lui avait confié sa sécurité. Tout cela était en train de changer depuis qu’il était Lumière, car sa sécurité était désormais supervisée par les officiers de la première armée valyrienne. Daelarys lui-même avait trouvé son bonheur dans la marine valyrienne et, selon Baelor, il avait l’étoffe d’un grand officier.
En cette journée du quatrième mois de l’an 1067 après la Fondation, Baelor avait convié son fils à le retrouver dans cet illustre bureau pour pouvoir échanger au sujet de quelque chose qui le préoccupait grandement. A la différence de ce qui pouvait être publiquement affiché, Baelor n’était pas intégralement convaincu du bien-fondé de son alliance avec les militaristes dans la faction rouge. Il était pieds et poings liés car il s’était associé à eux pour se faire élire, mais il n’avait aucune envie de voir son pouvoir être confisqué par une clique d’officiers ambitieux et de second-nés voulant se faire un nom. Pourtant, les autres factions ne lui semblaient guère plus prometteuses. Les bleus étaient dominés par les Riahenor, au premier rang desquels Maegon n’avait guère digéré sa défaite à la dernière élection, tandis que les jaunes étaient sur un chemin qui ne plaisait guère à Baelor.
Il était encore plongé dans ses pensées lorsqu’il entendit Daelarys approcher. Il se retourna pour lui faire face, lui adressant un sourire un peu plus franc que celui, figé, qu’il arborait en permanence pour charmer ses interlocuteurs. Il alla à sa rencontre, lui prenant la nuque avec affection dans une main.
« Mon fils ! Bienvenue en ces lieux formidables. J’espère que l’ascension n’a pas été trop éprouvante. J’aurai aimé te convier plus tôt, mais depuis le meurtre de Lucerys, je n’ai pas une minute à moi. Comment te portes-tu depuis tous ces mois ? Quel est le sentiment général dans la marine ? »