Valyria, Quadrant Ouest - Année 1067, Mois 4
Vous vous retrouvez un soir interdit : le couvre-feu est toujours en vigueur. L’obscurité a envahi les rues depuis longtemps dans la belle Valyria. Si la ville ne dormait jamais vraiment avant le coup de force des armées, la situation est désormais bien différente. Le soir tombé, il y règne un calme tendu, où l’on peut percevoir l’ambiance électrique qui a envahi la cité. Les étoiles ponctuent un ciel noir d'encre comme autant de diamants sur un pourpoint. La seule source de lumière naturelle, hormis la lune, vient des volcans qui teignent le ciel obscur d'une discrète lueur rougeâtre au-dessus de leur cratère empli de magma en fusion.
Vous vous trouvez non loin de la Vallée des Taudis, la grande balafre de Valyria, le pendant de la glorieuse cité. Voici des siècles, un effondrement a éventré le sol et révélé une entrée sur les égouts de Valyria. Depuis, la ville parallèle qui s’y est développée est aux mains de barons du crime du cru. Sans être aussi anarchique que le gigantesque bidonville où se trouve son entrée, la cité souterraine est un lieu que toute personne sensée évite au mieux de ses capacités. En conséquence, les entrées sont assez confidentielles. Une seule entrée est connue de presque tous, elle se trouve au cœur de la Vallée des Taudis, mais ce n’est pas celle que vous utiliserez ce soir. Parmi les autres entrées vers la cité souterraine, plus secrètes et plus exclusives, se trouve celle devant laquelle Aerys Maerion vous a donné rendez-vous.
Arraxios Maerion avait jadis été un homme puissant, parmi les plus en vue de Valyria. Il avait siégé comme Lumière de Sagesse au sommet de Drivo, jugeant la cité qui s’étendait à ses pieds, contrôlant du même mouvement son empire criminel et menant la guerre contre Ghis. Le patriarche Maerion avait été de ceux qui s’étaient élancés depuis le complexe gouvernemental valyrien pour ravager la flotte d’invasion ghiscarie à la bataille de Mhysa Faer. Pourtant, alors que son accession au rang de Lumière aurait dû signifier un pouvoir sans aucune limite et une influence à son paroxysme, elle avait signifié le début d’une lente chute pour les Maerion que rien n’avait pu arrêter. Assis sur des fortunes considérables amassées au fil du temps, les Maerion ne craignent rien dans l’immédiat tant leurs affaires officielles brassent elles aussi de l’argent. Toutefois, leur réseau criminel s’est étiolé et sa déliquescence a atteint un point de non-retour avec l’attaque de traîtres au sein du réseau contre Aeys Maerion lui-même. Face à une situation préoccupante pour sa famille, Arraxios a ouvert les coffres et a confié à son fils cadet la délicate mission de trouver des preuves de l’implication de ceux qui œuvrent dans la Nuit.
Aerys Maerion a exigé la conduite de cette opération et a rassemblé autour de lui un carré de confiance. Il y a Daenyra Tergaryon, de laquelle le cadet Maerion s’est éminemment rapproché ces derniers mois, jusqu’à lui faire part de ses doutes et ses suspicions dans les événements qui frappent sa famille. Il y a également le vieux maître d’armes de Castel Maerion, l’homme a pratiquement la soixantaine mais dispose d’un talent inégalé aux lames. Il a longtemps servi les Maerion comme l’un de leurs sbires avant de se voir offrir cette retraite dorée de maître d’armes auprès de son employeur. On trouve également Hordar Kihzeznis, l’un des affiliés des Maerion dont la famille dirige la pègre à Elyria. Enfin, un personnage d’une influence considérable : le légat de la première armée, Vagar Nohtigar en personne. Dans la faction rouge, Vagar est d’une stature particulière car il commande l’armée qui est d’ordinaire la seule à être stationnée en garnison à Valyria. C’est un soldat compétent, un soutien loyal de la République et un homme intègre. Toutes ces qualités ont séduit Arraxios qui lui a offert de participer à l’enquête, de manière plus ou moins officielle. Le légat a ainsi pu sélectionner une dizaine de ses meilleurs hommes pour l’accompagner.
Peu serein à l’idée de laisser Daenyra arpenter seule et en pleine nuit le Quadrant Est, Aerys est venue la chercher à une soirée où elle assistant par prétexte. L’entée de la ville souterraine que vous recherchez se trouve sur le grand bazar. Avec des instructions précises qui vous ont été communiqués auparavant, vous n’avez pas de mal à trouver la tente bleue et verte de l’étal aux potions magiques qui dissimule l’entrepôt d’un alchimiste de marché. Tout cela n’est cependant qu’un tour de passe-passe car sous un tas de fripes usées se trouve une trappe et une échelle menant à une galerie creusée à travers la cendre volcanique compactée par des siècles d’attente. Au bout de cette galerie en pente douce, un mur massif de pierre grise, jadis blanche, bloquerait la route s’il n’était pas éventré. C’est devant ce passage de mur détruit que le rendez-vous a été donné. Dix soldats de la première armée, leur légat, deux hommes de main des Maerion, Daenyra et Aerys : quinze personnes pour un voyage d’un danger absolu. Bien qu’il compte parmi les plus jeunes de l’assemblée, c’est Aerys Maerion qui mène le briefing et les explications sur la cité troglodyte dans laquelle vous vous apprêtez à pénétrer. Depuis son retour de la guerre, Aerys a mûri et son regard s’est endurci. Il est toujours le jeune freluquet qu’il était jadis, mais il est désormais plus grave. Il a gagné en autorité et en confiance en ses capacités.
« Bien, j’imagine que la plupart d’entre vous n’ont jamais mis les pieds dans l’univers qui nous attend derrière ce mur. Je vais donc vous faire une présentation complète. Tout d’abord, je vous remercie d’être tous présents ; je suis Aerys Maerion et je serai le représentant de votre commanditaire ce soir. »
Campé sur ses deux jambes, Aerys arbore une tunique noire à manches longues recouverte d’un plastron à linothorax doublé d’acier valyrien. L’armure est discrète mais vaut une fortune pour des yeux experts. Il a abandonné son armure d’éclaireur de la troisième armée lorsqu’il a quitté celle-ci, quelques mois auparavant, et il s’habitue peu à peu à porter de nouveau des habits seyant à son statut et son nom. Il porte avec lui un long glaive à la garde ornementée à son flanc gauche et une dague effilée à son flanc droit. Ses boucles blonds retombent légèrement sur ses yeux mauve pâle mais son regard reste déterminé.
« Une fois passé ce mur, il vous faudra oublier tout ce que vous connaissez du genre humain et faire fi de vos règles car aucune morale ne s’applique ci-bas. Nous allons traverser cet endroit de malheur vers les Tréfonds. Tout le monde a entendu parler des créatures infâmes qui peuplent cette partie des souterrains alors soyez sur vos gardes en permanence et couvrez-vous mutuellement, personne ne doit être isolé. Et la règle la plus importante, c’est celle de ne jamais, j’insiste, jamais se séparer du groupe. Nous bougerons comme un seul individu. »
Il se tourna plus particulièrement vers Daenyra, dont il craignait l’impact d’un territoire aussi hostile sur la psyché.
« La cité souterraine mettra vos esprits et vos nerfs à vifs, elle vous testera et vous soumettra des épreuves, comme elle le fait avec chacun qui s’aventure dans ses boyaux malodorants. Défense absolue pour quiconque de quitter les chemins éclairés par les torches. Quoi que vous puissiez voir, entendre, sentir, vous resterez concentrés sur votre objectif et votre groupe : est-ce bien compris ? »