Sous les rayons d’une lune blafarde, quatre silhouettes progressaient dans les ténèbres, faisant fi de l’interdit. C’était un précieux cortège qu’encerclaient ces deux gardes, dont l’allégeance se dirigeait entièrement vers les Tergaryon. Elaena tenait fermement la main de sa cadette dans la sienne, transperçant l’obscurité de cette ville endormie. Un voile paisible recouvrait les chaumières tandis qu’ils s’enfonçaient peu à peu dans les tréfonds de Valyria jusqu’à gagner une sombre entrée qui faisait figure de gueule béante. Les entrailles de Daenyra se tordirent, guère rassurée par le chemin qui s’imposait à elles. « Elaena… » La Sénatrice la gratifia d’un regard confiant et rassurant. « Ne crains rien, je suis avec toi. C’est l’unique moyen. » Sans un mot, la jeune femme acquiesça, consciente que son aînée ne les aurait ajamais engagées dans une telle quête si cela pouvait s’avérer dangereux, ou si sa piste n’était pas sérieuse. Il avait fallu agir dans l’ombre, composer avec des murmures jusqu’à trouver ce qui ressemblait le mieux à une solution.
Les tourments de Daenyra ne s’apaisaient nullement, même après quatre mois d’un isolement forcé. Sa compagnie s’était rétrécie à sa plus proche famille, constituée de ses parents, frères et sœur, et d’une domestique veillant au moindre de ses besoins. Lorsqu’il ne fut plus possible d’étendre son absence sans éveiller les soupçons, elle fut renvoyée à la société valyrienne avec tout ce que cela comportait de souffrance pour elle. Sa vie s’était toujours composée sur une symphonie contraignante mais facile à apprendre. Dès lors qu’elle assistait à une quelconque réjouissance, elle savait que son temps était compté. Elaena et elle avaient mis en place un signal où elle informait sa sœur de ses faiblesses et la sénatrice parvenait à l’éclipser discrètement. Parfois, quand elle ne pouvait se soustraire à certains évènements, elle ne paraissait plus pendant une courter période en société, le temps de recouvrer pleinement sa santé. Mais depuis la tragédie de l’effondrement de la cité, puis le meurtre de Lucerys Arlaeron, le chaos projeté par toutes ces horreurs anéantissait tous ses espoirs de repos salvateur. La moindre apparition publique l’exténuait avant même qu’elle ne s’achève et l’abandonnait à plusieurs jours d’orage dont les confins de ses appartements où fièvres et cauchemars se succédaient sans lui accorder le moindre répit. L’unique solution pour éteindre les flammes de sa douleur était une décoction qu’Elaena avait trouvée dans le plus grand secret. Cette affreuse potion parvenait à ménager l’esprit de la dynaste au cours de rassemblements, mais dès lors que les effets se tarissaient, la tempête de son don reprenait, inlassablement.
Cela ne pouvait plus durer. Outre l’inconfortable position dans laquelle les Tergaryon risquaient de se trouver si ce mal persistait, il en allait de la santé de Daenyra qu’aucun remède ne soulageait. Son esprit s’en retrouvait plus éprouvé à chaque événement, ses fièvres se multipliaient et il lui devenait ardu de différencier songe et réalité, le tout se mêlant dans un marasme odieux. Dans ses plus vifs supplices, elle réclamait la clémence des Quatorze et que Balerion l’emporte auprès de lui. Au moins pourrait-elle rejoindre ce frère chéri et perdu… Là résidait l’urgence dans l’esprit d’Elaena Tergaryon de trouver une cure et des réponses à l’offrande que les Dieux leur firent. Et si cela devait être une malédiction, ils sauraient poser un mot sur ce mal qui la rongeait et s’enquérir d’une nouvelle solution.
« Nous ne pouvons te suivre plus loin… » déclara Elaena, la voix transpercée de regret. Cette obligation s’imposait à elles sans qu’elles ne puissent s’en défendre, édictée par un être auquel on n’opposait que peu d’objections. Daenyra lui adressa un regard entendu et serra plus fermement ses mains dans les siennes. Son aînée la captura dans une brève étreinte avant de s’arracher à elle. Désormais, dans ce boyau ténébreux, la dynaste devait progresser seule. L’unique lueur de son flambeau constituait une présence assez rassurante pour la pousser à évoluer dans ces tunnels aussi peu amènes qu’humides. Elle resserra sa cape sur ses épaules et sa tête, érigeant une frontière entre sa peau et l’air glacial qui régnait en ces lieux. Des bruits étranges l’interrompaient dans son évolution, l’obligeant à sonder les ténèbres. Le néant lui répondait par un silence assourdissant, avant qu’elle ne reprenne sa marche prudente.
Soudain, il lui sembla qu’elle s’était égarée dans une impasse. Où que Daenyra se tourne, les murs l’acculaient là où des ombres grandissantes proposaient une valse morbide autour d’elle. Ce fut là qu’elle le sentit… avant même qu’il ne fasse mention de sa présence ou qu’une seule de ses paroles transperce la barrière de ses lèvres métalliques. Un esprit si complexe, si nébuleux et si dément qu’elle ne parvint à en définir les contours, moins encore les textures de ses émotions. Tout ce qui lui fut révélé s’imposa à la lumière des braseros qui s’enflammèrent un à un, mus par un sortilège. Les rayons crus des flammes illuminèrent une haute silhouette drapée de nombreux tissus qui ne laissaient rien apparaître de sa peau. Et sur son visage trônait un masque de fer qui présageait l’ignominie de ce qui s’y trouvait dissimulée.
« Maître des Ombres… » murmura Daenyra, assurée qu’elle faisait face à l’homme qu’elle recherchait. Ainsi existait-il et n’était-il en rien une légende, ou quelques mythes que susurraient les rues de Valyria. Elle retira sa capuche, libérant ses lourdes boucles d'argent. « Je suis Daenyra Tergaryon, mais sûrement le sais-tu déjà. » Il était de ces êtres énigmatiques qui tirent leur magie d’origines que la moral commandait de taire. Peut-être connaissait-il même déjà la raison de sa présence ici. Déposant sa torche dans l’un des braseros, elle s’approcha de Viserion, déterminée à ne point paraître intimidée. « On murmure ton nom dans les ombres, comme si la lumière craignait ta présence. Tout juste des rumeurs vouées aux ténèbres… Saurais-tu m’aider ? » Car il n'était rien de moins que son dernier espoir.