Le guérisseur avait été catégorique : anémie. La toute puissante Vaenyra, auréolée de la gloire de son arrivée récente au Cinquième Cercle, invocatrice de démons, souffrait d'un banal manque de sang. Aussi furieuse et honteuse de se voir infliger un tel calvaire, la fille de Volantis comprenait bien des choses désormais. De la pâleur extrême de sa peau - même pour une valyrienne de sang-pur - jusqu'à son cœur battant aisément la chamade, elle aurait du en reconnaître les symptômes. Elle devait s'avouer que les années d'alchimie et de guérison étaient désormais loin de sa vie actuelle et que son savoir s'était perdu au fil des ans à se spécialiser. Malgré tout, la diagnostic de son confrère avait permis de lever le voile sur un mystère.
Inconsciemment, Vaenyra ramena sa main contre son bas-ventre. Voilà près de deux mois qu'elle n'avait pas saigné. Si au début, elle ne s'était pas inquiétée, un vague instinct maternel l'avait tiraillée. Bien que n'ayant pas connu d'homme depuis une longue période, et prenant généralement les herbes abortives traditionnelles, Vaenyra avait craint le pire. Elle se croyait déjà atteinte de cette sécheresse, cette petite mort à l'idée d'avoir perdu la matrice de vie bénie par les Dieux. Si jamais elle ne porterait l'enfant de son frère, la Mage connaissait encore les troubles humoraux de la corde parentale. L'heure tournait et Vaenyra ne pourrait échapper aux ravages du temps. La seule idée d'y avoir échappé pour encore un temps la faisait doucement rêver.
La Mage se battait contre d'autres soucis. Avant tout, une fuite en avant pour repousser cet amour à jamais disparu qui se transformait peu à peu en une quête obsédante. Chaque pas de Vaenyra la rapprochait un peu plus de la vérité quant à la mort de son frère. Pourtant, elle devait s'avouer ne pas y penser en cette journée ensoleillée. Poussée par son orgueil démesuré, affaiblie par la volonté farouche du mage-soigneur qui l'avait auscultée, elle s'était laissé aller à une journée de repos. Vaenyra refusait de penser à ses études, aux discours aussi attirants que dangereux de Jaenera ou encore à ses propres ordalies internes.
Apprêtée d'une robe de style rhoynar, dénudant largement son épaule gauche jusqu'à la naissance de son sein, elle avait laissé voguer ses cheveux au rythme de la vie. Ses larges boucles cascadaient sur sa nuque jusqu'au creux de ses reins et, malgré ses traits tirés, son regard pétillait devant les merveilles du marché. Légèrement enivrée par les odeurs des épices, les tissus soyeux - et un pichet de vin lourd venu des principautés Sarnor - elle déambulait parmi les commerçants et les badauds. Ceux-là même venus pour oublier le couvre-feu et les temps sombres qu'ils vivaient. L'espace d'un instant, Vaenyra s'autorisait à partager leur légèreté et la simplicité de l'ignorance. Bienheureux étaient les pauvres d'esprit.
S'arrêtant à un étal, la Mage découvrit de vieux parchemins, des lourds manuscrits et surtout de la soie Yi-ti. Les yeux écarquillés, Vaenyra s'affaira à lire les titres des traités, découvrit quelques merveilles venues d'aussi loin qu'Asshaï-les-Ombres et hésita à les acheter. Ses doigts la brûlaient entre l'envie de dépenser pour assouvir sa soif de connaissance ou de dépenser pour satisfaire sa coquetterie. Et les Dieux en furent témoins, elle s'offrirait les deux aujourd'hui ! Attrapant sa bourse, elle se retourna pour faire face au marchand lorsqu'un individu la percuta - ou plutôt elle le percuta dans un souffle. Avec horreur, Vaenyra regarda son pécule se noyer dans la foule.
Tu ne peux pas regarder où tu vas, crapule !
Le maigre poing de Vaenyra s'enfonça dans l'épaule de l'homme pour attirer son attention. La mage dût bien admettre qu'il avait un charisme dont on se rappelait. Ses cheveux fins plus effilés qu'une voile après la tempête encadraient un menton assez long pour le supplice de la planche, mais également assez large pour celui de la cale. Si son front ne connaissait pas le malheur des âges, Vaenyra pouvait déjà lire une marée descendante sur cette ligne de front. Mais plus que tout c'était ce cache-oeil, cachant sans aucun doute une blessure ou une erreur génétique. Outrée, la Mage continua sur sa lancée :
Par l'argent des argentiers ! Tu t'es crevé l'oeil pour honorer le vieil Arlaeron ou tu tu l'as simplement confondue avec ta bouche ?