– Maître ? Ton bain est prêt. Il faut te hâter, sinon l’eau va refroidir.
Sailli de toute part par la fraîcheur du matin, Jaehaegaron releva la tête de son ouvrage et croisa le regard de son domestique, lequel se tenait à l’encadrement de la porte de son bureau. Le jeune valyrien n’avait pas entendu ni le grincement des gonds ni même les bruits de pas de son serviteur. L’information qui venait de lui parvenir, un bon bain chaud, lui arracha un petit sourire.
– Oui, oui. J’arrive, lui adressa-t-il avant de le quitter des yeux pour finir le paragraphe qu’il était entrain d’étudier.
La nouvelle de la destinée de son tout jeune fils, Tyraegor né de l’union avec sa désormais soeur-épouse, Daenerys, avait poussé le jeune sénateur a se pencher sur la question de la magie valyrienne. L’annonce de la future entrée de son fils au Collège des Mages n’avait pas eu le même retentissement que celui que l’on pouvait naturellement escompté à l’annonce de la naissance d’un héritier, ce ni dans la bonne société valyrienne, ni même encore dans le Castel Maerion, où le père du fringuant sénateur avait d’ailleurs déjà fait connaître ses impressions de manière très directe. Sans être non plus interprété comme un mauvais pressage, on pouvait estimer assurément que le nom des Maerion aurait pu briller en prestige s’il en avait été autrement. Quel paternel ne serait pas fier d’annoncer qu’il avait donné à sa lignée un héritier et que de fait sa famille était consolidée ?
Désormais père, Jaehaegaron avait tenu à prendre cependant toute la responsabilité de cette nouvelle situation. S’il était vrai que Tyraegor aurait pu accéder à un rang plus noble, il n’en n’est pas moins qu’il avait réussi l’Épreuve du Feu et qu’il avait reçu, à un si jeune âge, l’immense honneur de servir les Dieux de sa Cité en étudiant la science des arcanes. De son vivant, le jeune valyrien n’avait pas eu le souvenir d’avoir côtoyé de très près des mages.
Certes, la position de sa famille lui avait permis de fréquenter du monde, et en abondance ! Mais sous l’empire d’un père qui le destine et qu’il lui rappelle chaque jour que le sort fait, qu’il va hériter du nom Maerion et de tout ce qui va avec, Jaehaegaron n’avait jamais eu le temps de se pencher sur cet art aussi ancien que le domptage des premiers dragons par les fondateurs de Valyria et si emblématique de sa Cité que la renommée hédoniste des mœurs de sa patrie.
Ainsi, cette nouvelle était vécu plutôt comme une réjouissance pour le jeune homme. Depuis la guerre avec Ghis, Jaehaegaron avait bien changé. Tout avait bien changé, même. Meleys, sa sœur aînée, à qui il était promis, fut emportée quelques jours avant les premiers combats et lui accompagné de son jeune et fringuant frère ainsi que de son père avaient du rejoindre manu militari le champ de bataille pour servir sous les bannières de la République. Cet épisode avait été la source de grands chamboulements dans la psyché du Sénateur Maerion, même si celui-ci n’en mesurait pas encore toutes les conséquences. Il en résultait du moins qu’à son retour, Jaehaegaron avait entrepris d’accepter sa situation et de se mettre au clair avec les Dieux. La venue d’un fils destiné à la magie, d’une union que rien ne permettait de prévoir et qui avait été la cause et le catalyseur de nombreux doutes et remises en question, était donc perçu comme un signe, une bonne augure … Peut-être un mariage prolifique ? Une union forte ? Comme l’espérait le cœur du jeune sénateur.
– Maître. Ton bain va refroidir.
- Oui, s’agaça le sénateur qui peinait à finir sa lecture. Voilà, j’arrive.
Dès qu’il eut fini son paragraphe, Jae se leva de son fauteuil et son regard se plongea alors dans la pièce. L’aurore du matin avait enveloppé son bureau dans une vape obscure qui ne laissait apparaître que les traits effacés de son environnement. La lumière du soleil, chaude, commençait à percer au lointain. La frêle bougie qu’il avait pris avec lui pour entamer sa lecture au lever du lit ne lui était plus d’aucune utilité. Il l’éteignit alors avant de se diriger vers la porte de son bureau.
Dans la pièce voisine, plusieurs domestiques s’activaient à préparer la journée du jeune sénateur. Sur une des banquettes de la salle, ses linges, parfaitement lavés et prêts à être enfilés. Au milieu de la pièce, une somptueuse bassine, acquise à très bon prix et forgé par un excellence artisan trônait fièrement. La vapeur de l’eau chaude emplissait la pièce et enveloppé le bain d’un discret nuage. Jaehaegaron était pressé de plonger son corps assailli par le froid matinal.
– Plus vite, lança-t-il à la jeune esclave qui lui ôtait son dernier vêtement.
L’entrée dans cette eau, si pure, si chaude, provoqua en lui un long instant de satisfaction. Ses poils se dressèrent à mesure qu’il s’immergeait dans la bassine et ses muscles, légèrement engourdis par le froid matinal, se détendaient eux aussi. Un râle de plaisir lui sortit tout naturellement de la bouche alors qu’il était complètement installé.
Et très bientôt, la machine rodée de la maison se mit en marche. Le jeune sénateur avait renouvelé en grande partie son service domestique personnel au retour de la guerre. Après tout, il fallait bien faire quelque chose de l’argent qu’il avait reçu du fait de sa participation au conflit et à la victoire de la République, si s’en était une. Jaehaegaron s’était rendu à l’une des ventes organisées par la guilde des marchands et avait demandé à voir les plus beaux arrivage. Les rapports de la famille avec cette organisation mercantile ayant facilité les choses, il avait cependant du dépensé le prix fort pour chacun des esclaves présents dans cette salle. Dans un autre contexte, le sénateur aurait trouvé cette idée minable mais la guerre usait et nécessitait à celui qui en sortait de tenter de reprendre le cours d’une vie normale, sans quoi, sombrer dans la folie était son destin. Et c’était ainsi que l’héritier Maerion avait choisi de mettre en application cette pensée.
Bientôt, une jeune femme apporta le savon qu’elle versa dans le bain tandis qu’une autre s’était munie de quoi le laver. Jaehaegaron considérait que prendre soin du corps d’un seigneur-dragon et sénateur était un honneur particulier qui ne pouvait être attribué à n’importe qui. Parmi le groupe dont il avait pris possession, le jeune valyrien avait donné cette charge à la plus belle d’entre elles. Ses cheveux blonds dévalant ses clavicules et sa poitrine en une cascade de boucles avaient eu l’insigne honneur de recevoir la faveur des yeux et du cœur de son désormais maître. S’approchant du jeune homme, son parfum inonda ses narines et prolongea la sensation de détente que celui-ci ressentait. Le jeune valyrien se plongea totalement dans le moment présent et profita.
Jusqu’à ce que l’émotion passe et que son esprit se mette à ruminer... La journée, qui avait commencé sur les coups de cinq heures, était loin d’être terminé. Après avoir pris une modeste collation, Jaehaegaron avait passé deux petites heures dans son bureau à étudier le livre traitant de magie, appartenant à la bibliothèque familiale. En vérité, il s’était surtout laissé porter par ses pensées qui lui rappelait sans cesse les enjeux de la situation présente.
Son père, Arraxios Maerion, grand héros de la République, ancienne Lumière du Conseil et de renommée sans conteste dans toute la péninsule valyrienne, était l’un de ces poids que le jeune valyrien devait supporter chaque jour passant depuis sa naissance. Son empire paternel n’avait jamais vraiment disparu car le vieux Maître du Castel Maerion veillait au grain. Il était toujours là pour rappeler à son héritier sa condition. Même lorsqu’il s’agissait du fils de celui-ci, le jeune Tyraegor.
Sa destinée au Collège des Mages n’avait pas plus à Arraxios, qui lui attendait de Jaehaegaron et de Daenerys, un héritier digne de porter le nom Maerion. Le désormais grand-père l’avait fait savoir directement pendant la cérémonie de l’Épreuve du Feu de son petit fils. Autant dire que de tels commentaires ne purent être reçu favorablement par Jaehaegaron.
Ce jour-là, une dispute éclata. Le prenant par le bras, Jae le fit sortir de la pièce et le regarda droit dans les yeux. Une colère noire traversait ses pupilles. Quoi que son fils put faire, Arraxios condamnait absolument l’acte de celui-ci, qu’il prenait pour de l’insubordination. Les mots volèrent comme des éclats de verre et les noms d’oiseaux qui furent proférés à ce moment allaient prendre du temps à être oublié. Le jeune valyrien avait pourtant toute la légitimité d’agir ainsi. Il en était convaincu !
Jaehaegaron pouvait encore ressentir la colère le prendre alors que Arraxios déclarait à demi-mot que Tyraegor aurait pu faire mieux pour sa première épreuve. Par tous les Dieux ! Comment un enfant, un nouveau-né pouvait-il faire quelque chose, un jour à peine après sa naissance ? Seules ces choses là appartiennent au domaine des êtres bien supérieurs aux Valyriens, qu’ils montent ou non des dragons. Comment pouvait-on attendre quelque chose d’un être dont la naissance ne datait d’à peine un soleil et une lune ? Jaehaegaron avait consenti à l’autorité de son père sur sa vie, et ce depuis sa naissance. Mais il voyait bien le jeu auquel Arraxios voulait jouer. Laisser son propre fils se faire embarquer dans le même labyrinthe que lui était hors de question. Certes, le seigneur-dragon était attaché aux règles et aux préceptes moraux ainsi qu’aux traditions ancestrales de son peuple mais il n’avait pas envie d’enfermer son fils dans le même carcan que lui avait imposé son propre paternel. Si la vertu doit prédominer, elle se doit de l’être autant chez le père que chez le fils et Jaehaegaron avait tenu ce jour là, à le rappeler à son père.
Mais les minutes passèrent plus vite que le cours de ses pensées. L’eau du bain devenait déjà tiède. Peut-être était-ce à cause des pensées de celui qui l’occupait ? Après tout, des lectures de Jae, les arcanes avaient l’air de regorger de nombreux mystères et autres secrets encore inconnus malgré l’âge ancien de cet antique art. Comme l’eau n’était plus agréable et qu’il fut lavé pendant sa rêverie, Jaehaegaron fit un signe de tête pour signifier qu’il en avait terminé avec son bain. Le jeune valyrien en émergea, l’eau goûtant de son corps, et une esclave le sécha. Un autre se prépara à l’habiller. Le petit déjeuner attendait le sénateur car à cette heure, l’ensemble du Castel devait être assurément éveillé.
Sa tenue enfilée et sa toilette journalière faite, le sénateur disposa ses domestiques et quitta la pièce pour rejoindre la grande salle où sa sœur-épouse accompagné du tout nouveau-né Tyraegor ainsi que le reste de la famille devait déjà être attablé. Le valyrien pressa le pas, passant un complexe de couloirs et de salles avant d’arriver dans la grande salle. Des domestiques s’activaient en tout sens pour préparer la table et servir leurs maîtres. Arrivant de dos, Jaehaegaron reconnu la longue chevelure blonde de Daenerys et les bredouillements sonores de leur fils.