Il existe à l'est du Quadrant Sud un jardin qui n'en est plus un. Autrefois, paradis arboricole se permettant le luxe d'un petit lac artificiel, il avait depuis longtemps plongé dans les méandres du temps et de la décadence. Où se dressaient les fiers platanes, il ne restait que des troncs taillés et noircis par les ans, la belle herbe verte frémissait sous l'ocre de sa teinture et la poussière irritait les poumons. Seule l'eau restait limpide, une clairvoyance rare dans cette tanière pouilleuse. À condition d'apprécier la compagnie, la merde et les effluves de bière et vins mal digérés. En d'autres termes, le jardin était tombé sous la coupe d'une bande. La pire bande qui puisse exister, parfois plus honnie que les cliques Maerion et Veltheon réunies : la horde d'officiers lassés par la vie citadine. L'endroit était ainsi le point de rencontre de ses hommes durs - pour la population valyrienne, sauvages - mais moins que des Andals ou des Nordistes , impolis - comprenez qu'ils ne se font pas le baise-main.
Jacaerys n'était pas un habitué des lieux. Il ne venait pas plus que trois ou quatre fois par semaine. Contrairement à d'autres, il considérait qu'un Légat n'avait pas à s'y présenter tout les jours de la semaine de l'aube au soir. L'État-Major, de son nom officieux, offrait autant de divertissements que de raisons d'y venir : alcools, jeux, bonne compagnie, mais surtout un lieu d'entraînement ouvert à tous. La Première Armée était connue pour sa sélection stricte de son mélange social, autant dire inexistant si on ne montrait pas patte blanche, pour échanger des coups d'épée. Aussi, le jardin devenait au fil des ans cet espace ouvert au public où quintaines fréquentaient tonneaux de liqueur et cercle de combat les tables de jeu.
Ce n'était pourtant pas ce dernier point qui avait amené le Légat ces jours-ci. Il avait délaissé son vice pour se consacrer à un autre: rétablir son niveau d'escrime en duel. Des années de chevauchées ou de sièges avaient émoussé sa capacité à montrer le meilleur de lui-même. En d'autres termes, Jacaerys frappait pour tuer. Cet état de fait écoeurait le Légat. Les images des gorges déchirées par son épée se superposaient à chaque coup. Il espérait ainsi qu'un entraînement le sauverait de cet enfer personnel. Son adversaire du jour était Maraxios Vif-lame, champion de son état et grand vainqueur de l'estime de soi de Jacaerys. Malgré leurs lattes de bois et leurs gambisons rembourrés, le Légat était couvert de bleus et autres plaies tandis qu'il n'avait pas touché plus d'une ou deux fois son adversaire.
En d'autres termes, la colère bouillonnait en lui. Il la contenait à grande peine à chaque échange. Sa concentration allait à sa technique. Malgré la fatigue et la douleur, il se satisfait de ses progrès. Ses coups se voulaient plus propres, moins saccadés. Sa main retrouvait le contrôle et la grâce nécessaire à la pratique du sabre Yi-Ti, arme qu'il appréciait particulièrement. Si elle ne valait pas une lame droite Andale au combat, sa légèreté et sa courbure permettaient de faire chanter chacune de ses frappes et proclamer l'art aux yeux du monde. Les yeux brûlant de la sueur coulant sur son front, ses boucles platine plaquées contre son crâne, il n'en menait pas large lors de l'échange lorsque Maraxios le frappa en pleine poitrine. Ses poumons expulsèrent l'air de son corps et sa vue se brouilla. Excité par l'afflux de sang dans son corps pour compenser, Jacaerys bondit et frappa. Une fois, deux fois, trois fois. La garde de son adversaire lui échappa et son arme factice vint violemment craquer sur le crâne de l'infortuné, estourbi par la même occasion. Le Légat lui montra les dents et lui cracha au visage:
Alors chien ? Tu viens d'Aquos Dohen pour avoir de la flotte à la place du sang ?
Pour toute réponse, le champion lâcha son arme et se mit au garde à vous, visage fermé. Jacaerys hésita l'espace d'une seconde puis comprit et se retourna. Une telle réaction ne pouvait signifier qu'une chose: quelqu'un de non bienvenu venait de se présenter. Or, il ne connaissait qu'une personne persona non grata à "l'État-Major" qu'on saluait pourtant. Elle était là. Surin d'argent. Avec un soupir presque dramatique, le Légat planta sa lame d'entraînement dans le sol et s'appuya contre la garde. Avec ce sourire las et machiste dont tout les hommes de l'armée la gratifiaient - par une solidarité masculine toute nouvelle - il la salua :
Vysehra Arlaeron. Il inclina la tête en un geste de respect : Que nous vaut cet honneur ? Tu n'es pourtant pas une habituée des lieux. Voilà toute la morgue dont Jacaerys était capable envers son estimée collègue. Car au fond, il n'en menait pas large comme en témoignait ses pupilles légèrement trop dilatées par ses sens.