Le vent était sec, chaud, rassurant. Le soleil réchauffait mollement les murs des maisons et les sols étaient encore suffisamment frais pour ne pas souffrir de la chaleur qui finirait par pointer le bout de son nez durant l’après-midi. On pouvait distinguer quelques odeurs florales mêlées à de très légers effluves plus désagréables, venant des tanneries non loin de là. La note principale était peut-être un peu de bergamote, liée à du jasmin, et la note secondaire semblait plus fraîche, plus discrète... Elles venaient sans doute des quelques arbres qui étaient plantés dans les cours des demeures plus luxueuses, à quelques pas d’ici. Les sons, eux, étaient un joyeux brouhaha qui véhiculaient rires gras de marchands et babilleries d’enfants encore trop petits pour émettre quelques mots. Tout était presque insouciant. Le morose du quotidien s’était soudain transformé en trésor journalier, l’ennui de la routine, quant à elle, était devenue aussi excitante qu’une première aventure. Herya redécouvrait les joies des choses qui lui avaient semblée jadis, insignifiantes voire même agaçante. Tout, sous ses mains, revêtait maintenant quelque chose d’unique, de précieux et de chérissable. Sans doute était-ce l’effet d’un retour parmi les vivants.
A son retour, on avait pris soin d’elle - ou plutôt examinée, serait un terme plus juste – puis on l’avait renvoyée chez elle pour prendre du repos. Elle avait dormi des jours durant, son corps refusant pendant un temps, d’accumuler un peu de chaleur. Grelottant de tout son être, il avait fallu un certain temps avant de retrouver une chaleur corporelle décente, même si la sensation de froid humide ne la quitta pas. Encore fort secouée de son aventure, elle demanda explicitement à ce qu’on ne vienne pas la déranger, et qu’elle se présenterait d’elle-même, quand son esprit s’en sentirait prêt. Dans un désir de paix, elle prit également la décision de quitter le domicile familial afin de s’installer dans une domus plus petite, mais sans l’inquiétude envahissante de ses frères. Elle avait désormais la possibilité de ne plus dormir au Collège, pour pouvoir vivre dans le calme. Ses nuits étaient agitées de cauchemars, mais elle s’en remettrait, lui avait-on dit. Aerymarr ne l’avait pas recontactée, depuis son retour, sans doute pour mieux peser ses mots avant de la revoir. Après tout, il avait enfin compris que quelque chose se tramait entre Rhaegar et elle, et que les fiançailles prévues avec son fils, ne se passeraient pas comme prévu.
Laedor, quant à lui, était rentré auprès de sa famille et son repos fut de courte durée. Le Sénat tremblait des nouvelles prises de décisions, et depuis l’assassinat de Lucerys, c’était lui qui avait pris la relève, non sans mal. Même s’il était bien vu d’une partie du gratin politique, ses maladresses et son manque d’assurance étaient palpables. Il n’était pas Lucerys, et beaucoup semblaient l’oublier. Désormais père, le poids sur ses épaules s’était également alourdi. Même si le devoir d’éduquer les enfants revenait à Naerys, son rôle à lui était aussi important que celui de leur mère. Et enfin, Rhaegar... Il était venu la sauver de l’enfer, il était venu l’arracher aux griffes de Balerion, mettant sa vie ainsi que celle de son père en danger pour arriver à ses fins. Dans un désir de lui laisser du repos et de l’espace pour respirer, il s'était mis en retrait. Puis, rappelé par ses obligations, il n’avait eu d’autres choix que de reprendre la mer. Ainsi, leurs retrouvailles n’eurent pas lieu.
Quant à Herya, elle prit congés de ses obligations, souhaitant pouvoir se remettre de ses émotions avant de retourner au Collège qui avait désormais prit une nouvelle direction. Lorsqu’elle quitta le Collège pour rentrer chez elle, elle fut surprise de découvrir un ensemble de sculptures à l’effigie de ceux qui avaient péri durant le putsch. La sienne était très ressemblante. Mais la petite étincelle de fierté qui naquit dans son ventre fut vite réprimée par les visages de ceux qui, également, avaient perdu la vie. Certains étaient très jeunes, à peine l’âge de rentrer au troisième cercle. Qu’avait-on annoncé aux parents ? Que leur avait-on dit sur les raisons de leur mort ? Leur avait-on avoué qu’ils s’étaient jetés dans une guerre qui n’était pas la leur, pour de simples désirs de pouvoirs ? Le regard d’Herya s’était assombri et la fatigue la rattrapa suffisamment vite pour ne plus avoir l’énergie nécessaire de penser aux conséquences des actes de Jaenera. Le jour des explications viendrait.
Installée dans son petit atrium, un drap de laine bleu sur les épaules, elle arrosait pensivement ses plantes. Un feu crépitait dans un petit brasero posé près d’une table, tandis qu’un paquet de feuilles volantes étaient disséminées à droite à gauche sur celle-ci. Doucement, elle s’était replongée dans ses recherches, pour mieux s’éloigner des images de l’enfer et de sa propre mort. Doucement, elle passa le doigt sur les feuilles d’une plante verte, afin de la débarrasser de quelques grains de terre qui s’y étaient déposés. Plongée dans ses pensées, elle n’entendit pas que l’on venait de frapper à sa porte, et elle n’entendit pas non plus les gonds de celle-ci grincer légèrement. Une personne entra chez elle, sans qu’elle ne s’en rende compte.