Tu es un imbécile, Jaekar.
L'intéressé grogna et entrouvrit un œil encroûté de sang. La lumière lui lacéra le cerveau et il gémit d'autant plus. Tournant la tête pour essayer d'échapper au soleil inquisiteur, le jeune homme le regretta aussitôt alors que la douleur le prenait. Mais surtout parce qu'il devait faire face à son père. Valerion Qoherys, tout de pourpre et de soie vêtu, regardait son fils avec cette pointe de déception dont il avait le secret. Il secoua la tête et passa un doigt sous le menton de Jaekar pour lui faire redressa la tête.
Tu as encore toutes tes dents au moins ?
Il n'avait pas vérifié. Jaekar passa sa langue dans sa bouche, soudainement inquiet. Fort heureusement sa dentition restait aussi parfaite et éclatante que la veille. Une molaire branlait un peu mais il lui suffirait simplement de ne pas mâcher de ce côté de sa bouche. Il secoua la tête à l'adressa de son père, bien peu désireux de parler. Il savait que sa voix ne serait qu'un vague croassement animal, loin du baryton dont il se targuait. Peu lui importait de n'avoir qu'un filet pour s'exprimer pour le moment. La chose qui comptait en ce jour était le soir même. Le soleil se levait à peine et, jeune et fringant, il n'aurait qu'à se reposer.
Car en effet, Jaekar Veltheon se mariait.
Il éprouvait un vague malaise à cette idée. Les mœurs valyriennes ne l'empêcheraient pas de convoler en paix avec ses amantes d'un jour, d'une nuit ou d'une vie. A vrai dire, ses propres remords ne le stoppaient en rien depuis toujours. Pourtant, l'acte d'union en lui même déclenchait des frissons dans tout son corps. La question était de comprendre s'il éprouvait du dégoût, de l'excitation ou de la peur. Probablement les trois à la fois. Sa promise était accorte, riche et intelligente. Jaekar appréciait sincèrement les rares moments passés avec Daera et il ne doutait pas que leur nuit de noces serait des plus intéressantes. Surtout que malgré leurs fiançailles, ils ne s'étaient même pas touchés. Une pruderie tout sauf pudibonde. Le cœur du jeune homme appartenait à une autre femme, et s'il espérait encore lui appartenir à la fin de la journée, il se donnait l'impression de la trahir.
Est ce que ça en valait la peine au moins ? demanda Valerion, sortant Jaekar de sa rêverie. Le fils sourit et hocha vigoureusement la tête. Cette nuit de folie avait probablement été un de ses expéditions de débauche la plus réussie. Elle avait commencé la veille au matin et venait à peine de se terminer. Chaque bordel avait été visité, chaque con remué avec entrain et il s'était même retrouvé avec pas moins de trois jeunes femmes : une rousse, une blonde et une brune pour la blague. A vrai dire, il se rappelait vaguement de cette scène sordide tant l'alcool avait coulé à flots. Seul un vague sentiment de réussite habitait Jaekar malgré la bagarre générale qui l'avait laissé dans cet état.
Je persiste à croire que ce mariage est une idiotie. Daera m'a humilié et tu t'es arrangé pour épouser une de mes ennemies. J'en tirerai une leçon précieuse Jaekar. J'espère que cette peste à la langue acérée saura faire un de toi un homme digne du Sénat et d'être mon héritier. Jaekar gratifia son père d'un regard noir : Je suis fier de toi fils.
Valerion lui tapota gentiment la joue, comme lorsqu'il était enfant mais il gagna qu'un gémissement. Avec un sourire froid, le père s'éloigna, remplacé par une jeune femme équipée de nombreux pinceaux et autres fards:
Pensez à bien camoufler les bleus de son visage. Vous avez le champ libre.
***
Lorsque Jaekar parut à l'amphithéâtre en fin d'après midi, on aurait dit un autre homme. Fini l'épave humaine, recouvert de poussière et de sang, empestant l'alcool et le stupre. C'était l'héritier de Valerion Qoherys qui se dressait dans la lumière. Revêtu d'une magnifique toge au liseré doré, ses longs cheveux bruns étaient soigneusement huilés et brossés en arrière de même que sa barbe ornée de quelques bijoux. Son visage ne portait aucune trace de sa rencontre nocturne, soigneusement camouflé derrière le maquillage. Seules quelques traces trahissaient ses aventures récentes: il se tenait trop droit et évitait les gestes brusques tandis qu'il se fondait dans la foule. Son œil gauche semblait encore enflé et même sa voix restait rocailleuse. Ceux qui le connaissaient, ou avaient entendu parler de sa dernière nuit d'homme libre, saurait repérer ces quelques points. En attendant, il repéra sa future promise de dos et se se dirigea à grand pas vers elle. Il l'attrapa alors par la taille et la fit tournoyer, coupant court à toute conversation qu'elle aurait pu avoir pour la faire glisser entre ses bras et se retrouver le visage à quelques centimètres de son nez :
Bonjour, chérie. dit il d'un ton narquois tandis que quelques applaudissements polis s'élevaient dans la foule avant de parler d'un ton plus bas : Embrasses moi, nous avons des jaloux à faire.