Le rire d’Enoria s’éleva comme une volute de fumée, s’évanouissant progressivement dans l’air ambiant après l’avoir, un instant, figé. A la regarder, il ne pouvait y avoir de doute sur son ascendance princière, et Baelon ne put s’empêcher d’être fier d’être parvenu à entretenir la princesse lors de l’une de ses fêtes. Ce n’était pas qu’il soit tout à fait indigne de la recevoir, ni qu’il manque de relations, il avait tout cela, mais la princesse de Sathar s’était d’ores et déjà mêlée aux plus grandes familles de Valyria. Le palais de Baelon Maegarys n’avait rien du faste des palais des familles les plus prestigieuses de la péninsule, mais sa fortune allait en grandissant. Il avait su s’entourer, et surtout, il avait su se rapprocher des bonnes personnes. Tous ces choix avaient permis à sa famille, de noble naissance issue du Nord de Valyria mais terriblement désargentée, de retrouver un petit peu de sa gloire d’antan. Et la gloire avait ce soir les traits de la princesse sarnori. Elle était à ses côtés, étendue sur le flanc droit pour faire face au reste de l’assistance, et Baelon se surprit à ne pas observer son visage, sa poitrine ou la peau légèrement exposée de ses jambes… Ce que ses yeux ne pouvaient lâcher c’était ce poignet nonchalamment plié, orné de lourds bracelets d’ors et de pierres qui ne faisaient qu’accentuer sa finesse. Et il y avait les doigts fins, dépourvus de bijoux ceux-ci, qui s’était saisi distraitement d’un grain de raisin qu’elle ne portait pourtant pas à sa bouche. Baelon se surprit à prendre en pitié ce grain de raisin, suspendu face au destin de passer les lèvres de la princesse, de rouler sur sa langue avant de la contenter entièrement. Peut-être le jeune homme ne le prenait-il pas en pitié finalement, peut-être même que le destin de ce grain de raisin était plus enviable que le sien. Il rougit à cette pensée, et ne fut que plus embarrassé de constater que le regard de la jeune femme se tournait vers lui. Ses yeux, d’un noir profond, se plongeaient en lui et il n’opposait aucune résistance, comment l’aurait-il pu ? Il n’avait pas même envisagé qu’une telle invitée puisse le rejoindre, alors il était d’ores et déjà conquis.
Enoria s’était mêlée avec aisance au reste de l’assistance, il n’y avait là aucun grand seigneur dragon, mais plusieurs représentants de familles tout à fait respectables de la bonne société valyrienne. Elle se faisait un devoir de ne pas se restreindre au seul cercle des quarante familles, car les secrets résidaient bien souvent entre des mains bien moins souvent embrassées. Elle n’était cependant pas là, ce soir, en simple mission de routine ayant pour but de glaner le plus d’informations possibles pour en faire sens plus tard. Son objectif était bien plus précis et cette soirée n’était en réalité qu’une étape pour l’atteindre.
Cela faisait à présent trois mois que la catastrophe s’était abattue sur Valyria, et qu’Enoria s’était elle-même retrouvée prise au piège dans les souterrains de la ville. Trois mois de reconstruction, et trois mois pour permettre à la jeune femme de tirer des conclusions de tout ce qu’elle avait pu observer. Ce n’était pas grand-chose, rien de suffisamment important pour constituer une véritable avancée, mais ce n’était pas rien. Elle savait déjà que les Maerion avaient une réputation particulière à Valyria. Elle savait également qu’Hordar, rencontré dans les souterrains, avait un lien avec Aerys. Elle avait perçu la surprise sur les traits d’Hordar lorsque Jaekar avait élucidé la première énigme, le code inscrit sur la roche, et si elle avait mis sa réaction sur le compte de leur situation… particulière, il en fut tout autrement lorsqu’elle prit le temps d’y repenser. Cela pouvait être une coïncidence, et peut-être le code ne représentait-il rien, et peut-être même la surprise d’Hordar ne représentait-elle rien d’autre que sa réaction face à la menace approchant… Ou bien quelque chose se tramait.
Il y avait là bien plus de questions que de réponses disponibles, mais les quelques indices et surtout l’instinct d’Enoria la dirigeait directement vers les Maerion. Après une période de convalescence, la jeune femme se mit alors en tête de reprendre contact avec Aerys Maerion. Le jeune homme avait, disait-on, du garder la chambre durant trois mois. La jeune princesse avait longuement hésité à lui rendre visite, poussée par un élan qu’elle ne s’expliquait pas, mais qu’elle refusait tout à fait de qualifier d’inquiétude. Elle ne souhaitait pas attirer l’attention, et rendre visite au cadet des Maerion n’était rien d’autre qu’un trop lourd signal envoyé, tant à lui qu’aux autres. Elle s’en était donc gardé. Il lui avait fallu envisager les choses autrement. Le réseau sarnori était puissant et son maillage très fin, la jeune femme disposait donc d’yeux et d’oreilles tout à fait insoupçonnables, du jeune marchand au vieillard tremblant du coin de la rue. C’est à ce réseau qu’elle fit appel afin que chacun garde un œil discret sur les allées et venues du jeune Maerion et du reste de sa famille. Il n’était pas question de les suivre, simplement de les observer lorsqu’ils passaient, de remonter les informations des lieux où ils avaient été aperçus. Les allées et venues du jeune Aerys ne furent bien nombreuses, il ne quitta pas le Castel Maerion. Cependant, très vite quelques murmurent commencèrent à émerger au sein du réseau, certains avaient entendu quelques hommes évoquer, un soir dans une taverne, un rendez-vous avec un grand noble. Au début il n’y avait là rien de soupçonneux, mais bientôt les dires furent suffisamment concordants et précis pour apporter à Enoria ce qu’elle avait attendu, patiemment, durant près de trois mois.
Aerys Maerion avait quitté sa chambre, et les hommes de la taverne devaient le rencontrer, aux thermes. Ils devaient le rencontrer lui, ainsi qu’un autre noble dont le rôle n’avait pas filtré lors des échanges écoutés à la dérobée. Le nom du noble, en revanche, avait été prononcé, Baelon Maegarys. Ainsi, le lendemain, le chemin de la princesse de Sathar croisa-t-il, par le plus grand des hasards, celui de Baelon. Le marché était animé, et Baelon n’y passait que pour se rendre à un rendez-vous avec un marchand. Cependant, son attention avait été retenue par un échange vigoureux entre une femme et son mari, celle-ci criait et provoquait un petit attroupement autour d’eux. Baelon, empêché dans sa progression et évidemment curieux s’était arrêté quelques secondes. A ses côtés s’était arrêtée une femme très belle, richement parée, entourée d’une garde qui ne laissait aucun doute sur sa haute naissance. Elle lui avait parlé, un simple commentaire humoristique sur l’ironie d’appeler ce genre de scène des scènes de « ménage » alors qu’elles convoquaient bien souvent les mots les plus sales. Baelon avait trouvé cela ingénieux, intelligent même, et avait ri de bon cœur. Il fallut pourtant qu’elle se présente pour qu’il réalise qu’il s’agissait d’Enoria Zahor Amai, cette princesse de Sarnor dont tout Valyria bruissait depuis des mois. Il se disait qu’elle ne fréquentait que les plus grandes familles, mais tous rêvaient de rencontrer une fille de roi, et de voir le diadème qui, disait-on, ornait sa tête lors des soirées mondaines. La regardant ainsi à ses côtés, Baelon se surprit à prier tous les Dieux qu’il connaissait pour avoir, un jour, le droit à une telle vision.
Les Dieux l’avaient écouté. Enoria était là, un diadème solidement ancré sur le haut de son crâne, simple et discret, rappelant sans fioritures la gloire de sa naissance et la richesse de son nom. Ce n’était pas un hasard si Enoria avait rencontré Baelon ce jour-là au marché, et sa présence à sa fête n’en était pas plus fortuite. Il l’ignorait, mais il y avait fort à parier que Bealon n’aurait guère vu d’inconvénient à n’être qu’un point dans la stratégie de la jeune femme. Du moins jusqu’à ce qu’il réalise que cette stratégie menait à un homme, un homme que Baelon craignait. Pourtant il s’était jeté à corps perdu dans un piège tissé durant des jours par une femme que, sans doute, il n’avait pas évalué correctement. Elle avait évoqué les thermes, la différence notoire qu’il y avait entre celles de Valyria et les bains de Sathar. Alors Baelon s’était risqué à demander comment se présentaient ces bains. Elle lui avait peint un spectacle des plus enchanteurs. Il n’avait suffi à Baelon que de se concentrer sur les inflexions de la voix suave de la jeune femme, les évocations de la sensualité des corps ainsi rendus plus légers par l’eau des cascades, la chaleur de ces pièces faites de marbres et de végétation, pour que le jeune homme soit tout à fait hypnotisé. Alors il avait fait ce qu’il ne s’était pas imaginé faire un jour, il avait proposé à la princesse de l’accompagner aux Thermes. Après tout, la demoiselle connaissait Aerys Maerion, et sans doute serait-elle ravie de découvrir les thermes en présence de véritables valyriens ? Il ne fallut guère plus d’une seconde a la jeune femme pour accepter, ce qui gonfla de fierté le cœur du jeune Baelon, et elle ajouta même qu’elle se chargeait de féminiser l’assemblée de ce rendez-vous pour plus de volupté. Baelon comprit immédiatement les sous-entendus de la jeune femme et ne put qu’imaginer que les hommes invités à ce rendez-vous n’en seraient que plus heureux. Et à vrai dire, il ne pensa pas une seule seconde à un potentiel mécontentement du Maerion, car il ne pouvait penser à rien d’autres qu’à la vision de la canine blanche d’Enoria, mordillant sa propre lèvre inférieure alors qu’un sourire naissant sur son visage. Tout le corps de la jeune femme était un appel à la sensualité, et Baelon Maegarys se surprit à rêver que, peut-être, cette sensualité lui était destinée. Celui qui avait invité presque sans le vouloir la jeune femme aux Thermes en vint à insister, encore et encore, pour s’assurer qu’elle serait bien là. C’est qu’il avait réalisé que les thermes impliqueraient un plus grand dévoilement des corps, et qu’à défaut de pouvoir le toucher un jour, il se satisferait amplement de pouvoir admirer le galbe de son sein, la rondeur de ses fesses ou encore la peau laiteuse de ses cuisses, autant de beautés dévoilées par le tissu entourant son corps mais insuffisant pour dissimuler ses formes.
C’est ainsi que, trois jours plus tard, Baelon Maegarys tendait sa main en direction de la jeune princesse afin de l’aider à descendre de leur dais et la guider jusqu’à l’intérieur des Thermes. Elle n’avait pas menti, une dizaine de jeunes femmes l’accompagnaient, toutes plus belles les unes que les autres, mais aucune parvenant à égaler la beauté d’Enoria. Il n’y avait là rien de physique, sans doute même le physique d’Enoria n’était-il pas aussi beau que celui des quelques autres jeunes femmes de l’assistance, mais il y avait chez elle quelque chose de magnétique. La jeune femme avait une manière de traverser le monde, comme si rien ne pouvait l’atteindre ou la déstabiliser, une telle confiance qui accentuait plus encore la sensualité de ses gestes. Enoria Zahor Amai ne s’excusait jamais d’être ce qu’elle était, pas même dans une république où elle ne ressemblait à personne. Elle était, entièrement et pleinement, elle laissait ce corps exprimer ce qu’il souhaitait exprimer, elle ne s’embarrassait pas d’idiotes convenances capables de saper son charisme. Elle se moquait du regard des autres tout en l’attirant comme personne, elle jouait avec ces regards car elle les savait captifs. Elle n’était pas l’objet de ces regards, elle n’était l’objet de personne, et il était impossible de la soumettre à moins qu’elle ne le désire. Sans doute était-ce en cela qu’elle devenait si fascinante.
Lorsque les portes s’ouvrirent, le petit groupe déjà rassemblé autour d’Aerys Maerion ne put retenir sa surprise. Les jeunes femmes qui entraient étaient tout sourire et vinrent s’asseoir aux côtés des hommes interloqués. Baelon Maegarys, lui, se montra tout à fait humble et respectueux, mais il jubilait intérieurement. Il jubilait d’être celui qui entrait en ces lieux au bras de la princesse, d’être celui qui offrait ces femmes à la vue de ses camardes. Il était fier. Enoria, elle, ne s’embarrassa guère de jeter un regard en direction des autres hommes de l’assistance, elle ancra immédiatement son regard dans celui d’Aerys qui se trouvait au centre du U formé par le groupe. Sur son torse dévoilé, la jeune femme put apercevoir quelques ecchymoses, restes sans doute du Grand Effondrement. Un instant, elle eut l’envie avide d’en tracer le contour de ses doigts, d’appuyer dessus pour tester la résistance du jeune homme à la douleur, lui soutirer une grimace d’inconfort avant de le récompenser par une caresse plus douce. Cette simple pensée eut pour effet d’agacer la jeune femme, car elle révélait ce qu’elle avait refusé de s’avouer… Si elle savait que le jeune homme n’était pas indifférent à ses charmes, elle constatait ne pas rester de marbre face à lui non plus. Ce n’était bon ni pour sa mission, ni pour son avenir, cependant il fallait aujourd’hui se servir de la maigre emprise qu’elle avait sur lui, et si cela impliquait renforcer celle qu’il avait sur elle… le risque était à prendre.
Après avoir salué Aerys, Baelon invita Enoria à s’asseoir et pris place à ses côtés. Il pris le temps de la détailler. Elle portait toujours quelques bracelets d’or et des boucles d’oreilles, mais pour le reste elle était plus naturelle que jamais. Ses longs cheveux tombaient en cascade jusqu’à ce qu’il imaginât être le creux de ses reins, encadrant son visage de leurs boucles brunes. Ses lèvres n’étaient pas peintes, livrant la couleur naturelle de leur chair. Elle portait un long peignoir d’un voile relativement épais, mais il ne faisait aucun doute qu’elle était nue sous celui-ci. Baelon le sut immédiatement car le tissu tombant sur sa poitrine en révélait les aspérités avec une précision bouleversante. Elle s’assit, et croisant les jambes en dévoila les courbes et la peau, les deux pans du peignoir s’ouvrant légèrement pour dévoiler le mollet, le genou et le bas de la cuisse de la jeune femme.
« J’espère que nous ne venons pas perturber votre rendez-vous messieurs, lorsque Baelon a mentionné ces thermes je n’ai plus eu qu’une idée en tête… les découvrir enfin ! Et ayant eu la bonté de m’inviter à vous rejoindre je n’ai pu me résoudre à venir seule, à Sarnor nous considérons qu’il n’y a rien de plus divertissant qu’une assemblée mixte. »
Son regard s’était posé sur chacun des hommes, un par un, terminant par Aerys avant de se retourner à nouveau vers Baelon qui s’empressait de saisir sa main pour la porter à ses lèvres, délicatement. La jeune femme reporta cependant son regard sur Aerys, sondant son visage à la recherche d’un potentiel mécontentement.
« Je suis heureuse de te voir en forme, Aerys Maerion, le Grand Effondrement n’aura pas eu raison de toi. »