L’instant était solennel, et Drīvo Perzo s’était paré de ses plus beaux atours pour honorer le moment. De magnifiques tentures avaient été déployées sur les murs, rappelant l’histoire de Valyria, depuis sa fondation jusqu’à la construction de la République, sa plus noble création, le pinacle de la civilisation. Quatorze gardes parmi les plus âgés au service de la protection du Sénat, pour chacune des Quatorze divinités, avaient pris place sur les rebords des travées, installés face à des braseros ornementés de gravures à la gloire de leur propre dieu ou déesse, merveilles d’orfèvreries à la gloire de l’artisanat de la péninsule, et qui brûlaient d’un feu inextinguible, ou du moins voulu comme tel. Engoncés dans leurs armures protocolaires, ils étaient les seuls être armés présents dans ces lieux, rappelant la bénédiction d’Arrax sur le peuple choisi pour recueillir sa parole et obtenir de se lier avec les enfants d’Aegarrax. Les Sénateurs et Sénatrices eux-mêmes brillaient par leur élégance. Presque tous avaient revêtu leurs plus beaux atours, et les toges rivalisaient en étoffes soyeuses, tandis que bon nombre arboraient des signes plus ou moins discrets de leur richesse et de leur allégeance. Dans un brouhaha commun à toutes les séances sénatoriales, tous prirent place, et chacun put discrètement jauger les forces en présence. Mercantilistes, Religieux, Civilistes, Militaristes, Populistes se défièrent, se comptèrent et serrèrent les rangs. Entre eux, on échangeait encore des avis, des promesses, et les billets passèrent de main en main. Baelor Cellaeron, affichant sa légendaire bonhommie tranquille, prit le temps de saluer ostensiblement quelques figures connues de chaque faction, semant le trouble comme il l’appréciait, avant de rejoindre les rangs de sa faction, où il afficha de s’entretenir avec plusieurs grands noms, Echya Odenys, sa rivale de toujours, comprise, sans réussir à arracher à l’irascible orfèvre autre chose qu’un sourire glacé et une poignée de mains d’une virilité dont certains se seraient bien prévalus en d’autres occasions. Maegon Riahenor, lui, entra menton haut et regard noir qui balaya l’assemblée, drapé dans sa dignité de Dynaste. Il glissa quelques mots aux autres représentants des premières familles, comme il aimait les appeler – sans qu’on n’ose demander s’il faisait référence à l’antériorité ou à une autre signification plus provocante – puis se dirigea vers son propre siège, posant son majestueux séant et commençant à écrire de sa calligraphie impeccable plusieurs billets répandus dans l’assemblée, notamment en direction des bancs religieux et populistes, une grande première pour le Dynaste, même s’il ne s’était pas abaissé à aller les saluer personnellement. En revanche, il laissa plusieurs Sénateurs civilistes venir lui adresser leurs encouragements, et ses yeux violacés se posèrent, comme les serres d’un corbeau, sur ceux qui n’avaient pas fait le déplacement. Arraxios Maerion, enfin, était arrivé plus discrètement, s’arrêtant longuement devant chacun des Quatorze braseros divins, mine impénétrable de circonstances sur le visage, et ne chercha pas à effectuer d’ultimes démarches ou encore à proposer un affichage pour la galerie. Il rejoignit sa place en silence, et s’assit sagement. En revanche, son regard mobile se posa sur de nombreux représentants, et un sourire d’une rare intensité brûla ses lèvres, ainsi que le dos et le visage de ceux auquel il était destiné. Ils savaient tous ce que risquaient leurs familles, en ce moment même et plus tard, s’ils provoquaient l’ire du patriarche des Maerion.
Les gardes frappèrent le sol de leurs lances, appelant au silence, et les retardataires regagnèrent en toute hâte leurs places respectives. Les conversations s’arrêtèrent, et tous les yeux se tournèrent vers la tribune, que gravissait avec peine Jaeron Dalitheos, le doyen de l’assemblée. Beaucoup se dirent qu’ils se seraient passés de son intervention, mais la tradition avait tous les droits, et puisque le Grand Effondrement lui-même n’était pas parvenu à les délivrer de ses logorrhées désordonnées, il faudrait encore les subir avant d’entrer dans le vif du sujet. En effet, la coutume dictait que ce soit le doyen, et non le polémarque du Sénat, qui ouvre les échanges pour l’élection des Lumières, ce qui n’était pas sans occasionner quelques déboires. Le vieil homme s’installa péniblement, calé aussi discrètement que possible sur un tabouret rembourré d’un coussin pour éviter de tomber, deux serviteurs restant à proximité au cas où. Quelques toussotements plus tard, il prit la parole, sa voix chuintante résonnant sous l’impressionnante coupole de verre jaune qui le surplombait :
« Mes chers Sénateurs, mes chères Sénatrices, je suis si heureux de retrouver vos visages juvéniles sous cette noble coupole. Aujourd’hui, pour la troisième fois, j’ai l’honneur d’ouvrir les débats pour l’élection d’une nouvelle Lumière de Sagesse, en tant que doyen de cette noble assemblée.
Cette Lumière, mes amis, doit rejaillir sur nous, puis sur la République, éclairer nos âmes, que dis-je, éclairer nos cœurs, car elle nous réchauffe se sa brillance et de sa gloire. Elle doit être le pinacle de notre civilisation, la représenter dans toute sa grandiose beauté … »
S’ensuivit une longue disgression de cinq minutes sur la Lumière, sans que personne n’ose demander, à la fin, si l’honorable Jaeron Dalitheos parlait toujours de la Lumière de Sagesse à élire ou d’une lampe de chevet. Le toussotement discret de Taecegor Noheneos, l’impavide polémarque, coupa le vieillard dans sa tirade, et ce dernier reprit le fil de son discours :
« Cette Lumière, donc, devra nous guider durant les années à venir. Elle décidera de l’avenir de Valyria, avec ses autres membres de Sylvio Ōño. Choisissez en conscience, mes enfants, pour le destin de tous les enfants d’Arrax. »
Le dévoué Taecegor Noheneos s’avança pour déposer un parchemin soigneusement déplié devant le tribun, qui farfouilla dans les plis de sa toge pour en sortir un gros palet de verre lui servant de loupe grossissante et s’éclaircit à nouveau la gorge pour grincer :
« Devant nous se présentent donc les candidats qui ont fait part de leur intention, selon la coutume, au bureau d’enregistrement des candidatures de Drīvo Perzo et devant les dieux. Ils se révèlent à votre jugement, fort de leurs idées et de leur dévotion.
J’appelle, pour qu’il se fasse connaître à nous tous, Baelor Cellaeron.
J’appelle, pour qu’il se fasse connaître à nous tous, Arraxios Maerion.
J’appelle, pour qu’il se fasse connaître à nous tous, Maegon Riahenor. »
Tour à tour, lorsque leurs noms furent prononcés, les trois hommes se levèrent, saluèrent l’assistance – avec plus ou moins d’empressement selon les caractères – avant de se rasseoir. Jaeron Dalitheos reprit :
« A présent, c’est entre ces trois noms que nos voix vont se porter. Chacun, dans cet ordre conforme à la coutume, sera libre de prononcer un discours expliquant ses motivations et ses idées pour Valyria.
Un débat où chacun sera libre d’exprimer sa préférence se déroulera ensuite. Puis nous procéderons au vote.
Ce soir, une nouvelle Lumière sera élue pour guider Valyria. »
Taecegor Noheneos essuya une goutte de sueur imperceptible sur son front, reconnaissant au secrétaire ayant eu l’idée d’écrire l’intégralité de la suite du discours pour éviter un impair. Et alors que l’honorable Jaeron Dalitheos ouvrait la bouche pour parler – ce qui prenait tout de même plusieurs secondes … - le polémarque toucha son bras pour le raccompagner à son siège. Dans la salle, les trois impétrants se jaugèrent, pendant qu'une nuée de serviteurs envahissait les loges des Sénateurs et Sénatrices pour distribuer trois pamphlets récapitulant les programmes des concurrents. Première surprise : les militaristes, malgré les rumeurs persistantes jusqu’à la dernière seconde, n’avaient pas présenté de candidat. A qui irait donc la préférence de ce groupe soudé et arc-bouté sur la défense de son pré carré ? Pour le reste, les questions les plus vives allaient être tranchées : Baelor Cellaeron avait-il réussi à rassembler les courants de sa propre faction et à élargir sa base ? Arraxios Maerion, concurrencé par les déclarations agressives du Cellaeron sur son propre terrain, saurait-il défendre son siège comme l’animal politique qu’il était en conservant ses anciennes alliances ou en nouant de nouvelles ? Maegon Riahenor, solitaire flamboyant et irascible superbe, avait-il eu raison de ne pas faire de compromis, privilégiant la défense de ses idéaux aux alliances ordinaires ?
Le Sénat en déciderait.
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