4ème Mois de l'Année 1067 à Ghis, le Vieil Empire !
Aïe.
Bordel.
Vahaedar ne pouvait croire que l’intégralité de leur mission avait bien failli basculer sur ces deux mots. Il aurait détesté mourir sur cette interjection dolente et sur cette vision, bien vulgaire, d’un bordel. Périr pour l’orteil d’un sang-pur, ce n’était pas la vision héroïque qu’il s’était fait de sa propre mort. Après des heures de silence, de muscles endoloris, d’une concentration de chaque instant, leur entrée surprise s’était ainsi envolée pour une inadvertance de débutant. Heureusement, la précipitation de la scène l’avait empêché de se retourner contre le Légat pour lui exploser, définitivement, le maudit orteil. Au même moment, comme si il les avait attendu toute sa vie, l’esclave valyrien jetait sa nourriture bouillante sur le visage du garde provoquant une distraction salvatrice. Les mains sur le visage, trop surpris pour hurler, le garde avait-il eu le temps de sentir le corps du mercenaire percuter le sien ? Le poing dur, il avait envoyé valser au sol l’arme ghiscarie s’empêchant de lâcher un « bordel » à son tour. Il avait oublié la musculature terrible des fils de la Harpie. Leurs os semblaient avoir été crées pour être aussi saillants que les meilleures lames valyriennes ! D’un geste discret, dirigé par une volonté primaire de vivre, l’esclave lui avait glissé un couteau de cuisine. Hélas, trop loin de sa main, il n’aurait probablement jamais eu le temps de l’attraper si Vagar n’avait pas décidé, enfin, de se rendre utile. Son entrée dans la jouxte avait déstabilisé l’équilibre, obligeant le garde à se retourner. Ce moment, bref, nécessaire, avait permis à Vahaedar de plonger vers la table et, d’un geste sûr, de planter la lame dans sa panse. L’avant-bras sur son épaule, une grimace dans la mâchoire, il avait ensuite remonté la lame de quelques centimètres comme on dépèce une bête. Par chance, le ventre grassouillet était moins dur que les os. Il déposèrent silencieusement le corps, bientôt inerte, sur le sol.
« Tu as certainement beaucoup de questions et nous y répondrons quand nous aurons quitté cet endroit pour un lieu plus sûr ! L'important est que l'on t'a trouvé et que l'on s'en aille. Mais seulement, nous devons faire une dernière chose avant de partir. »
Une main sur la bouche, s’assurant que l’air ne sortait plus de l’ennemi, Vahaedar observa l’esclave. Malgré sa tenue et les marques sur sa peau, ses cheveux d’argent n’auraient su mentir. Allons donc, auraient-ils trouvé un véritable Seigneur-Dragon dans les bas quartiers d’un hammam ghiscari ? En leur confiant cette mission, le Conseil avait-il espéré, secrètement, qu’ils tomberaient sur cet homme ? Si c’était le cas, alors, il devait être d’une importance capitale…
« Il est mort. »
Il mit un index sur ses lèvres, toujours accroupit, ils étaient cernés par des gardes impériaux. La moindre erreur, le prochain
aïe, et ils finiraient comme lui. Or, l’existence du Légat était peut-être ennuyante mais il avait une fiancée dont la couche ennuyée devait être réchauffée. Enfin, ça, c’était si ils sortaient d’ici vivants et indemnes. Il fit signe à l’esclave de rester à ses côtés. Si le Seigneur anonyme devait périr, mieux valait que ce soit sous la garde d’un ancien mercenaire que d’un célèbre Légat. Il garda le couteau de cuisine dans sa main gauche, il n’était que trop temps de fuir. Tous les trois remontèrent à contresens les dédales du lieu jusqu’à la salle de brume. Et comme dans tous plans bien ficelé, il fallait toujours qu’il y ait une faille impromptue. Aussi, ils ne retrouvèrent pas la mage et la princesse. Elles avaient vraisemblablement bougé afin de mieux percevoir la conversation. Vahaedar se retint de jurer contre les Enfers de Balerion. Il leur était impossible de faire le tour de l’autre pièce sans être repérés. Mourir pour un orteil valyrien, était déjà impensable alors mourir pour une andale !
Lorsque Vagar, le khépesh à la main, leur fit comprendre qu’il allait faire diversion, il eut envie de l’en retenir. L’acte était suicidaire. Les gardes fonderaient sur le lieu en quelques minutes, le temps que l’un des trois monarques donne l’alerte. Si les femmes s'étaient enfoncées dans le bâtiment, jamais elles ne sortiraient vivantes. Et si, par chance, elles y arrivaient alors leur fuite à tous n’était plus assurée. Les rues seraient quadrillées mais, désormais, ils avaient avec eux un personnage notoire. Un personnage qui détruirait leur couverture officielle. La Lyseon ne pourrait pas le métamorphoser, ils se feraient, inévitablement, prendre. Pourtant, malgré tout, ils n’avaient pas le choix. Ils devaient essayer. Les femmes devaient être sorties de ce hammam !
« Prends garde à ne pas dégainer ton orteil, Légat. »
Dans une mimique comique, il écarta ses mains en signe de paix. Il n’avait pas le caractère de son coéquipier, droit et altier. Il s’amusait de tout, en toute circonstance, persuadé que depuis qu’il avait quitté les Fils du Feu la vie n’était que du surplus. Aussi, si ses paroles avaient été un susurre, son sourire, lui, était sincère.
Que la chance soit avec toi !Alors que Vagar s’éloignait, d’un jeu de jambes silencieux, le laniste mit sa main sur la nuque de leur nouveau protégé afin de lui intimer de baisser la tête. Il allait le faire sortir, lui assurer son retour en Valyria : ils devaient simplement parvenir à l’entrée domestique. Ils se dépêchèrent jusqu’au lieu, dissimulé par un discret escalier, à quelques mètres de leur ancienne position. Dans le vestibule, Vahaedar essuya rapidement ses mains sanglantes sur son habit, derrière son dos, mais elles demeurèrent rougeâtres. Tant pis, il n’avait pas le temps de les nettoyer davantage ! D’un œil alerte, il aperçut une cape féminine pliée dans un casier. Une aubaine ! Il s’en empara pour la passer autour de l’anonyme, dissimulant ainsi ses cheveux sous un grand capuchon rosé.
« Tais ton nom. »Puis, entendant un cri étouffé et de l’agitation, ils sortirent par la petite porte. En silence,
il le conduisit jusqu’au point de ralliement décidé après leurs longues heures d’observation. Immédiatement, ils furent rejoint par Alyrea seule. Si la Mage voulut dire quelque chose, elle s’arrêta nette lorsqu’elle découvrit le visage du sans nom. De toute évidence, elle le reconnaissait. Lui était trop préoccupé à observer autour d’eux pour se remémorer qu'il connaissait aussi les traits de ce visage émacié. Sans le savoir, il avait participé à la mort de son frère quelques années auparavant. Entendant des pas, précipités, il mit les deux "femmes" côte à côte, comme si le Valyrien était la servante de la fausse princesse, reprenant son rôle de garde personnel. Heureusement, ce n’était que Vagar et Helenys. Ils n’étaient pas suivis. Le laniste,probablement soulagé, se mit à rire. Allons bon, le Légat semblait fort remis de ses frayeurs ! Il n’avait pas perdu le temps de ceinturer sur sa hanche la belle pouliche de l’autre continent.
Ils échangèrent une frappe masculine sur l'épaule.
« Bien. Maintenant, rentrons. »