"Quelle couleur devrais je porter ?"
Seul le silence lui répondit. Droit et digne, Merroxas Catharys gardait un visage de marbre alors que son Légat s'agitait en tout sens dans la petite salle de réception de l'appartement qu'il avait acheté. Ses rentes d'argent lui permettaient de s'offrir un tel luxe, en particulier dans ce quartier de Valyria.
"Surtout, ne me réponds pas !" grommela Jacaerys en saisissant une belle ceinture rouge. Il l'observa longuement, faisant jouer le tissu entre ses doigts puis de soupirer et d'attraper celle de son uniforme. Passant la sangle autour de son ventre, il la serra fermement avant d’agripper son fourreau d'épée et une dague. Le Légat jeta un coup d'œil à Merroxas. Le soldat n'avait pas bougé d'un pouce, mais son officier le connaissait suffisamment pour voir sa bouche s'étirait sur son affreuse cicatrice, trahissant son amusement.
"Quelque chose à me dire, Exarque ?
- Non, Légat.
- En es-tu bien certain ?
- Oui, Légat.
- Alors parles par Arrax et Meleys ! On dirait une prétendante présentée à son fiancé pour la première.
- Si tu me permets, Légat, c'est toi qui te prépares de la sorte. Je ne t'ai pas vu aussi fébrile depuis le temps où nous allions conter fleurette aux dames du marché.
Jacaerys eut une moue pensive avant de soupirer et d'éclater de rire. L'Exarque de ses cavaliers frappait fort et juste, à l'image du sabreur de talent qu'il était. Finissant de nouer son épée andale à sa ceinture, le Seigneur-Dragon ne put s'empêcher de jeter un coup d'œil au miroir de bronze poli posé sur une table. Avec sa tunique couleur ocre et ses chausses noires, il avait plus l'allure d'un notable Andale que celui d'un Valyrien. Seuls ses cheveux d'or et d'argent en fusion ainsi que ses yeux trahissaient ses origines. Même la barbe qu'il laissait pousser n'était pas en vogue dans les Possessions, bien que de nombreux militaires l'aient gardée, soit par esprit pratique ou pour cacher une cicatrice.
Attrapant une petite fiole en céramique, le Légat laissa couler quelques gouttes d'huile de santal sur son poignet pour le frotter contre sa nuque. Avisant ses tatouages, il hésita, grommela entre ses dents et se dirigea droit vers son coffre d'effets personnels. Il en sortit une paire de gants de monte, ceux-là mêmes qu'il utilisation pour chevaux Mysarix. Les glissant à sa ceinture, il nota mentalement de les enfiler avant de partir. Aussi fier soit-il de ces marques, il ne voulait pas les imposer dès leur première rencontre. Se redressant, il s'observa pour l'énième fois dans le miroir, se déclara intérieurement satisfait et fit signe à son aide de camp de le suivre.
rappelle-moi, Légat, qui est ta belle du soir ?
Un frisson remonta l'échine de Jacaerys qui préféra ne pas répondre. Ils se trouvaient alors dans la cour où il lui louait une modeste étable pour son destrier, le fidèle Joggo, ainsi que ceux de plusieurs de ses officiers et amis. Avec un soupir, le Légat jeta lestement sa jambe par-dessus le cheval et attrapa ses rênes. Bien qu'il lui coûta de l'accepter, il devait bien s'avouer que Merroxas avait raison. Ce n'était pas proprement une rencontre amoureuse qui l'attendait - ni même amicale pour ce qu'il en savait ! Pourtant son cœur s'emballait en pensant à qui il rencontrait.
Helenys, la belle Andale pour qui il avait eu autrefois une amourette. Belle, douce, passionnée de chevaux, elle avait tout pour faire tourner en rond le jeune Valyrien en visite en Andalos qu'il était. Une partie de sa passion pour la culture Andale venait de cette amourette, quelque peu absurde étant donné qu'elle allait dans un seul sens et que jamais Jacaerys n'avait dévoilé ses sentiments à la nièce du roi. Malgré tout, ce souvenir était tenace alors qu'il chevauchait vers le bosquet où ils avaient rendez-vous. C'était un lieu coquet, où de nombreux membres de la belle société se retrouvaient avant la tombée de la nuit.
Voilà près d'un mois que Jacaerys était de retour à Valyria et avait appris l'arrivée d'Helenys comme ambassadrice de son royaume. Sur un coup de tête, il l'avait invité à se retrouver, sans être sûr qu'elle se souvienne de lui. La réponse, positive, semblait aller dans ce sens aussi ce fut nerveux - malgré la présence de son Exarque - qu'il arriva au lieu de rendez-vous. Se rappelant dès lors de l'existence de son frère d'armes, le Légat jeta un regard par-dessus son épaule et secoua la tête.
"Je rencontre l'ambassadrice des Andals, je n'ai pas besoin d'un garde du corps Merroxas..."
Le concerné haussa les épaules avant d'enfoncer son casque à panache et s'éloigner au petit trot. Alors que Jacaerys mettait pied à terre, il put clairement entendre son ami se venger d'un petit commentaire :
"Bonne chance avec ta pouliche, Légat."
Le concerné serra et desserra les poings, les yeux fermés avant de soupirer. Heureusement, il était en avance et seule la miséricorde des Quatorze épargna Helenys de telles âneries...
***
Lorsque l'ambassadrice se montra, le Légat était prêt, gants enfilés et aussi nerveux qu'un poulain. Sentant la nervosité de son maître, Joggo s'ébroua distraitement, permettant à Jacaerys de se détendre, apaisé par la présence sa monture. Ce fut un grand sourire aux lèvres qu'il accueillit l'Andale.
"Helenys ! Quel plaisir de te revoir ! Je ne pensais pas te reconnaître après tant d'années et pourtant tu es aussi jeune et ravissante qu'alors." Menant son cheval par la bride, il se rapprocha de son invitée : "Voici Joggo, mon fidèle destrier et un pur-sang dothraki ! Taillé pour la course et les raids... Je me suis dis que tu aimerai le rencontrer, en souvenir de notre passé commun sur vos champs de course." Observant du coin de l'oeil l'Andale, il ne put s'empêcher : "Je crois me rappeler que tu te faisais appeler Arryn à l'époque... J'en déduis que tu as épousé un fils Grafton ?"