Sortir de l’ombre et récupérer son juste salaire”Que la langue du traître soit tranchée.”
La jeunesse au Castel
Des journées ensoleillées sur les terrasses et dans les jardins du Castel, des heures de vol incalculables passées sur le dos de Melyon, les bêtises et les farces dans le repaire de la matrone Vyseria, enfin … les cuisines mais surtout les jeux et les moments passés avec sa sœur Meleys, à ces choses seules semblait se résumer la vie du jeune Jaehaegaron préservé avec attention du jeu des grands par sa mère mais éduqué scrupuleusement à son rôle d’héritier par son père.
Pourtant réjouissantes et suffisantes, l’enfance de Jae’ ne s’est jamais résumée à ces choses-ci. Pas de long fleuve tranquille pour celui promis à l’héritage du nom des Maerion. Certes, il y avait bien sa sœur, sa tendre confidente et aimée. Il y avait aussi les vols avec Melyon et les jeux dans la cour, dans les jardins ou sur les terrasses. Mais, par-dessus tout, il y avait l’éducation de l’héritier et l’ombre de Père, planant en permanence.
La découverte de son caractère hémophile ne fut pas des plus grands secours au jeune Maerion. Son père, forgé dans un esprit martial, voyait là la marque d’une faiblesse conséquente, et une faiblesse chez les Maerion est toujours mauvais signe. Arraxios attendait de son fils qu’il multiplie ses efforts dans l'apprentissage de ses leçons et dans le perfectionnement de ses aptitudes. De cela, Jaehaegaron en était sûr et c’est ainsi qu’il a toujours baigné dans cet appel constant de son paternel, guidant ses envies et ses objectifs.
Si la barre, constamment placée plus haut dès qu’il l’atteignait, a profondément marqué le caractère de Jaehaegaron, cela n’est pas resté sans conséquence chez le jeune garçon. Pour son père, qu’il respecte autant par considération de la sacralité de son sang que par simple et pourtant profonde peur héritée de son plus jeune âge, Jae éprouve des sentiments contrariés à son égard.
Du réconfort, il pouvait en trouver chez sa mère, de l’amour, chez sa soeur, mais de son paternel ne venait que les injonctions et les ordres, l’esprit martial et la volonté de forger son fils comme l’une des lames les plus vaillantes de la famille. Quelles places pour l’expression de ses autres facettes ? Quelle place pour la validation de son être, l’émancipation de son esprit face à un père qui attend toujours plus de lui et qui ne le félicite jamais ? Oh, pourtant des sourires, Jae a su les susciter aux coins des lèvres de son paternel mais de vives félicitations, des emportements de joie, jamais.
Cette absence d’encouragement durant son enfance a tracé les lignes de son cœur et de son esprit, construisant en grande partie sa vision du monde. Celui qui est faible tombe, celui qui est fort marche sur la dépouille du faible.
Pour autant, s’il y avait bien ce père, grondant en permanence comme un orage au lointain, une autre présence, bien plus réconfortante, faisait jouir de la vie le jeune garçon. Sa soeur Meleys est de loin l’être le plus important pour Jaehaegaron.
Son aînée de sept ans, Meleys a toujours su prendre grand soin de son petit frère, et au grand dam de celui-ci, du reste de sa fratrie. Son cœur profond était aussi immense que ses sourires pouvaient être lumineux et ses caresses tendres et réconfortantes. Les injonctions de Père, les leçons de Mère, tout disparaissait le temps d’un jeu avec sa sœur dans les jardins ou bien d’une sortie en vol avec elle.
Bien sûr, Meleys, en digne fille de sa mère, ne manquait pas non plus de rappeler à l’ordre son jeune frère quand celui-ci dépassait manifestement les bornes. Mais elle était toujours de la partie pour mettre de la joie dans le cœur de sa fratrie. La sacralité du sang était un concept qu’elle avait bien intégré et ainsi se donnait-elle corps et âme pour prendre soin de sa famille.
Chez Meleys, Jaehaegaron trouvait le havre de paix dont il avait besoin et surtout la confirmation et la validation dont il manquait. Elle, si belle, conjuguait les valeurs de son père et la science de sa mère. Le jeune Valyrien s’épanouissait à ses côtés et toutes les qualités dont il ne pouvait pas se vanter devant son père, il les travaillait avec sa sœur. Ainsi, Jae développa une certaine sensibilité pour la beauté de l’art et le mystère des Dieux. Nappé dans l’esprit martial de son père, cette attirance formait le contre-coup nécessaire à l’équilibre psychologique du jeune garçon.
Une enfance rude mais pleine d’enseignements, telle fut celle du jeune stratège Jaehaegaron Maerion, acclamé à son retour de la guerre contre Ghis. Ce conflit qui allait éclater quelques années plus tard et mettre définitivement fin à l'idylle ensoleillée du Castel Maerion et aux vols innocents à dos de dragon du jeune Valyrien.
Les temps de la Guerre
L’ire et la souffrance. Dans les temps sombres qui amenèrent ce conflit et dans les affres profondes de la guerre, Jaehaegaron avait eu l’impression d’être enchaîné et tenu en laisse par ces deux maîtres-mots, oscillant de l’un à l’autre tel un pendule.
La perte brutale de sa fiancée et soeur Meleys, le cœur de sa vie, quelques jours après le vote de la déclaration de guerre par le Sénat avait sonné la fin du jeune garçon. Comment dire autrement que le monde avait donné l’impression de s’être effondré ? Que Jaehaegaron avait perdu simplement l’espoir d’une vie qu’il entrevoyait belle et épanouie et qu’il n’était réduit maintenant qu’à être une coquille vide à l’approche d’une guerre dont la rumeur s’était faite plus que pressante ?
Jamais, il n’oublierait les dernières paroles de Meleys, son visage baignant dans la lumière crépusculaire du soleil. Jamais, le son de sa voix ne quitterait ses oreilles, résonnant pour l’éternité comme un écho mortuaire. Jamais, la douceur de ses caresses ne quitterait la mémoire de sa peau. Jamais, la tendresse et la pertinence de ses paroles ne s’effaceront de son corps. Tout cela car, jamais, Meleys n’aurait dû partir aussi vite.
Cette perte soudaine, d’une violence sourde et aveugle, entraîna le jeune homme qu’il était dans une ire inarrêtable envers les ennemis de la République, eux-mêmes qui s’étaient trouvés être à l’origine de ces temps sombres et de la sortie de Meleys sur son dragon. Son hémophilie l'empêchant de combattre, Jae était d’autant plus frustré qu’il ne pouvait pas être appelé au champ de bataille et au rang des légions. Non, il devait rester en arrière, dans les tentes du camp, là où était dû le confort soit disant mérité des officiers des armées valyriennes.
Une grande frustration conjuguée à une puissante colère nourrie par la disparition encore inacceptable de sa sœur poussait le jeune militaire à redoubler d’efforts pour élaborer des stratégies toujours plus redoutables les unes que les autres.
Seul dans le camp, loin de son frère enrôlé dans la troisième armée en tant qu’éclaireur, loin de son père, élu en tant que Lumière, certes entouré des officiers de son genre, Jae ruminait cependant chaque journée qui passait. Il se tenait attentif à toutes les informations qu’il pouvait saisir et passait de longs moments à analyser et à penser chacun des mouvements qu’il proposait à ses supérieurs.
La rage que la perte de Meleys lui avait procuré et la guerre qui s’offrait comme une catharsis bienvenue était en quelque sorte son salut. Il ne pensait plus à la perte de sa soeur mais bien à la mission qu’il s’était donnée. Tout était concentré sur un unique but, détruire l’adversaire, envoyer au tapis la Harpie et ses sbires, venger la mémoire de Meleys. Ainsi ses lettres à sa mère et à sa désormais fiancée Daenerys étaient rares et souvent très concises. Jae ne s'étalait pas de ses sentiments devant sa famille durant cette période. Tout du moins ne s’attardait-il qu’à dire à quel point il était résolu à mettre un terme à l’ennemi.
C’est ainsi que les mois passèrent et les années s’écoulèrent. La guerre commençait à prendre fin alors que les généraux avaient fait le choix de frapper un grand coup en usant du feu-dragon de Valyria sur la cité de Borash. Les ennemis étaient avertis que la République ne tomberait pas et qu’elle continuerait à se battre. Le siège de Meeren et la défense magnifique des Valyriens lors de l’affrontement naval de Mhysa Faer sonnèrent le glas du Vieil Empire. Cependant, il fallut une année supplémentaire pour mettre un terme définitif à la guerre.
Sa colère expurgée par la victoire de son camp, Jaehaegaron n’était pourtant pas un homme qui avait le cœur léger. Alors que ses compagnons éclataient de joie, rentrant victorieux à Valyria, lui se laissait emplir par la tristesse et le désespoir que la perte de Meleys lui infligeait dès à présent.
Sa disparition brutale couplée à la guerre qui avait hâté les évènements, n’avait pas donné le temps au jeune stratège d'accueillir et d’accepter la perte d’un être si cher et si nécessaire à sa vie. Maintenant que cette guerre était finie, il se laissait aller, ouvrant l’armure et se laissant percuter par toute la violence de la situation dont il prenait tout doucement conscience.
Fini la colère, la souffrance persistait et bientôt le doute montrait ses premiers signes au milieu des nouveaux obstacles auxquels l’héritier Maerion allait devoir faire face. Âpres conséquences du basculement de l’ordre idyllique dans lequel il semblait vivre auparavant.
Les Dieux, la Famille et le Sénat
Élevé, à l’instar de ses pairs, au rang de héros de guerre, le jeune Maerion est célébré comme la jeunesse glorieuse du sang valyrien. Pourtant, derrière toutes les réjouissances possibles que lui apportent la victoire de Valyria sur la Harpie, son cœur sombre de plus en plus dans une tristesse profonde.
Comprenant bien le rôle qu’il a joué, Jaehaegaron s'emploie dans les premiers temps de la célébration de la victoire à afficher l’image que l’on attend de lui, jeune stratège, vaillant soldat de la Cité. Mais cela ne reste qu’une image. Soldé des tâches qui lui incombent, comme notamment la fornication sociale, quasi-rituelle, avec moultes partenaires féminins, Jae passe le plus clair de son temps à explorer les flammes divinatoires dans les temples et à voler au dos de son dragon Melyon à la recherche de la dragonne de sa défunte soeur.
C’était le but qu’il s’était donné, quelques jours après être rentré de la guerre. Il avait bien participé à ces quelques fêtes mais avait scrupuleusement veillé à ne pas évoquer les sujets dont il ne souhaitait pas s’entretenir. La mort de Meleys et le mariage avec sa soeur Daenerys étaient en tête de liste.
Au départ, Jaehaegaron restait confiné dans sa chambre lorsque le temps libre des fêtes le lui permettait. Mais la tristesse le surprenait à chaque instant et plus fort encore était le vide qu’il ressentait depuis la fin de la guerre. Ainsi, c’était la raison pour laquelle, celui-ci avait délibéré de se chercher une occupation afin de ne pas se laisser happer par la folie que la guerre et la perte d’un être si cher pouvait provoquer chez certains de son espèce.
Jaehaegaron ne prit pas la peine de prendre conseil auprès de sa mère. Il n’avait pas envie de l’entretenir de ces sujets et ainsi choisit-il de son propre chef de prendre contact avec un prêtre dans l’espoir d’obtenir un peu de la science des dieux de sa cité. Le religieux lui indiqua plusieurs pistes, qui mûrissaient déjà en secret dans le cœur du jeune homme alors plongé dans la guerre.
En ce qui concernait le destin direct de Jae, ils évoquèrent ensemble la nécessité de conserver la pureté du sang de la famille et d’accepter l’union avec Daenerys. Mais pour cela, le Valyrien avait une quête intérieure à accomplir. Et cet accomplissement passait en premier lieu par l’acceptation de la perte de sa défunte sœur.
Si le prêtre ne lui avait rien dit de plus et était resté énigmatique à ce sujet, Jae avait su voir clair entre les lignes et semblait avoir saisi le message des Dieux. Il conclut qu’il devait partir à la recherche du dragon de Meleys. Et c’est ce qu’il fit lorsque les temps des premières fêtes s’étaient éloignés.
Cependant, le jeune Valyrien ne put aller bien loin dans ses recherches car bientôt le Sénat s’agitait et sa famille se pressait à exécuter l’agenda qui découlait des conséquences de sa nouvelle situation : le mariage avec la benjamine de la famille, Daenerys. Jaehaegaron avait tout fait pour repousser cet événement et le prétexte de sa nouvelle position au Sénat et l’activité intense de l’illustre organe était pour lui une forme d’échappatoire retrouvée. Après tout, s’il ne pouvait pas continuer sa quête, le Valyrien n’allait cependant pas se mettre à la merci de sa mère qui ne cessait de le presser et de sa sœur qui ne cessait de le chercher à l’approche de cet évènement. Il comprenait bien qu’au fond, ce n’était pas Daenerys qu’il fuyait mais la rumeur du regard noir de son frère Aerys, qu’elle portait en elle partout où elle allait, en plus de lui rappeler le décès de Meleys.
Le vote au Sénat, conséquence de la fin de mandat de son père, eut fini de le détourner de la quête mystique et spirituelle qu’il avait tenté d’entreprendre. La réélection ratée du patriarche Maerion ramena en effet Jaehaegaron dans le jeu politique. Désormais Sénateur et jouissant de la célébrité que l’efficacité de ses stratégies lors de la guerre avaient concouru à lui construire, le jeune homme ne pouvait que s’engager dans cette nouvelle arène qui lui tendait les bras. La politique faisait peut-être partie de ce que les Dieux voulaient entendre par l’accomplissement de sa quête.
En tout cas, cette nouvelle fonction agissait comme le parfait prétexte pour se tenir à distance du Castel, avant que la cérémonie du mariage n’achève la liberté qu’il avait tenté d’acquérir à la fin de la guerre. Pour lui, le cours des choses ne prit en rien la tournure qu’il avait envisagé. Le contrecoup de son frère Aerys lors du banquet de son propre mariage et la disparition fulgurante du capitaine en chef Lucerys Arlaeron furent deux événements auxquels le jeune Maerion, désormais uni à sa sœur Daenerys, ne s’attendaient pas.
Deux événements qu’il s’attacha à examiner, en bon fils de son père et de sa mère qu’il était. Jae savait pertinemment que le mariage avec sa benjamine Daenerys allait l’amener à devoir affronter son jeune et fougueux frère en face à face, même si cela devait pour le moment prendre la forme d’une rivalité déguisée. Il n’était absolument pas à l’aise dans ce mariage et peinait à commencer à tisser un lien avec son épouse.
Pourtant Jae saisissait bien que c’était là même que résidait la force nouvelle dont le jeune Valyrien allait pouvoir jouir par le futur. Ne pas composer avec sa sœur, c’était comme renier définitivement l’honneur et l’histoire de son sang. Fuir le combat avec son frère était du même ordre.
Deux affronts que lui, l’héritier qui était appelé à protéger l'unité de sa famille et à veiller sur la pureté de son sang ne pouvait absolument pas se permettre. Jae n’entendait pas faire couler le sang de son frère Aerys, ni même les larmes de sa soeur-épouse.
La science des Dieux lui parvenait dès lors très clairement. A l’heure où la posture de son père était devenue tremblante et où les fissures cachées depuis des années dans les fondations de l’esprit martial paternel faisaient désormais leurs vives apparitions dans le regard du Seigneur-Dragon, Jae ne pouvait se laisser se retrancher dans des sentiments aussi vils et devait saisir la chance qu’il avait toujours attendu et espérer. Celle de percer l’obscurité de son père pour faire jaillir sa propre lumière.
De même, au moment où sa propre cité était sur le bord de l’implosion suite au meurtre de Lucerys Arlearon et à la prise de pouvoir de l’armée, il n’était pas question pour l’héritier Maerion de tergiverser dans son coin. Empreint de l’esprit martial de son père et de la sagesse de sa mère, il s’engagea pleinement dans la cause de la faction Rouge, avec son frère Aerys, alimentant le secret désir que cette aventure puisse les rapprocher et ainsi fortifier le sang Maerion.
La naissance du jeune Tyraegor fut un événement qui annonça pour lui l’espoir d’un lien fort à tisser avec sa sœur. Là où il voyait la ruine et le désespoir, il semait désormais des graines d’espoir et de renouveau. Sentant que le pouvoir de son père déclinait et que la Cité de Valyria prenait un tour décisif dans son histoire, Jaehaegaron, conscient de l’importance de sa famille et de son honneur remarquable, malgré les traces de sang qui persistaient sur son nom dans quelques esprits, pris la ferme résolution de continuer sur sa lancée et de mettre au profit de sa quête toutes les aptitudes qu’il s’était acharné à perfectionner et à travailler depuis son enfance.
Quête qui désormais ne comprenait dès lors non plus la seule résolution du mystère du décès de sa soeur et par là même l’acceptation de son départ mais aussi l’unification et la fortification de son sang par le tissage d’un lien fort avec sa soeur-épouse ainsi que par l'enterrement de la hache de guerre avec son frère Aerys.
Des épreuves, toutes redoutables les unes que les autres, d'allure semblable mais de nature différente, jalonnent dès à présent l'avenir de Jae. Lequel devra faire preuve de ses talents de stratège pour exceller d'ingéniosité et arriver à ses fins.