Le cavalier filait dans le voile de la nuit. Peu lui importait les flancs couverts d'écume de sa monture. La seule pensée de pouvoir se briser la nuque sur un nid de poule ne lui effleurait même pas l'esprit. Seul comptait le petit bout de papier, déchiré et maculé, serré entre ses doigts. Le visage fermé, le cavalier plissait les yeux alors que Joggo renâclait sous son mors. Près d'une heure de grand galop, à peine entrecoupée d'une pause de quelques minutes, mettait le cheval à mal. Capable de maintenir des trots pendant de longues heures, le pur-sang dothraki tenait difficilement une telle cadence. Par Aegarax, il n'était pas un hongre ! Pourtant, fidèle à son ami et maître, martyrisé par ses rênes, il continuait.
Ledit maître avait bien conscience des dangers de sa chevauchée, aussi bien sur le court terme que le long. Lui-même épuisé par cette course affolée à travers les collines entourant Valyria, il ne désirait qu'une chose: arriver à temps. Il se maudissait lui et ses devoirs. Il la maudissait pour ne pas savoir choisir son moment. Les quelques semaines passées à Mhysa Faer pour préparer le futur de la Troisième Armée, et il espérait le sien, avait suffi à chambouler ses plans. Jacaerys ne pouvait rester indifférent aux évènements à l'ouest de la Rhoyne. Qu'il s'agisse de la princesse guenaude au-delà du fleuve ou encore la guerre civile andale. Il se rongeait le sang quant au sort de son frère et son charmante épouse. Bien qu'ils doivent se trouver normalement dans le royaume Sarnor, les nouvelles manquaient.
Aussi lorsque le Légat avait trouvé une missive trônant proprement sur son lit à son retour, il avait arraché l'enveloppe de qualité pour la dévorer du regard. Au premier abord, l'écriture le laissa perplexe. Il ne reconnaissait pas ces boucles à la fois délicates et maladroites dans la langue valyrienne. Jacaerys crut même un instant que Clarysse, sa belle-soeur, s'était chargée d'écrire ces mots. Puis ses yeux avaient parcouru la lettre de haut en bas, plusieurs fois. Helenys. Voilà de longs mois qui s'étaient écoulés depuis leurs retrouvailles. Leurs rencontres, polies et courtoises, fouettaient toujours son sang. Qu'elle puisse le réclamer désormais ne laissait aucun doute sur son implication dans la guerre andale. Jacaerys avait craint une telle chose lorsqu'elle s'était faite si discrète sur ses agissements. Malgré ses doutes fondés, il désirait l'aider ardemment. Or, la lettre datait déjà d'une longue semaine. Ainsi s'expliquait ce galop infernal du Légat à travers les vallons de Valyria.
Tandis qu'il atteignait l'énième sommet d'une colline, Jacaerys aperçut sa destination. À peine visible dans la nuit, se distinguait le bâtiment bas et fonctionnel d'un domaine agricole. Il n'avait aucune idée de son propriétaire, ou même s'il était en fonction. Son seul savoir c'était d'y être attendu. Donnant une claque sur la croupe de Joggo, Jacaerys encouragea le cheval à bondir par-dessus un muret pour avaler les dernières centaines de mètres. À peine sa monture arrivait près de l'entrée principale que le Légat sautait à bas de selle. Attrapant une gourde à sa selle, il s'arrosa copieusement le visage et but à grands goulots. Épuisé et éreinté, il garda la présence d'esprit de mener Joggo jusqu'à du fourrage abandonné dans un coin de la cour. Enfin, il chancela de sa démarche arquée jusqu'à la porte qu'il ouvrit d'un grand coup de pied.
Helenys !
S'enfonçant dans le domaine, Jacaerys ne tarda pas à trouver la principale pièce à vivre. Ainsi que celle qu'il cherchait. Sans réfléchir, il se dépêcha de l'atteindre et prit son visage entre ses mains. Pris de l'envie de l'embrasser, il s'en empêcha et cacha son geste en se contentant de se jeter à genoux devant l'ambassadrice. Baisant ses mains, il leva les yeux vers elle avant de se relever. Essoufflé, suant et probablement puant, il voulait savoir:
J'ai fait aussi vite que je pouvais. Est-ce vrai ? Ces mots que tu m'as écrits ? Pourquoi me faire venir ici ? Es-tu prête à me faire entendre la vérité de ton implication dans la rébellion de ton frère ?