Le Triomphe du Dragon
La mort avait le parfum le plus délicieux au monde. Elle irradiait la puissance du tueur et la défaite de l’assassiné, la souffrance du macchabée, ses plaintes, ses espoirs déçus, ses amours passées qui iraient dans les bras d’un autre, car le vainqueur se servait toujours, aimant à se tailler la part du dragon. Il n’y avait pas odeur plus sublime que celle d’un champ de bataille à l’agonie, pas de chant plus vibrant que celui des mourants qui appelaient à l’aide ou demandaient pitié. Aeganon n’avait jamais aimé l’hypocrisie de ceux qui déclaraient tuer par devoir, qui répugnait à cette débauche de sang. Eh quoi, combien étaient-ils, ceux qui mettaient un mouchoir devant leur précieux nez, tout en commanditant la disparition d’un rival, se réjouissaient des guerres menées par les autres à leur place, voire, plus pernicieusement encore, mettaient un serviteur trop âgé à la porte, le condamnant lentement et sûrement à crever de faim la gueule dans le caniveau, rongé par la vermine davantage encore que par la vieillesse, insatiable et tyrannique maîtresse des hommes ? Non, la vérité, c’est que la puissance donnait le pouvoir, et que chacun se servait de son pouvoir pour améliorer sa situation au détriment de celle des autres, sans remords ni pitié, parce qu’il fallait vivre ou périr, et que la mort des autres n’était jamais rien de plus qu’un triste incident. Seule des siens comptait. Cela en avait toujours été ainsi, et rien ne changerait cette loi immuable. On trouverait toujours des guerres, car l’envie, la jalousie, la folie gouvernaient les hommes. Ce qui était nécessaire, c’était de se trouver du côté des vainqueurs. La perte personnelle était insoutenable, l’offense faite à son peuple, une plaie béante perpétuellement suppurante, pas parce qu’il, comme tous les autres valyriens réunis, avait quoi que ce soit à faire de tous ces noms égrenés, de ces souvenirs que beaucoup portaient en étendard sur leurs visages mouillés de larmes de joie et de tristesse, mais parce qu’à partir du moment où la Trahison de Borrash avait eu lieu, le sang avait appelé le sang. Et derrière, c’étaient des milliers d’hommes qui étaient morts, parfois dans des conditions épouvantables. Ils se souvenaient des hommes et des femmes de Tolos, méconnaissables après la levée du siège de la ville, avec leurs regards hantés par les horreurs sous leur mur et la faim. Valyria avait même été touchée en plein cœur, à Mysa Faer, et si l’attaque avait été repoussée, cela avait été réalisé au prix de lourdes pertes, encore. Et que dire de tous ces anonymes tombés devant Borrash la cruelle elle-même ? Devant Meereen ensuite ? Leurs âmes appelaient à la vengeance. Ils n’avaient eu de cesse d’exaucer ce souhait morbide exhalé de leurs lèvres gercées par la mort et la soif, ces soldats que la mère patrie célébrait à ce moment. Ils avaient puni par le feu-dragon, mais aussi en prenant des captifs et en marquant dans leurs chairs les ghiscaries lors du sac de Meereen. La guerre n’avait rien d’honorable. Voilà, précisément, ce qui la rendait belle, car elle était le plus pur déchaînement humain, la force brute portée à son firmament, et là encore, Aeganon taxerait d’hypocrisie tous ceux affirmant qu’ils n’avaient pas aimé plonger leurs armes dans la gorge tendue d’un ennemi, voir le sang en couler, les yeux se révulser et la voix dérailler en une prière muette. La découverte de cette puissance changeait les hommes, certes. Mais elle apprenait aussi la valeur de la vie, ainsi que celle de leur propre force.
Nul remord ou gêne dans ses yeux ne brillait alors qu’il recevait acclamations et vivats, et qu’on déposait à ses pieds le butin de guerre. Il l’avait mérité. Il avait combattu, il avait saigné pour Valyria, il avait servi et aurait servi jusqu’à son dernier souffle, si cela avait été nécessaire. Un héros vivait. Les morts avaient été vaincus. Ils étaient célébrés pour leur souvenir. Mais lui était bien vivant, comme en témoignait le sang qui battait à ses tempes, son cœur qui cognait à tout rompre dans sa poitrine tandis que son « Gloire » était repris, y compris par l’épouse d’une des Lumières, la mère de son ami Aerys, à qui il adressa furtivement un sourire léger. Cela lui permit de revenir à son frère, et de se gorger de son expression, de ses lèvres qui s’ourlaient d’un mot trop longtemps attendu, au cours de son séjour à Rhyos, et qui venait enfin le couronner, presque, de ses treize lettres peintes en or, du moins il lui semblait, déposées par le vent à ses pieds comme ces monceaux de pierreries dont il n’avait que faire. Il n’avait pas besoin d’une autre récompense que celle que lui offrait Daemor. Et pourtant, une part de lui, encore une fois, se rebellait contre ce contentement indicible qui gonflait sa poitrine d’une exaltation emphatique, comme s’il n’y avait rien d’autres qui comptait. Comment ! Encore une fois, il était pieds et poings liés face à son jumeau ! Non, il appartenait aussi au peuple, à ces hommes et ces femmes qui les fêtaient ! Voilà ce qui importait, la reconnaissance, enfin, la gloire surtout, bientôt, la consécration. Il se répétait ce mantra dans sa tête, tandis que leur échange de de regards furtifs se brisaient déjà, et que venaient les prêtres et leur onction. Fier comme un paon, il reçut ainsi la récompense rituelle, et se souvint, un bref instant, de ses années de jeunesse à quémander l’appréciation d’un père qui n’était jamais venue, à chercher l’ombre d’une assurance quant à sa valeur, qu’il attendait encore. Auraient-ils pu imaginer, tous les siens, qu’un Bellarys deviendrait Gardien de Tyraxès, devant Valyria entière, tant ils étaient bouffis dans leurs livres de compte et leurs calculs sordides à ses yeux ingrats d’idiot qui n’en avait jamais compris les subtilités ? Là où il n’aurait dû être que dévotion et reconnaissance, Aeganon se retrouvait pétri de mauvaises pensées, et sa joie n’était due qu’au plaisir pervers qu’il éprouvait à se venger des humiliations répétées qu’il avait subies durant son enfance et son adolescence. C’était son moment, et rien ne pourrait le gâcher. Qu’importait qu’on acclame davantage ceux dont les noms étaient davantage connus. Il saurait représenter, pour beaucoup, la capacité à s’élever par soi-même. Ou presque, bien sûr, mais le peuple aimait s’identifier à ce qu’il pouvait, après tout ? Il fallait rêver un peu, et un bon discours suffisait à tordre la réalité dans le sens nécessaire à ses envies.
A peine la cérémonie close que la suite arriva, en la personne d’un disciple de Balerion. Il charriait l’odeur de la mort avec lui, ainsi que dans son discours, et à mesure qu’il égrenait ses vérités, à savoir celle d’un peuple encore meurtri qui accomplissait sa vengeance dernière, scellant au nom des dieux l’affront lavé par le sang versé, le sourire d’Aeganon s’agrandit, se flétrit, tandis qu’une lueur dangereuse s’alluma dans ses yeux. Oui, il la humait, cette flagrance putride et grandiose, il la sentait venir. L’air avait toujours eu une saveur particulière quand la mort arrivait, il l’avait remarqué dès son premier champ de bataille, à la Passe des Démons. Il charriait avec lui cette senteur doucereuse de la peur mêlée à l’excitation de ceux qui allaient la contempler. Il sentait frémir les spectateurs autour de lui tandis que les prisonniers ghiscaris étaient amenés, et il lui semblait pouvoir sentir les émotions que les condamnés exsudaient par chaque pore de leur peau. Était-ce dû à son lien avec Astyrax ? Son ombre s’étendait d’ailleurs sur Valyria, remontant le Glaeron, manquant faire vaciller les feux magiques d’un battement de ses immenses ailes. L’immense reptile arriva bientôt à sa place, préférant néanmoins rester en vol stationnaire plus haut que ses congénères plutôt que de se poser, compte tenu de son envergure. Un bref instant, Aeganon sentit son cœur se gonfler de fierté à l’idée qu’une créature aussi miraculeuse ait pu décider de se lier à lui. L’esprit du dragon occupait à nouveau une place dans son propre cerveau, et il percevait, pendant quelques instants, les environs comme l’immense prédateur. Définitivement, ce dernier se repaissait de la peur qu’il voyait dans les yeux de ses futures proies, s’amusait de leur stoïcisme. Ils n’étaient, au fond, que des fourmis pour lui. Les yeux de l’humain se posèrent sur le ghiscari le plus proche de lui. Ironie suprême, il ne le reconnut que trop bien, pour avoir accepté sa reddition en personne. Armé de son rictus mauvais, pendant que Maekar offrait le discours cérémoniel attendu, lui-même se pencha vers le mort en sursis, et grimaça, tel un démon :
« N’aie crainte, je prendrai soin de ta femme. Tu ne lui manqueras pas. »
Son rire s’éleva, gras et provocateur, ignorant le regard haineux de la victime annoncée. Déjà, Astyrax enclenchait le processus qui ferait naître au fond de sa gorge le feu purificateur, offert aujourd’hui à Balerion, dieu de la mort, et à tous leurs sacrifiés. Aeganon se vit, l’espace d’un bref instant, le chevauchant au-dessus de Borrash, et prononçant les paroles qui franchissaient déjà ses lèvres, à l’unisson des autres combattants valyriens, alors qu’il s’était élevé dans les rues pour les passer à la torche, réduisant en cendres fumantes hommes, femmes et enfants, vieillards et nourrissons, et qu’il s’était délecté de leurs cris de détresse, de ces derniers adieux aperçus, qui auraient pu être le témoignage qu’ils appartenaient tous à la même humanité, mais n’avaient servi qu’à lui rappeler que d’autres qui n’avaient rien demandé n’auraient jamais la chance de mourir avec leur épouse dans leurs bras et leurs enfants à leurs pieds, parce qu’ils gisaient dans la boue devant Borrash. Ghis avait pris Valyria pour sa catin, et se retrouvait en retour cruellement humiliée, le froc baissé sur les genoux de ses cités autrefois si fières et qui avaient mérité de retourner à la chienlit, bloc par bloc, pierre par pierre, dans ce torrent d’enfer qu’était le feu-dragon. Aujourd’hui ce serait la même : ils avaient été bien arrogants, ces notables, de se croire intouchables du haut de leurs ziggourats plantées dans le sol et tournés vers les cieux comme s’ils en étaient les maîtres, alors que cette place revenait aux dragons et à leurs monteurs. Sa voix se joignit à celle des autres, et à la sienne venue d’un autre temps, pour à nouveau déclarer :
« Dracarys ! »
Astyrax ouvrit sa gueule aux crocs acérés, déchaînant le feu-dragon sur leur victime désignée, qui fut figée en quelques secondes en une posture d’éternel suppliant et supplicié, avant que les restes ne s’écroulent au sol. L’odeur leur emplit les narines, et ils vibrèrent à l’unisson, s’en gorgeant en carnivores repus qui contemplaient leur œuvre commune. A travers leur lien mental, Aeganon sentait le frémissement du dragon à l’odeur de la chair brûlée, du gras qui goutait sur le sol et sa langue passa sur ses lèvres sans qu’il ne s’en aperçoive, comme subjugué par les sensations qui lui parvenaient de la sorte. Un frémissement dans la foule, pourtant, l’arracha à sa contemplation sordide. L’ambassadrice ghiscarie partait. Sa haute silhouette, immanquable compte tenu de sa tenue bigarrée, ne pouvait échapper à la scrutation des valyriens qui attendaient tous de voir ce que l’envoyée de l’éminent et dangereux vaincu pourrait faire. Au milieu des murmures, probablement aidé en cela par le ronronnement de son dragon dans sa cervelle, le Bellarys sentit son cœur s’embraser. Fallait-il donc que Valyria subisse l’orgueil de ces chiens jusqu’entre ses murs ? L’affront à leurs morts, à tous leurs morts, allaient-ils devoir le souffrir ? Qu’on ne se s’y trompe pas : par cet acte, Ghis venait de signifier son dédain à l’égard de son voisin de la péninsule, pour ses rites, ainsi que la haute condition dans laquelle la Harpie se tenait encore. Il allait falloir lui arracher les plumes une à une, un jour. Contemplant les cadavres – ou plutôt ce qui se trouvait à leur place, Aeganon ne put s’empêcher de déclarer, faisant écho au discours de Maekar pour mieux le reprendre et exciter la foule :
« Voilà la place des ennemis de Valyria : mort à nos pieds, ou fuyant la queue entre les jambes car incapables de faire face à la conséquence de leurs actes. »
Et son regard, droit et brûlant, se planta dans la tribune, à l’endroit exact où avait siégé, quelques instants auparavant, l’ambassadrice ghiscarie. L’insulte était évidente, voulue comme telle. Il ne permettrait pas que ce jour – le sien – soit sali par ces maudits ghiscaris. Valyria devait avoir la tête droite, être fière de ses actes, de ses cultes, de son œuvre, de sa victoire, et bien entendu, de ses héros. Vae victis, disaient les Andalos : malheur au vaincu. Cela n’avait jamais été aussi vrai qu’à cet instant précis. De ses deux bras, il commença encourager la foule à manifester son ire. Enfin, il n’y tint plus et proclama :
« Valyria, ton sang est vengé ! »
Nul remord ou gêne dans ses yeux ne brillait alors qu’il recevait acclamations et vivats, et qu’on déposait à ses pieds le butin de guerre. Il l’avait mérité. Il avait combattu, il avait saigné pour Valyria, il avait servi et aurait servi jusqu’à son dernier souffle, si cela avait été nécessaire. Un héros vivait. Les morts avaient été vaincus. Ils étaient célébrés pour leur souvenir. Mais lui était bien vivant, comme en témoignait le sang qui battait à ses tempes, son cœur qui cognait à tout rompre dans sa poitrine tandis que son « Gloire » était repris, y compris par l’épouse d’une des Lumières, la mère de son ami Aerys, à qui il adressa furtivement un sourire léger. Cela lui permit de revenir à son frère, et de se gorger de son expression, de ses lèvres qui s’ourlaient d’un mot trop longtemps attendu, au cours de son séjour à Rhyos, et qui venait enfin le couronner, presque, de ses treize lettres peintes en or, du moins il lui semblait, déposées par le vent à ses pieds comme ces monceaux de pierreries dont il n’avait que faire. Il n’avait pas besoin d’une autre récompense que celle que lui offrait Daemor. Et pourtant, une part de lui, encore une fois, se rebellait contre ce contentement indicible qui gonflait sa poitrine d’une exaltation emphatique, comme s’il n’y avait rien d’autres qui comptait. Comment ! Encore une fois, il était pieds et poings liés face à son jumeau ! Non, il appartenait aussi au peuple, à ces hommes et ces femmes qui les fêtaient ! Voilà ce qui importait, la reconnaissance, enfin, la gloire surtout, bientôt, la consécration. Il se répétait ce mantra dans sa tête, tandis que leur échange de de regards furtifs se brisaient déjà, et que venaient les prêtres et leur onction. Fier comme un paon, il reçut ainsi la récompense rituelle, et se souvint, un bref instant, de ses années de jeunesse à quémander l’appréciation d’un père qui n’était jamais venue, à chercher l’ombre d’une assurance quant à sa valeur, qu’il attendait encore. Auraient-ils pu imaginer, tous les siens, qu’un Bellarys deviendrait Gardien de Tyraxès, devant Valyria entière, tant ils étaient bouffis dans leurs livres de compte et leurs calculs sordides à ses yeux ingrats d’idiot qui n’en avait jamais compris les subtilités ? Là où il n’aurait dû être que dévotion et reconnaissance, Aeganon se retrouvait pétri de mauvaises pensées, et sa joie n’était due qu’au plaisir pervers qu’il éprouvait à se venger des humiliations répétées qu’il avait subies durant son enfance et son adolescence. C’était son moment, et rien ne pourrait le gâcher. Qu’importait qu’on acclame davantage ceux dont les noms étaient davantage connus. Il saurait représenter, pour beaucoup, la capacité à s’élever par soi-même. Ou presque, bien sûr, mais le peuple aimait s’identifier à ce qu’il pouvait, après tout ? Il fallait rêver un peu, et un bon discours suffisait à tordre la réalité dans le sens nécessaire à ses envies.
A peine la cérémonie close que la suite arriva, en la personne d’un disciple de Balerion. Il charriait l’odeur de la mort avec lui, ainsi que dans son discours, et à mesure qu’il égrenait ses vérités, à savoir celle d’un peuple encore meurtri qui accomplissait sa vengeance dernière, scellant au nom des dieux l’affront lavé par le sang versé, le sourire d’Aeganon s’agrandit, se flétrit, tandis qu’une lueur dangereuse s’alluma dans ses yeux. Oui, il la humait, cette flagrance putride et grandiose, il la sentait venir. L’air avait toujours eu une saveur particulière quand la mort arrivait, il l’avait remarqué dès son premier champ de bataille, à la Passe des Démons. Il charriait avec lui cette senteur doucereuse de la peur mêlée à l’excitation de ceux qui allaient la contempler. Il sentait frémir les spectateurs autour de lui tandis que les prisonniers ghiscaris étaient amenés, et il lui semblait pouvoir sentir les émotions que les condamnés exsudaient par chaque pore de leur peau. Était-ce dû à son lien avec Astyrax ? Son ombre s’étendait d’ailleurs sur Valyria, remontant le Glaeron, manquant faire vaciller les feux magiques d’un battement de ses immenses ailes. L’immense reptile arriva bientôt à sa place, préférant néanmoins rester en vol stationnaire plus haut que ses congénères plutôt que de se poser, compte tenu de son envergure. Un bref instant, Aeganon sentit son cœur se gonfler de fierté à l’idée qu’une créature aussi miraculeuse ait pu décider de se lier à lui. L’esprit du dragon occupait à nouveau une place dans son propre cerveau, et il percevait, pendant quelques instants, les environs comme l’immense prédateur. Définitivement, ce dernier se repaissait de la peur qu’il voyait dans les yeux de ses futures proies, s’amusait de leur stoïcisme. Ils n’étaient, au fond, que des fourmis pour lui. Les yeux de l’humain se posèrent sur le ghiscari le plus proche de lui. Ironie suprême, il ne le reconnut que trop bien, pour avoir accepté sa reddition en personne. Armé de son rictus mauvais, pendant que Maekar offrait le discours cérémoniel attendu, lui-même se pencha vers le mort en sursis, et grimaça, tel un démon :
« N’aie crainte, je prendrai soin de ta femme. Tu ne lui manqueras pas. »
Son rire s’éleva, gras et provocateur, ignorant le regard haineux de la victime annoncée. Déjà, Astyrax enclenchait le processus qui ferait naître au fond de sa gorge le feu purificateur, offert aujourd’hui à Balerion, dieu de la mort, et à tous leurs sacrifiés. Aeganon se vit, l’espace d’un bref instant, le chevauchant au-dessus de Borrash, et prononçant les paroles qui franchissaient déjà ses lèvres, à l’unisson des autres combattants valyriens, alors qu’il s’était élevé dans les rues pour les passer à la torche, réduisant en cendres fumantes hommes, femmes et enfants, vieillards et nourrissons, et qu’il s’était délecté de leurs cris de détresse, de ces derniers adieux aperçus, qui auraient pu être le témoignage qu’ils appartenaient tous à la même humanité, mais n’avaient servi qu’à lui rappeler que d’autres qui n’avaient rien demandé n’auraient jamais la chance de mourir avec leur épouse dans leurs bras et leurs enfants à leurs pieds, parce qu’ils gisaient dans la boue devant Borrash. Ghis avait pris Valyria pour sa catin, et se retrouvait en retour cruellement humiliée, le froc baissé sur les genoux de ses cités autrefois si fières et qui avaient mérité de retourner à la chienlit, bloc par bloc, pierre par pierre, dans ce torrent d’enfer qu’était le feu-dragon. Aujourd’hui ce serait la même : ils avaient été bien arrogants, ces notables, de se croire intouchables du haut de leurs ziggourats plantées dans le sol et tournés vers les cieux comme s’ils en étaient les maîtres, alors que cette place revenait aux dragons et à leurs monteurs. Sa voix se joignit à celle des autres, et à la sienne venue d’un autre temps, pour à nouveau déclarer :
« Dracarys ! »
Astyrax ouvrit sa gueule aux crocs acérés, déchaînant le feu-dragon sur leur victime désignée, qui fut figée en quelques secondes en une posture d’éternel suppliant et supplicié, avant que les restes ne s’écroulent au sol. L’odeur leur emplit les narines, et ils vibrèrent à l’unisson, s’en gorgeant en carnivores repus qui contemplaient leur œuvre commune. A travers leur lien mental, Aeganon sentait le frémissement du dragon à l’odeur de la chair brûlée, du gras qui goutait sur le sol et sa langue passa sur ses lèvres sans qu’il ne s’en aperçoive, comme subjugué par les sensations qui lui parvenaient de la sorte. Un frémissement dans la foule, pourtant, l’arracha à sa contemplation sordide. L’ambassadrice ghiscarie partait. Sa haute silhouette, immanquable compte tenu de sa tenue bigarrée, ne pouvait échapper à la scrutation des valyriens qui attendaient tous de voir ce que l’envoyée de l’éminent et dangereux vaincu pourrait faire. Au milieu des murmures, probablement aidé en cela par le ronronnement de son dragon dans sa cervelle, le Bellarys sentit son cœur s’embraser. Fallait-il donc que Valyria subisse l’orgueil de ces chiens jusqu’entre ses murs ? L’affront à leurs morts, à tous leurs morts, allaient-ils devoir le souffrir ? Qu’on ne se s’y trompe pas : par cet acte, Ghis venait de signifier son dédain à l’égard de son voisin de la péninsule, pour ses rites, ainsi que la haute condition dans laquelle la Harpie se tenait encore. Il allait falloir lui arracher les plumes une à une, un jour. Contemplant les cadavres – ou plutôt ce qui se trouvait à leur place, Aeganon ne put s’empêcher de déclarer, faisant écho au discours de Maekar pour mieux le reprendre et exciter la foule :
« Voilà la place des ennemis de Valyria : mort à nos pieds, ou fuyant la queue entre les jambes car incapables de faire face à la conséquence de leurs actes. »
Et son regard, droit et brûlant, se planta dans la tribune, à l’endroit exact où avait siégé, quelques instants auparavant, l’ambassadrice ghiscarie. L’insulte était évidente, voulue comme telle. Il ne permettrait pas que ce jour – le sien – soit sali par ces maudits ghiscaris. Valyria devait avoir la tête droite, être fière de ses actes, de ses cultes, de son œuvre, de sa victoire, et bien entendu, de ses héros. Vae victis, disaient les Andalos : malheur au vaincu. Cela n’avait jamais été aussi vrai qu’à cet instant précis. De ses deux bras, il commença encourager la foule à manifester son ire. Enfin, il n’y tint plus et proclama :
« Valyria, ton sang est vengé ! »
- Résumé du long pavé:
- - Aeganon salue @Vhaenyra Maerion discrètement en la voyant reprendre son gloire.
- Aeganon est gonflé de fierté face aux honneurs rendus, et plus encore secrètement des félicitations de son frère, @Daemor Bellarys.
- Il se moque du prisonnier ghiscari qui lui est dévolu, attisant les rires de ceux qui l'entendent.
- Il participe avec les autres, notamment @Maekar Tergaryon au Dracarys en déchaînant Astyrax, son dragon, qui est en vol stationnaire en raison de sa taille trop importante pour se poser.
- Aeganon, outré par le départ de @Vastraya Amasis, fait mine de commenter la mise à mort des prisonniers et, en vantant la puissance de Valyria, se moque de son départ qui s'apparente d'après lui à une fuite.
- Il encourage la foule à huer, avant de déclarer que les morts de Valyria sont vengés.