1. Je ne savais pas alors que, tôt ou tard, l’océan du temps nous rend les souvenirs que nous y avons enfouis Le cri se perd dans la rage de la tempête qui balaie la côte. Le ciel noirci est parfois traversé d’éclairs ; à part ces brefs jets de lumière blafarde, reflétés par la mer en furie, aucune lueur ne parvient à illuminer les rues pavées. L’eau est partout : elle surgit en vagues violentes, glisse sur les toits, forme des ruisseaux et des flaques dans chaque interstice laissé au sol. Au sein des murs de la citadelle, un bébé voit le jour - un terme peu approprié, au vu de l’obscurité qui règne à l’intérieur du donjon sans fenêtres.
Une fille ; ce n’est pas ce que le puissant Seigneur du Vaelgamon Salaezar Vaelgaris avait espéré. Et, si le prêtre et le mage qu’il a convoqués l’assurent tous deux qu’il aura d’autres enfants, il ne peut s’empêcher d’y voir un présage funeste. Les femmes ne sont pas faites pour diriger ; il lui faut un fils, pour marier celle-ci le plus rapidement possible, avant qu’il ne lui vienne des idées...
Quelques heures plus tard, bien que le soleil reste caché derrière d’épais nuages gris d’où tombe une bruine persistante, un brasier éclaire le sommet de la tour noire du Vaelgamon. Une jeune femme aux cheveux d’argent et aux yeux d’améthyste se tient droite, pieds et poings liés par une épaisse chaîne d’acier aussi brillant que ses prunelles. Son regard ne quitte pas les flammes, et un observateur extérieur pourrait croire que seules ses entraves l’empêchent de rejoindre son bébé. Un familier des personnes présentes - s’il existait une telle personne - saurait cependant que ce ne sont pas les chaînes qui retiennent Maera Vaelgaris, mais bien le regard inflexible de son époux.
Le berceau de bois n’est bientôt plus qu’un lointain souvenir, un tas de cendres fumantes sur lesquelles un bambin est couché, silencieux et immobile, son regard violet terriblement fixe. Le Mage chargé de la lecture des flammes vient de lui prédire une vie dévouée à l'apprentissage. Reste à dire au service de qui, ou de quoi, elle mettra ses connaissances à venir.
2. Elle avait la beauté déchirante de ce qui change si vite qu’on ne peut jamais le retrouver L’ aurore aux doigts de rose écarte les derniers voiles de sa soeur la nuit, et s’aventure timidement jusqu’aux faubourgs de Gelios. Elle s’étire en douceur : elle ne s’installe pas, elle ne fait que précéder son frère le matin, bien moins pressé. L’aurore a d’ailleurs la présence d’esprit d’éviter soigneusement la haute tour qui domine la péninsule. Peut-être préfère-t-elle ne pas s’approcher des parois de verredragon aiguisées par le vent et le sel marins ; peut-être a-t-elle, elle aussi, entendu les légendes qui courent à son sujet, chacune aussi noire que ses murs.
Si elle pouvait y pénétrer de son pas furtif, toutefois, elle prendrait sans doute pour ce faire la voie des airs, comme les dragons que l’on peut régulièrement apercevoir dans la région. Elle entrerait alors dans le donjon sombre, les pieds tout ornés de rosée, et descendrait quatre à quatre les volées d’escaliers, trop pressée de ressortir que pour bien observer.
Si l’aurore prenait le temps de détailler ce qu’elle a vu, elle mentionnerait alors sans doute le lit des maîtres, dans lequel un homme enlace une femme qui pourrait être sa fille - une femme qui
est sa fille. Leurs enfants, qui partagent avec eux les cheveux si blonds qu’ils en sont presque blancs, dorment paisiblement dans leurs chambres respectives. Enfin, trois d’entre eux ont les paupières closes, rêvant sans doute aux aventures que leur réserve le jour qui s’annonce.
La quatrième a les yeux grand ouverts : des yeux violets, dépourvus de toute fatigue, malgré l’heure avancée - ou est-ce reculée ? L’aurore ne sait plus, et très franchement, la narratrice non plus. Elle s’appelle Saelyra : elle sait à peine épeler son prénom, mais celui qui se plonge dans son regard y voit déjà son ambition. Un jour, elle écrira ce prénom en lettres de feu dans les livres d’Histoire.
3. Ah qu’est-ce qu’on est tarés, au fond du Vaelgamon, chantent les consanguins - Valou Toujours plus haut, toujours plus loin. Elle n’a que dix ans, mais elle s’envole sans un regard en arrière. Ses parents peinent à la suivre, et c’est le but de la manœuvre. Elle est la meilleure, elle le sait, et ce n’est qu’une question de temps avant que sa famille ne le comprenne.
Les ailes de son dragon, vertes et veinées d’argent, l’emmènent toujours plus haut, toujours plus loin. Techniquement, ce dragon est celui de son frère, mais les détails techniques tels que la terreur du frère en question ne veulent rien dire pour la jeune Saelyra. Bientôt, le Vaelgamon n’est plus qu’un point noir, un château de pacotille prêt à plonger dans la Mer d’Été. Salaezar et Maera sont des figurines, perchées sur des dragonnets de la taille d’oiseaux de proie. Ils ne sont pas de taille à lutter contre Saelyra et Aelyx - le dragon de Vaelios, certes, mais Vaelios ferait tout pour sa sœur aînée - qui s’élèvent toujours plus haut, toujours plus loin.
Un rugissement terrifiant rappelle toutefois l’enfant à la réalité. Aelyx obéit sans broncher aux directives de ses cavaliers : il effectue un virage gracieux, avant d’amorcer une vertigineuse descente en piqué.
SAELYRA !La voix de son père porte presque aussi loin que les cris de son dragon. Et ses colères sont tout aussi mémorables. Elle lui a désobéi, une fois de plus, et elle connaît le prix de ses actes. Ses yeux lilas se remplissent de larmes, qu’elle essuie rageusement. C’est le vent, et non la peur, qui la fait pleurer ainsi, se martèle la gamine.
Dès que ses pieds touchent le sol, son père la tire sans ménagement vers l’intérieur du donjon, dans les entrailles duquel la fillette va recevoir la punition qu’il estime appropriée. À savoir une séance de noyade simulée ; cette fois, l’enfant résiste près de trois minutes. Son géniteur refuse de l’admettre, mais la ténacité de sa fille aînée l’impressionne. Malgré les excuses, qu’elle prononce d’une voix tremblante après ces trois moments d’éternité, elle n’est pas délivrée avant une heure de ce que Salaezar appelle presque affectueusement son cachot favori.
4. Il croyait avoir de la fièvre, mais c’était ce qu’il venait de vivre qui brûlait en lui Ils lui ont pris Aelyx. Saelyra a quinze ans, de longs cheveux blonds, et un trou de la taille d’un dragon dans son cœur. Jusqu’à ce que cela se produise, elle était persuadée que son père ne laisserait jamais faire ces vieux croûtons d’Archimages. Que jamais, il ne laisserait son héritière être séparée de la créature qui lui revient de droit. Après tout, elle est l'aînée !
Mais Salaezar Vaelgaris n’est pas surnommé “le Dément” pour rien. Sa rage est aussi incontrôlable que les flots de la Mer d’Été, auxquels il a juré de livrer son aînée si elle refusait d’entrer au Collège. La sanction doit être à la hauteur du crime, car cette fois c’est bien d’un crime qu’il s’agit. Saelyra a séduit son frère le plus âgé, l’a poussé à s’emparer de la virginité pourtant promise à son cadet lors d’une cérémonie sacrée. Elle a désobéi à une décision du patriarche, et il n’existe pas de plus grand sacrilège chez les Vaelgaris.
Saelyra est donc envoyée sans ménagement loin du foyer familial, tout comme son frère Vaelios. Mais là où le séduit se contente de faire ses classes militaires à la frontière septentrionale de Valyria, la séductrice paie un tribut bien plus lourd. Privée de son dragon bien-aimé pour avoir couché avec un frère qui n’est pour elle qu’un moyen de garantir son rôle d’héritière, elle doit dorénavant se plier aux volontés des Mages des Cercles supérieurs.
Sa vie est désormais rythmée par les corvées imposées ; chaque moment libre est consacré à l’apprentissage personnel. Et si d’autres forment des amitiés et des alliances pour mieux atteindre les Cercles suivants, Saelyra préfère s’enfermer seule dans sa cellule et dévorer un à un tous les livres de la bibliothèque. Elle compte bien faire de son exil un nouveau départ : si elle ne peut pas être la Dame Dragon la plus redoutable, elle a encore le temps de devenir la magicienne la plus puissante de sa génération - voire de l’histoire de Valyria.
5. Personne ne peut montrer son destin à celle qui l’a décidé par avanceTous s’accordent pour dire qu’elle est superbe, la jeune Mage de 21 ans aux longs cheveux d’argent. Certains invités affirment même qu’elle rayonne, même si aucun ne se risque à parler de bonheur. Car son sourire de circonstance ne trompe personne, si ce n’est son époux.
À peine revenu de Tolos, où est stationnée la section qu’il commande, Vaelios a accueilli la nouvelle avec un enthousiasme non dissimulé : il va enfin épouser sa sœur aînée ! Il ne l’a pas revue depuis le lendemain du Rêve de Meleys qui l’a vu partir vers le Nord. Les années n’ont toutefois fait qu’embellir sa sœur, la rendant plus désirable encore qu’au premier jour où il l’a aimée.
Elle se tient à ses côtés, recevant avec grâce les honneurs des nombreux invités. Sa robe longue miroite à chacun de ses mouvements. Alourdie par les nombreuses pierres précieuses qui ornent son corps, la jeune épousée semble pourtant aussi légère qu’une plume. Le bonheur conjugal, hasardent les âmes les plus charitables. Leurs compagnons plus honnêtes pointent du doigt un évènement bien différent ; le trépas de Salaezar Vaelgaris, père (et incidemment grand-père) des mariés, il y a quelques semaines à peine.
On a cru que la jeune magicienne allait sauter sur l’occasion pour célébrer sa liberté retrouvée. Après tout, les rapports houleux avec son paternel étaient l’objet de véritables légendes, pour la noble société de Gelios. Mais il n’en est rien : à peine son père incinéré, elle s’est empressée de se jeter dans les bras de son frère, jouant sans vergogne la fille éplorée.
Le cadet n’est pas dupe : du haut de ses 18 ans, Vyctereon a tenté d’avertir son aîné, qui n’a rien voulu écouter. Vaelios s’est persuadé des sentiments de sa sœur à son égard : Saelyra étant amoureuse, elle ne présente aucune menace, surtout pour un jeune militaire comme lui. Après tout, elle est sa sœur, il n’est que normal qu’elle veuille l’épouser. Et le siège de sénateur qui l’attend suite au décès du chef de famille n’a rien à voir là-dedans...
6. The only people who see the whole picture are those who step outside the frame Vaelios s’accroche à elle comme un naufragé à un bout de bois. C’est elle qui est enchaînée, mais c’est lui que l’on croirait prêt à sauter dans les flammes pour sauver leur bébé. Seul indice qui traduit la tension de son épouse : les ongles qui s’enfoncent dans ses paumes, au point d’y laisser des traces sanguinolentes.
L’enfant survit, et son œuf éclot, révélant un dragonnet aux écailles pourpres. Le bambin est prénommé Gaenor, et on lui promet d’ores et déjà une vie de fastes et d’honneurs : après tout, il est dès à présent l’héritier de l’une des plus grandes lignées de Valyria. Ses parents sont ravis : un premier enfant, dix mois à peine après leur mariage, c’est sans doute un signe qu’ils sont favorisés des dieux. Déjà, Saelyra se tourne vers son époux et murmure :
Il lui faudra une sœur…Et Vaelios sourit benoîtement, admirant l’enfançon qui s’agite dans les bras de sa mère, impatient de rencontrer ce futur qu’on imagine brillant.
Vyctereon, lui, fulmine. C’est lui qui aurait dû être père, et non son frère. Ses poings se serrent autour des doigts de sa cadette, qui le regarde sans comprendre. Il vient d’accéder au Troisième Cercle, son ascension météorique au sein du Collège des Mages n’est égalée que par celle de sa sœur et de quelques autres prodiges.
Leurs maîtres sont impressionnés par la célérité et l’assiduité des jeunes Vaelgaris. Ce qu’ils échouent à voir, cependant, c’est l’ambition débridée qui guide leurs apprentissages : Saelyra et Vyctereon se livrent une guerre sans merci, au moyen de livres et de sorts de plus en plus complexes. Ce n’est qu’une question de temps avant que le conflit ne dégénère, affirment déjà les plus perspicaces.
7. L’ignorance est le lot de ceux qui ne prennent pas le temps d’y remédierPlus elle en apprend sur la magie et ses usages, plus sa soif de savoir est aiguisée. Elle veut tout apprendre, tout maîtriser, à tel point qu’il lui est presque impossible de se choisir une spécialité. Elle n’a jamais aimé renoncer, et son inflexibilité est déjà légendaire au Collège, mais pour cette fois, la décision des Archimages prévaudra.
Saelyra a donc choisi d’étudier dans les moindres détails les potions et leur fabrication. Et, si elle continue à mener quelques expériences en sang-magie sur son temps libre, la majorité de ses heures passées au Collège sont consacrées à l’alchimie. Elle devient experte en préparation de baumes et de philtres ; les ingrédients, des plus communs aux plus rares, n’ont bientôt plus de secrets pour elle.
Les novices sont impressionnés par sa prestance et son érudition ; les Mages des Cercles plus élevés lui reprochent toutefois son peu d’entrain lors des leçons qu’elle donne - ou plutôt, qu’elle oublie systématiquement de donner. Elle n’a pas le temps, leur explique-t-elle ; trop de poultices à préparer, et si peu d’heures dans une journée…
Ce qu’elle ne leur explique pas, c’est son dédain pour les apprentis, ces vermisseaux sans cervelle, incapables d’assimiler ce qu’elle tente de leur inculquer. Elle préfère réserver ses leçons aux personnes capables, et puisqu’elle ne trouve pas d’élève digne d’elle, elle préfère ne pas donner cours du tout.
8. That’s what he wants, not what he needs. Leverage is all about knowing the difference La famille Vaelgaris s’agrandit, et les murs du Vaelgamon résonnent désormais de cris d’enfants. Gaenor a rapidement été rejoint par un frère, nommé Aerion, et deux sœurs jumelles, Lysaria et Rhaenyra. Les arrangements maritaux et les parcours sociaux sont déjà tout tracés, selon la volonté de Saelyra, qui veille sans relâche à la destinée de sa progéniture.
Gaenor sera le futur Sénateur Vaelgaris, et l’on ne désespère pas de le voir devenir un jour Lumière de Sagesse ; sa femme sera l’intelligente Lysaria, sans doute l’enfant préférée de sa mère - car oui, les parents ont des préférés, il serait temps d’arrêter de se voiler la face, répète Saelyra. Rhaenyra, la plus douce des deux sœurs, épousera Aerion, dont le sourire de bambin parvient de plus en plus difficilement à excuser le caractère retors.
Aucun de ses enfants ne deviendra Mage, a décidé la matriarche. Son époux a bien tenté de s’y opposer, mais il a vite compris que, dans ce domaine comme dans tant d’autres, c’est elle qui prenait les décisions. Après tout, n’est-elle pas l’aînée ? Il se soumet donc à la sagesse de ses jugements, comme il le fait déjà pour ses interventions au sein du Sénat de Valyria.
La branche cadette des Vaelgaris est également prolifique : Vyctereon et la jeune Rhaelia, enfin en âge de procréer, ont déjà deux petites filles, dont les rires perturbent souvent les séances d’étude de Saelyra. Un jour, il faudra qu’elle fasse quelque chose à ce sujet...
9. You have to create an it, where none was before. You do that first, in your head, and then you make it real Les rues de Valyria bruissent de rumeurs, comme à l’ordinaire. Augmentation des prix, conflits aux frontières, festivités prochaines… Le bruit s’ajoute au bruit, et la cacophonie qui en résulte occulte presque la nouvelle qu’elle attend désespérément.
Deux corps ont été retrouvés dans les décombres laissés par l’embuscade. Pas de doute possible : Vyctereon et sa soeur-épouse Rhaelia ne descendront jamais plus des Montagnes Peintes, où ils rendaient visite à des amis. L’embuscade dothrakie était bien préparée - étonnant, pour ces barbares, soulignent certains à voix basse : aucun survivant n’en a réchappé.
Vaelios fait un discours des plus émouvants lors de la cérémonie de funérailles. Alors que sa femme disperse les cendres du couple depuis le sommet du Vaelgamon, les jumelles Alysea et Naehrys ne sont nulle part en vue. Trop attristées, les pauvres petites, affirme une Saelyra compatissante.
Elle-même a les yeux rouges de celle qui a trop pleuré. À moins que ce ne soit la fumée de ses concoctions, qu’elle prépare de jour comme de nuit depuis qu’elle a quitté le Collège, qui lui ait ainsi abîmé le visage. Depuis que les Archimages ont refusé qu’elle poursuive son ascension vertigineuse de leurs Cercles hors de leur supervision, Saelyra s’est enfoncée dans ses expériences et ses inventions.
10. A shrivelled petal can hold its scent, a prayer can rattle with curses ; an empty house can still be loud with ghosts Elle erre dans les couloirs de la tour sombre, croisant des silhouettes qui s’inclinent sur son passage. Elle ne les reconnaît pas, aveuglée par sa douleur. Elle qui a pourtant fait exécuter son frère et sa sœur sans états d’âme, la voilà réduite aux larmes amères par le décès de sa fille.
La naissance d’un petit-fils est à peine suffisante pour apaiser sa peine. Le fils de Gaenor tient de son père, se répète-t-elle en tentant d’oublier qu’il a aussi les yeux de sa mère. Lysaria n’a pas survécu à l’enfantement : elle n’a pas vu son fils passer brillamment son Épreuve de Feu, et ne verra pas non plus le futur, tout aussi lumineux, que Saelyra prévoit déjà pour son premier petit-enfant.
Mais en attendant que le jour arrive où elle pourra influer sur le destin du dernier-né de la lignée, elle pleure jour et nuit. Même Vaelios, qui passe la majorité de son temps loin du nid d’aigle familial, sent que quelque chose a changé chez son épouse.
Cette dernière en veut désormais à la terre entière. Plus spécifiquement, elle maudit les Archimages, dont la décision de la renvoyer au Vaelgamon l’a empêchée d’en apprendre davantage, de disposer des connaissances qui auraient pu sauver sa douce enfant, sa précieuse Lysaria.
Un jour, décide-t-elle,
ils paieront pour ce choix.
11. And that was what destroyed you, in the end : the longing for something you could never have L’ombre du Vaelgamon semble croître de jour en jour. Ses résidents sortent peu ; à l’exception du Sénateur Vaelios, et de ses fils, qui le suivent parfois jusqu’à la capitale, cela doit bien faire cinq ans que l’on n’a plus vu un membre de la famille Vaelgaris dans les rues de Gelios.
Les dames Saelyra et Rhaenyra vivent cloîtrées avec les enfants - le petit dernier vient de naître, un garçon qui a reçu le prénom Lycaon - ainsi qu’avec les jumelles Alysea et Naehrys. C’est la peur d’un nouvel attentat sur leurs vies qui maintient tout ce petit monde à l’intérieur des murs de verredragon, murmurent les bourgeois de Gelios.
Dans la capitale, mieux informée, on prétend que c’est la matriarche qui veut avant tout garder un œil sur chacun de ses rejetons. D’autres histoires, plus malsaines encore, parlent d’expérimentations dont les sujets ne ressortent pas vivants. D’éclairs rougeâtres aperçus les soirs de tempête au-dessus du donjon sans fenêtres.
Calomnies, répond Vaelios, imperturbable, face aux accusations de certains sénateurs. Après tout, c’est de sa femme que l’on parle : il serait le premier au courant, si elle avait plongé dans la folie comme l’affirment certains Mages malveillants… Mais non, elle lui écrit régulièrement, le conseille même sur ses choix politiques, son esprit semble plus affûté que jamais, promet-il aux inquiets.
12. Ils ont des rêves très grands, très organisés, et ils oublient que le désordre se venge toujours de ceux qui le méprisent Les longs cheveux de la belle Naehrys flottent derrière elle, fouettés sans relâche par le vent marin. C’est si bon, le vent… Surtout quand on ne l’a plus senti sur sa peau depuis des années. Elle s’approche du bord, pieds nus sur la pierre noire.
La mer l’appelle, les vagues crient son nom. Elle va les rejoindre, un instant encore, elle veut revoir les étoiles une dernière fois. Ces étoiles dont on l’a privée pendant de trop longues années, suites de nuits toujours plus sombres, à tenter de lui inculquer des rudiments de magie.
C’est sa sœur Alysea qui a hérité du don familial pour l’apprentissage fulgurant. Peut-être est-elle heureuse, dans les pièces sans fenêtres du donjon, l’érudite Alysea. Naehrys n’en a pas la moindre idée : cela fait deux mois que sa grand-mère les a séparées, réservant son temps précieux à l’instruction de sa nièce favorite, reléguant l’autre au rang de détenue.
Mais la prisonnière a finalement réussi à s’échapper : elle se tient debout, tanguant légèrement sur ses jambes frêles, les bras étendus comme pour étreindre le vent lui-même. On raconte que loin, là-bas, à l’ouest, où le soleil s’est couché il y a plusieurs heures, il existe un autre continent. Elle avait rêvé de le voir, elle avait rêvé de tant de choses. Mais depuis la mort de ses parents, aucun de ses rêves d’enfants ne s’est réalisé.
Aujourd’hui, elle se libère enfin. De sa tante, de la prison dans laquelle elle tient enfermés tous les membres de leur famille. D’un pas décidé, elle s’envole, rejoignant par ce geste décidé les parents qui l’ont tant aimée.
13. Give a man a fire and he’s warm for a day, but set fire to him and he’s warm for the rest of his life Seul Daerion est revenu au Vaelgamon. Il est apparu un soir, une aile brisée, manquant de faire s’écrouler un pan de la falaise sous son poids. La bête blessée a fini par s’éteindre, devant les yeux incrédules des habitants de Gelios, qui ignoraient jusqu’alors qu’un dragon pouvait mourir ainsi.
Dans les yeux de Saelyra, deux émotions bien éloignées des préoccupations du petit peuple s’affrontent. Une peine insondable, tout d’abord, devant cet évènement qui ne lui rappelle que trop la perte de Lysaria ; car Gaenor n’est pas revenu de Bhorash, et quelque chose lui dit qu’il ne reviendra jamais.
La seconde émotion finit toutefois par l’emporter sur son envie de se rouler en boule pour pleurer. Une rage froide et pure danse dans ses prunelles violettes. Une rage assassine, qu’elle parvient à insuffler à son incapable d’époux ; une rage meurtrière, qu’elle emmène avec elle sur le champ de bataille de Mhysa Faer.
La victoire est écrasante, mais rien n’apaise la soif de sang de la terrible Vaelgaris, qui tonne et tempête pour qu’on laisse libre cours au feu des dragons de Valyria. Le Sénat assiste à ses colères, à ses pleurs, mais refuse d’entendre sa voix.
Bientôt, se promet-elle,
elle les punira pour cela.
14. It is the absence of facts that frightens people : the gap you open, into which they pour their fears, fantasies, desires Ses longs doigts fins battent inlassablement la mesure d’une mélodie qu’elle est la seule à entendre. Les voix dans sa tête ne se taisent plus ; elle entend les morts et les non-nés, les êtres à venir et les trépassés.
On raconte que ses expériences incessantes lui ont coûté la raison. Après tout, les Mages les plus talentueux sont aussi les plus fous…
Même si aucun n’avait encore tué son conjoint, répondent les voix.
Tué, assassiné, empoisonné, chantent-elles incessamment.
Sang de vierge et bave de crapaud des marais pour la jeunesse ;
feuilles de lierre et foie de chien pour garder sous contrôle l’être aimé ;
venin de serpent et chrysanthèmes pilés pour hâter le départ du même être, devenu trop dur à supporter…
Sa soif de savoir n’est toujours pas étanchée. Sa faim de pouvoir n’est pas non plus rassasiée. Il lui faut encore des mois, des années.
Peau de vipère, sève de digitale, jouvence éternelle ;
poils de sanglier, grains de café, insomnie assurée…
Les recettes sont toujours plus inventives, elle ne sait plus si ce sont les cris de son dernier cobaye ou ceux des disparus qu’elle entend résonner dans les couloirs sans fenêtres. Le choeur des sirènes de sa propre folie la poursuit, et elle sait qu’elle ne pourra pas leur échapper.
Peu importe : elle compte bien emporter avec elle tout ceux qui l’ont un jour contrariée, tous ceux qui se sont dressés en travers de sa route, tous ceux qui l’ont empêchée de réaliser ses desseins pour la plus grande gloire de sa famille et de Valyria -
mais n'est-ce pas la même chose, après tout ? 
par Invité Jeu 18 Fév 2021 - 22:43
Les Vaelgaris ont le sang le plus pur de Valyria : descendants directs du dieu Arrax, ils se jugent même supérieurs aux dynasties des fondateurs… Ce dont certains doutent, sans toutefois oser leur faire remarquer. Car la seule chose qui soit plus pure que le sang des Vaelgaris est leur folie, qui brille dans les yeux couleur lilas de chacun des porteurs de ce nom prestigieux. 
