La flotte ennemie était envoyée par le fond. Faisant des ronds avec son dragon dans le ciel, Maegon observait les épaves fumantes qui s’enfonçait lentement dans la grande étendue bleue. D’un geste du bras il essuya un peu la pluie qui lui perlait légèrement les yeux. Ses congénères avaient eux aussi réussi leur coup. De cette flotte terrible, il ne restait plus rien. Le plan devisé par Maegon avait marché. Il fallait dire que la supériorité donnée par les dragons ne faisait pas tellement craindre l’échec.
Le temps ne jouant toujours pas pour eux, il ne s’attarda pas et Caraxès changea de direction dans un gracieux virage. Quelques battements d’ailes plus tard, il se posa sur le sol boueux, son dragon émis un léger grognement. Même si Caraxès était surement plus habitué à l’eau que la plupart des dragons, il ne pouvait aller contre sa nature et l’environnement ne lui convenait pas forcément plus qu’aux autres. Maegon resta un moment avec ce fidèle ami qui venait, peut-être, de poser les premières pierres de sa gloire militaire. Il fallait à présent aller retrouver les autres, et ces braves gens qui avaient tant donné pour obtenir cette victoire, au péril de leur vie.
La pluie semblait ne jamais s’arrêter. Maegon se rendit au rivage pour voir débarquer les pêcheurs. Tous n’étaient pas revenus. Ainsi était la guerre. Ceux qui avaient sacrifié leurs vies, leurs familles et leurs enfants, pourraient avoir au moins la satisfaction de s’être battu pour la liberté de leur pays et d’avoir gagné. Car, il ne fallait pas l’oublier, mais c’était une victoire, et une victoire écrasante, sur le plan militaire, les Andals venaient de perdre un avantage tactique et stratégique déterminant et se retrouvaient privé de la maîtrise des mers, les laissant sans possibilité de ravitaillement ni de retraite. Sur le plan économique, le rapport entre les ressources investies par les valyriens et leurs alliés demeuraient totalement à leur avantage. La crise économique, commerciale et financière guetterait les Andals dès leur retour chez eux, victorieux ou pas, ce qui était en soi une victoire pour Valyria, il faudrait beaucoup d’argent et beaucoup de temps pour reconstituer cet outil militaire.
Les célébrations de la victoire commençaient. Sous la hutte du chef afin de s’abriter de la pluie décidément omniprésente. Maegon arborait un visage souriant, mais sans plus. On était loin des fêtes valyriennes, au chaud, au sec, et avec un vin qui ressemblait à autre chose que de la purée de houblon. Au reste, quoique fêtard, Maegon restait préoccupé, la victoire qu’ils venaient de remporter aujourd’hui ne signifiait pas, loin s’en fallait, la fin de la campagne militaire. Il fallait pourtant faire honneur à ce petit peuple qui venait d’accomplir un grand haut fait. Le valyrien les voyait un peu comme des enfants qui s’ébrouent sous la pluie. Peutèêtre était-ce là le ciment d’une alliance durable et profonde ? Maegon n’en savait rien. Il fêta peu, préférant se réserver une bonne part de sommeil, il faudrait partir à la première heure le lendemain.
Hélas, les éléments semblaient se dresser contre eux. La pluie redoubla d’intensité et vint s’adjoindre le renfort d’un vent considérable, froid et mordant. Tout cela semblait devenir très risqué, le décollage ne serait pas simple. Maegon monta Caraxès, celui-ci hésitait, ne trouvait pas sa posture, et après quelques vacillements, il fallut se rendre à l’évidence, ils ne pouvaient pas voler, et devraient retarder leur départ. Maegon pesta vigoureusement contre le climat de ce pays de malheur.
Trois jours...Trois jours à attendre, à greloter et à devoir supporter l’humidité. Trempé jusqu’aux os, Maegon tenta de dormir dès que c’était possible. Quand enfin le temps devint plus clément, c’était une image consternante de désolation, il y avait eu des morts, des huttes écroulées, le sol était inondé. On pataugeait dans une sorte de boue. Au moins, on allait enfin pouvoir se sortir de ce trou à poisson.
On put enfin prendre les airs. Ces trois jours, comme Maegon l’avait soupçonné, avaient été décisif, et les Andals avaient progressé, ayant désormais en vue la capitale locale. Les Dieux ne semblaient pas avoir décidé de les favoriser, des vents violents vinrent les bousculer en plein vol. Maegon, jouant habilement des rennes, parvint à saisir les courants d’air afin d’éviter que Caraxès ne soit en difficulté. L’atterrissage manqua d’être désastreux mais Caraxès eut un bon réflexe, parvenant à esquiver un trou d’air et, malgré quelques battements d’ailes un peu difficile, se posa sans trop de casse. Maegon tourna la tête pour voir si les autres s’en étaient mieux sorti. Laedor parvint à éviter un complet désastre et on s’en sorti par un charriot cassé. En revanche, en voyant l’angle d’approche de Daenarys Maerion, Maegon eut un mouvement d’effroi, elle semblait avoir totalement perdu le contrôle de sa monture. Elle vint s’écraser contre un pan de mur, dont Maegon pensa un moment qu’il allait s’écrouler. Dieu merci, les murs épais de la forteresse tinrent. Ce fut un grand tumulte et le Tergaryon craignit un moment qu’il faille déplorer la mort de la jeune femme. Il n’en fut rien, même si elle avait dû être passablement secouée.
Le gouverneur ne sembla pas content, et cela pouvait se comprendre, d’une arrivée aussi turbulente. Maegon le laissa grogner un moment, se tenant prêt à lui rappeler que ceux contre qui il était mécontent venait de griller et de couler toute la flotte ennemie, et que sans eux, il serait déjà avec une dague andale entre les omoplates. Le gouverneur se calma rapidement, évitant ainsi à Maegon de le remettre à sa place. On se sécha rapidement à la bonne flambée, puis on finit par tenir un conseil de guerre. Les informations échangées par les uns et les autres laissèrent Maegon la face sombre. Dix mille chevaliers expérimentés, avec des armes de siège et la ferveur religieuse d’un côté, contre quelques soldats de métier, et des milices quasiment civiles. Les dragons ne pourraient pas être utilisés dans les airs à cause des vents coulis de ce pays imbécile.
Le patriarche des Tergaryon se faisait des noeuds dans la tête en regardant la carte de fortune de la forteresse. Vu le rapport de force, il semblait clair à Maegon que sans prendre de gros risques, cette bataille serait immanquablement perdue. Maegon se risqua à proposer un plan.
-Les Andals doivent être enragés par la destruction de leur flotte, ils verront notre faible nombre comme une occasion d’en finir vite et de limiter leurs pertes le plus possible. C’est leur force, mais aussi leur faiblesse, nous n’avons pas besoin de tuer chacun des hommes de cette armée, nous devons juste faire en sorte que la courbe perte/profit de l’ennemi monte en flèche, pour que même la victoire ne soit plus un avantage pour eux. Nous avons porté un coup économique terrible en brulant leur flotte, nous devons maintenant menacer la cohésion même de son domaine même en cas de victoire pour le faire lâcher.
Il marqua une pause et commença à marquer des points sur la carte.
-Moi, Laedor et Daelarys nous posterons à divers endroits de la porte, avec les deux tiers de nos forces disponibles, s’ils attaquent en force la porte, je pense que nous pourrons la tenir, c’est là que nous pouvons briser le moral des Andals.
Il poursuivit.
-Daenarys et Herya prendrons le reste de nos forces et se concentrerons sur le point faible. Si vous voyez que vous n’arriverez pas à repousser l’ennemi s’il trouve ce point faible, faites envoyer un message, Laedor ou moi-même vous rejoindrons, à ce moment-là, nous devrons démolir le mur nous même avec nos dragons pour tenter une sortie, si tel est le cas, il faudra peu à peu dégarnir la porte et progresser en file indienne, derrière nos dragons. Nous devrons être prêts à sacrifier la forteresse pour remporter la guerre. Le reste est entre les mains du destin.
Il réfléchit un moment en se frottant le menton. Et regarda le reste de l’assemblée. Avant de dire au gouverneur.
-Rassemblez tous vos hommes dans la cour dans dix minutes.
Il regarda ses confrères valyriens.
-Après tout, si on doit mourir, autant partir sur un grand discours.
Dix minutes plus tard, Chacun est rassemblée dans la grande cour de la forteresse, une estrade de fortune est montée, visiblement, les hommes n’avaient pas l’air des plus confiants, Maegon les comprenait. La bataille ne leur semblait pas favorable, il fallait affronter non seulement les andals et leur redoutable armée, mais aussi les éléments qui empêchaient l’acquisition de la supériorité aérienne. Pourtant, Maegon monta, avec le gouverneur qu’il tira par le bras, sur l’estrade. Il démarra son discours de motivation, relayé par quelques interprètes.
-Mes amis, aujourd’hui, nous devons faire face à l’épreuve la plus terrible qui puisse s’abattre sur un peuple. Nous voici, avec contre nous dressés, les éléments, et la tâche de combattre un ennemi supérieur en nombre et en arme. Bien des hommes se sont retrouvés face une telle ordalie, et bien des hommes ont échoués. Nous ne sommes pas des hommes comme les autres, je l’ai vu, en combattant à vos côtés. Nous, valyriens, et vous, sujets du Roi-Dieu d’Ybben, avons mis déjà en déroute la flotte puissante de nos ennemis. Une poignée de pêcheurs contre des marins expérimentés. Parce que nous avons au cœur la défense de nos pays, nous avons dans notre cœur et dans nos tripes la certitude que nous combattons pour des choses bien plus grandes que nous, qui nous dépassent, qui nous submergent, qui nous enveloppent. J’ai vu votre peuple, j’ai vu son courage, son industrie, sa résolution face à toutes les traverses qui peuvent traverser la vie d’un homme, des pluies torrentielles à une invasion d’andals se comportant déjà en pays conquis. Nous ferons psalmodier bien des prières à leurs Septons, et croyez moi, amis, la prière qu’ils réciteront ne sera pas un Te Deum, non, nous leur ferons dire, et en masse, leur prière des morts !
Maegon marqua une pause.
-Vous leur montrerez que ce pays n’est pas conquis. Vous leur montrerez qu’ils devront mourir pour chaque mètre carré, vous leur montrerez qu’ils seront obligés de reculer pour finalement déchoir. Vous leur montrerez que vous avez conscience qu’aujourd’hui se joue bien plus que la vie d’hommes, aujourd’hui se joue le destin de tout un peuple qui a décidé de ne plus courber l’échine, de ne plus subir, et de mourir debout plutôt que de vivre à genoux. Ne vous y trompez pas, amis, les Andals ne ferons preuve d’aucune pitié, ni vis à vis de vous, ni vis à vis de vos alliés valyriens. Certains peuvent le craindre. Je réponds : tant mieux. Plus grande est leur barbarie, plus grande est la ferveur de leurs soldats, plus éclatantes encore sera notre victoire, plus glorieux encore sera notre sacrifice. Elle rejaillira sur eux à leur seul désavantage. Nous montrerons aujourd’hui ce qu’être un homme signifie. Le monde nous regarde, nous contemple et nous épie, avide de nous voir chuter. A tous les spectateurs avides de notre défaite, envoyons avec puissance le message qui cimente et édifie notre résistance.
Maegon tira son épée valyrienne qu’il leva en l’air.
-LA PATRIE OU LA MORT !
Le discours eût-il l’effet escompté ? les historiens le diront. Le dispositif se mit en place. L’ennemi approchait à grande vitesse, avide de pouvoir cueillir ce qu’il pensait être le fruit mur de la victoire. Maegon entendait bien que lui et les siens fassent pousser sur une plante apparemment à merci quelques épines empoisonnées. Et, s’il devait mourir, il comptait bien vendre chèrement sa peau. Lui, qui avait été si longtemps la potiche de la famille Tergaryon, le silencieux, ayant laissé la main à ses cadets, lui, qui pensait être à jamais être le soleil éclipsé, on lui donnait enfin l’occasion de briller. L’astre comptait bien irradier le champ de bataille, qui à s’éteindre dans une splendide supernova. En descendant de l’estrade, Maegon Tergaryon croisa la jeune Daenerys, qui devait peut-être ne pas être bien rassurée suite à son atterrissage houleux. Maegon s’approcha, et, avec un grand sourire tenta de la réconforter.
-Ne t’en fait pas, Maerion, garde la tête haute. Pour ton lignage, garde la tête haute, peu importe les échecs, tu restes la fille d’Arraxios, comme pour chacun de nous, le sang du dragon coule dans tes veines, insondable, indomptable et incomparable. Ne laisse pas cela te voler la gloire de la victoire que nous allons arracher aujourd’hui, en puisant dans toute notre réserve.
Puis, s’en vint le temps de mettre en place le dispositif. Maegon, Laedor et Daelarys à divers endroits de la porte avec le gros des forces. Maegon avait revêtu son armureet son casque en acier valyrien, son épée, de la même matière, était ceinte à son coté, la pluie faisait comme un bruit de percussion sur son casque. Il tourna la tête vers l’un puis l’autre des soldats, chacun était en place, comme avant une partie d’échec. L’ennemi arrivait, en nombre colossal. Lorsqu’ils commencèrent à approcher, Maegon tira son épée. Et, à ses deux congénères valyriens, déclara.
-Messieurs, si nous devons mourir aujourd’hui, sachez que ce fut un honneur de tirer l’épée avec vous.
Il ne fallut pas bien plus de temps pour que l’assaut démarra. Maegon avait donné des ordres, les soldats présents dans les mâchicoulis ne devaient jeter des pierres que sur les béliers pour les endommager, l’eau bouillante devait être réservée aux remparts pour les soldats grimpant à l’échelle. Lorsqu’ils furent assez proches, Maegon leva son bras en l’air et le laissa retomber en bas pour donner ordre aux archers de tirer. Les hallebardiers sous les ordres de Maegon se tenaient un peu éloignés du mur, pour pouvoir épingler les ennemis dès qu’ils feraient mine de descendre de leurs échelles. Le nombre des ennemis fit qu’ils arrivèrent, avec difficulté, à monter une échelle sur un pan de mur juste à côté de Maegon. Il donna l’ordre de verser de l’eau bouillante par à-coup aux soldats qui montaient. Cela les retarrda, mais ne les stoppa pas, cependant lorsqu’ils arrivaient en haut de l’échelle, les hallebardes venaient traverser leurs armures pour les pousser et les faire chuter. Une deuxième échelle cependant vint rendre la tâche plus difficile. Maegon, l’épée à la main, se tenait prêt. Finalement, un ennemi parvint à poser le pied sur leur territoire, puis deux, puis trois, puis dix, le combat eut lieux sur les remparts. Maegon s’engagea dans la mêlée, les andals étaient bien armées, heureusement, l’acier valyrien surpassait celui de leurs cuirasses. Le Tergaryon tua le premier assaillant après quelques passes d’armes.
Il s’approcha ensuite de l’échelle qui se collait à la portion de mur qu’il défendait, et alors qu’un ennemi passait la tête, il le décapita d’un coup net. Derrière lui, un gémissement se fit entendre, l’ennemi avait accosté autre part. Maegon l’avait échappé belle, un local avait intercepté un coup d’épée. La bataille commençait à devenir dure. La lame de l’adversaire n’avait même pas quitté sa victime que Maegon se jeta sur lui pour le plaquer au sol, et lui trancher la gorge. Il se retourna brièvement pour voir si le reste tenait, les soldats se comportaient bien, et se donnaient autant que possible. Maegon se releva et entama une passe avec un autre adversaire, plutôt coriace celui-ci, les lames ricochaient, Maegon encaissa un coup de poing de l’adversaire passé dans sa garde, il eut le souffle coupé un moment, avant de riposter en envoyant son pied droit devant lui, droit dans le ventre ennemi. L’andal bascula, Maegon ne se posa pas de question, et vint lui planter son épée dans le ventre. Essouflé, le valyrien regarda autour de lui, le combat était d’une rudesse incroyable, rythmé par les tirs d’archers, légèrement repliés derrière les hallebardes.
Pour l’heure, ils tenaient.