4ème Mois de l'Année 1067, Quadrant Sud, Caserne de la Ière Armée !
Le Polémarque avait bien agi en demandant à certains hommes de se faufiler parmi la foule. Cela leur avait permis de se rendre compte de l'ampleur du mouvement et d'identifier plusieurs personnes de poids comme Echya Odenis, de la Guilde des Orfèvres, Aelora Naehrys, Sénatrice ou encore Maerys Qohraenos, Grande Prêtresse de Tyraxès. Cela touchait toutes les classes sociales et devenait colossal. Ils ne pouvaient compter avec précision, mais il y avait plusieurs milliers de personnes. Jamais un tel rassemblement n'avait eu lieu depuis le renversement des Dynastes. La Sénatrice du Peuple avait réussi à réveiller ceux à qui elle devait sa place au Sénat. Les soldats en civil se dirent qu'il fallait tenir informer leur hiérarchie parce que ce mouvement était assez conséquent pour mettre un beau bazar dans la Capitale. C'est donc avec un certain empressement qu'ils rentrèrent à la caserne pour faire leur rapport. Quand il l'entendit, le Polémarque eut du mal à en croire ses oreilles. Qu'allaient-ils bien pouvoir faire pour calmer la foule ? Comment allait réagir la noblesse ? Et surtout, est-ce que le Haut-Commandement n'allait pas prendre cet attroupement pour une révolution ? L'homme craignait de recevoir l'ordre de remettre dans le rang cette populace qui criait son ras-le-bol. Heureusement, ça n'était pas à lui de prendre les décisions. Il était Polémarque. C'était un grade avec beaucoup de responsabilités, mais les Dieux en soient remerciés, il avait une hiérarchie au-dessus de sa tête. Cela le fit relativiser sur son envie, plus tard, de monter en grade. Pour le coup, il ne voulait pas être à la place de son Légat.
L'homme était toujours en train de superviser l'entraînement qui avait été interrompu une heure plus tôt. Ce n'était pas parce qu'il y avait un discours sur la place qu'il devait arrêter de faire son travail. Ce manège était courant, des discours, il y en avait tous les jours. S'il devait s'arrêter de travailler pour s'occuper de la potentielle menace, il ne ferait plus grand-chose d'autre. Pourtant, cette fois-ci, il allait bientôt apprendre que ça n'était pas un discours comme les autres et qu'il avait rassemblé un groupe plus important que tout ce qu'il aurait pu imaginer. Sincèrement, la Première Armée n'était pas prête pour ce qu'elle allait avoir sous ses murs dans quelques instants. C'est un Polémarque suant d'avoir couru qui s'arrêta devant lui. Comme la première fois, Vagar arrêta l'entraînement et alla voir son subordonné.
« Que se passe-t-il Polémarque. On dirait que tu as vu Balérion en personne. »Le temps de reprendre un peu son souffle, il lui dit :
« Légat, c'est grave ! C'est très grave. Le peuple se rassemble. Il marche, Légat. Il y en a des milliers ! »Alors qu'il était en train de digérer les informations qu'il venait de recevoir, un émissaire arriva dans le même temps. Il ne faisait pas partie des hommes de la Ière ni de la IV ème. Son plastron montrait qu'il était rattaché au Haut-Commandement. De plus, son air arrogant montrait que l'homme était plutôt fier de sa position et se prenait pour quelqu'un d'important.
« Parle messager ! » lui ordonna le Légat.
« Légat Vagar Nohtigar, j'apporte ici des ordres qui viennent directement d'Aeganon Bellarys, Seigneur Dragon et Sénateur de Valyria, Chef de la Faction Militariste.
La Ière Légion a ordre de ne pas bouger. Elle restera casernée jusqu'à nouvel ordre. Tels sont les ordres et tu dois t'y plier Légat. »Tous les soldats, officiers et Vagar lui-même furent choqués de cette annonce. Que se passait-il donc ? Pourquoi ne pouvait-il pas faire une sortie pour assurer la sécurité de Drivo ainsi que des autres institutions essentielles de Valyria. À moins que...
« Si ce n'est la Ière Armée, est-ce la IV ème qui va sortir pour sécuriser et contenir la foule ? »Le message se donnait une certaine importance, car il assistait à des réunions auxquelles le Légat n'avait aucune connaissance. S'il était d'un rang inférieur, il savait beaucoup plus de choses et ressentait une certaine forme de satisfaction voire de pouvoir sur lui. Allait-il lui répondre ou le laisser dans l'ignorance ? C'était lui qui décidait. Après tout, ça n'était qu'un messager, il n'était pas forcément au courant de tout ce qu'il se passait au bureau du Sénateur Bellarys. Non, il avait trop envie de lui montrer que lui savait plus de choses. C'est avec une certaine satisfaction qu'il répondit :
« La IV ème a reçu les mêmes ordres Légat. L'armée ne bouge pas ! »C'est un Vagar abasourdi qui vit le messager repartir. Il n'en revenait pas. Pourquoi avait-il reçu ses ordres là ? Est-ce que le Haut-Commandement était bien renseigné sur le fait que plusieurs milliers de personnes marchaient dans la rue ?
« Légat, que fait-on ? Ils se dirigent ici ! »Vagar fut sorti de ses pensées par la question du Polémarque. Le peuple se dirigeait vers la caserne de la Ière Armée. Mais que voulaient ces gens ? Que voulait Daera ? Il connaissait cette femme et il ne pouvait s'empêcher de penser qu'il ressentait une certaine attirance pour ses idées, mais également pour la femme qu'elle était. Cela faisait maintenant deux semaines que le scandale dans sa famille avait éclaté. Sa cousine, celle qui lui fut promise, était enceinte d'un autre homme. Ne voulant pas l'abandonner et étant tombée amoureuse de son amant, elle s'était opposée à sa famille. Ruinant par la même tout mariage avec Vagar. La branche principale de la famille était très remontée contre la branche secondaire. Et eux-mêmes ressentaient une immense honte devant le comportement de leur progéniture. Une virulente dispute avait éclaté entre Baelys et sa fille. La tante de Vagar avait eu des mots durs, qualifiant la chair de sa chair de prostituée ayant été séduite par des flatteries de marin. Depuis, Naeria Nohtigar s'était enfuie de chez elle.
« S'ils viennent vraiment ici, il nous faut découvrir ce qu'ils veulent vraiment. Je connais la Sénatrice Melgaris, elle ne représente pas un danger pour le Sénat. Elle ne cherche qu'à attirer son attention pour que des changements pacifiques s'opèrent. Donc, prévenez la Polémarque Nohtigar que je veux les archers sur les murailles, mais que nul arc à flèches ne doit être visible. Il ne faut pas que la population ait peur. Mais il faut qu'en cas de nécessité, nos hommes aient leur arme à portée de main pour remettre de l'ordre si jamais. »Il avait beaucoup trop de soucis en ce moment et avait du mal à réfléchir de manière calme et posée. Cette histoire de famille, les ordres qu'il venait de recevoir ainsi que la venue d'une partie de la population devant ses murs l'inquiétaient à différents niveaux. Malheureusement, il ne pouvait se concentrer sur chacune de ces tâches et devait se focaliser sur la plus urgente. Le peuple qui gronde. Il donna des ordres et la caserne se mit en ébullition. Les archers allaient être postés sur les murailles et les hommes rangés dans la cour. Bien qu'ils soient rompus aux exercices les plus difficiles, on pouvait sentir la tension chez ces soldats qui entendaient les bruits de pas du peuple. Quelques minutes, plus tard, Baelys vint chercher son neveu.
« Ils sont là Vagar. »Il hocha la tête en direction de sa tante et se rendit avec elle sur les remparts. Là, une marée humaine se présentait à lui. Combien y en avait-il ? Impossible de savoir, mais les hommes n'avaient pas menti, ils étaient des milliers. Impressionnant. Pour une fois, Daera avait réussi à mobiliser les foules. Elle devait sans doute être la première étonnée. Comme il s'y attendait, la Sénatrice s'avança pour parler aux soldats et au peuple. Elle louait le courage des hommes de la Ière et la mémoire de leur Capitaine-Général. Néanmoins, elle voulait qu'ils marchent avec eux vers Drivo. Cette institution que seule la Ière Armée était censée protéger. Du moins jusqu'à aujourd'hui. Entendant son nom et la volonté du peuple de vouloir une entrevue avec lui, Vagar se dit qu'il ne risquait rien à accepter. Sa tante fut plus réticente. Depuis l'affaire avec sa fille, elle voulait montrer coûte que coûte son soutien à l'homme qui fut la victime dans cette histoire et qui ne méritait nullement une telle honte. Lui prenant le bras et lui faisant un petit sourire, Vagar tenta d'apaiser celle qui lui avait tout appris dans le métier de soldat.
Il descendit les marches et se rendit dans la cour où il regarda ses soldats bien rangés comme à la parade. Ils étaient dans leur armure et leurs armes n'étaient pas loin. Au moindre problème, ils pourraient intervenir.
« Ouvrez la porte. »Les hommes obéirent et quatre soldats accompagnèrent Vagar devant la caserne. Avec les deux plantons qui se trouvaient devant la porte, il y avait six personnes pour assurer sa sécurité. Bien maigre force comparée à ce qu'il y avait en face. Malgré tout, il était confiant. Il n'avait rien fait, personnellement, pour s'attirer les foudres de ce peuple. Il n'était que le bras qui agissait quand le cerveau lui commandait d'obéir. Il ne ressentait pas que cette colère était tournée vers lui. Il avait confiance en cet état de fait et en la promptitude de ses hommes à réagir si jamais il était en danger. D'une voix de stentor où l'on sentait clairement l'homme qui avait l'habitude de commander, il s'exprima :
« Peuple de Valyria, tu as voulu me voir, je suis là ! »Daera était à quelques mètres de lui. Elle était légèrement avancée par rapport au reste du groupe. Il lui fit signe de s'approcher un peu plus tandis que lui fit quelque pas également. Dans un premier temps, il parla pour qu'elle seule entende ses propos.
« Daera, mais qu'est-ce que tu fais ?! Te rends-tu compte seulement de ce que tu es en train de provoquer ? Ça va beaucoup trop loin ! »Certes, la période n'était pas des plus chaleureuses et certes, le Légat avait pas mal de réticences par rapport à ce qu'il était obligé de faire ou concernant les réelles motivations de ses supérieurs. Malgré tout, il continuait d'obéir parce qu'il n'avait pas eu de raisons jusqu'à présent de ne pas le faire. Daera et lui avaient eu pas mal de discussions enflammées sur le sujet. Ils partageaient à peu de choses près les mêmes idéaux. Physiquement parlant, ils étaient également compatibles, ils avaient pu s'en rendre compte lors d'une soirée ou l'autre. Hé oui, il lui arrivait parfois de penser plus à elle qu'à sa promise ou devrait-il dire ancienne promise. Son soutien dans cette épreuve était rassurant. Elle lui montrait qu'elle n'était pas uniquement là pour parler politique, mais qu'elle pouvait se montrer simplement amicale.
« Tu n'arriveras jamais à contenir la colère d'une telle foule ! Si jamais ça se passe mal, tu vas donner du grain à moudre à ma hiérarchie qui va durcir les règles déjà assez étouffantes au sein de la Capitale. S'il te plaît, je t'en conjure. Ne fais rien d'irréfléchie. »Même la plus humble des personnes pouvait ressentir un pouvoir colossal à la tête d'une si grande armée. Même la plus humble des personnes pouvait se laisser aller à faire changer les choses d'une autre façon en comptant sur une telle force. Ils ne pouvaient deviner combien ils étaient, mais sans le savoir, Daera avait rassemblé plus de gens que les deux armées réunies. Si cela éclatait en incident, la Faction Rouge pouvait très bien demander la mobilisation d'une troisième armée pour remettre de l'ordre et rétablir la balance. Il s'approcha encore d'elle et lui tendit ses mains pour prendre les siennes.
« Nous en avons déjà assez discuté, le peuple souffre. J'en suis conscient, mais j'ai les mains liées dans cette histoire. Je ne suis pas un politicien libre de son discours. Je suis un officier de l'Armée Valyrienne. J'obéis à des ordres et ceux-ci m'interdisent de faire quoi que ce soit. Je suis désolé Daera, mais je ne peux te donner ce que tu souhaites. »Il tentait de lui expliquer que sa demande de voir le peuple et l'armée marcher de concert était illusoire. Aeganon Bellarys avait ordonné aux deux armées de rester en caserne. Il ne pouvait désobéir bien qu'il trouvait ses ordres bien stupides. Jamais Drivo ou la Tour des Cinq n'avaient été si exposées. Que cherchait à faire le Haut-Commandement ? Il était de son devoir de protéger les institutions et là, on lui coupait l'herbe sous le pied. Il était ballotté entre son obligation d'obéir et son serment qui lui criait de désobéir pour protéger les Institutions qu'il avait promis de protéger.